Secret Empire #1 (VF – Panini Comics)

L’ambiance est délétère, un climat de conflits où la victoire a déjà vaincu tétanise tout un éditeur. Les délires planétaires d’Hickman, bâtis sur des dizaines de numéros amonts, sont passés. La Maison des Idées se fragilise, ses figures aussi.  Elles passent leur temps à se confronter, s’affronter, se détruire. Pourtant, une légèreté se laisse ressentir, elle avance avec un certain talent parfois une jeune génération crédible, des champions prêts à rattraper les idoles désincarnées. Mais l’édition semble construite sur des événements où les enjeux riment avec une chamaillerie désarmante. Ils sont propulsés sur nos étalages d’un mois à l’autre, où seule l’attractivité du #1 compte. Nick Spencer ne se laisse pas faire.

Armé d’une plume ciselée, d’une envie de faire plus avec des personnages connus de tous, ses écrits dérangent. Tout d’abord, sa première série bannière, ailée et étoilée, comme un édito aux sujets brûlants, appuie là où ça fait mal. La presse fictive, comme une partie du public réel ne voit rien d’américain dans ce nouveau capitaine. Forcément, nous réclamons le Roger-bontemps Steve. L’ordre, enfin, même si les dissensions ne finissent pas quant au véritable porteur. Spencer ne cesse de politiser sa série, de briser les codes jusqu’au crime du Captain America : Steve Roger #1 d’anthologie. L’espoir est brisé, les illusions idéalisées du lectorat aussi. Depuis cette introduction, comme un cancer exécutif, Steve Roger manipule, nécrose un monde déjà à l’agonie. Ce chef suprême, très éloigné du terrorisme de Crâne Rouge, qu’il finira par éliminer, recherche l’idéologie, et sa défense à tout prix. Là encore, Spencer déplace l’angle, mais ne modifie pas la vision barrage et protectrice du personnage. Il aura donc fallu près d’un an de construction, de jeux et de mensonges. Mais il est temps de se révéler,  cette nouvelle année lance l’offensive de l’écusson squelettique entortillé. 

Tout d’abord ce FCBD acéré, entrée au couteau, se place (sans doute, rien n’est précisé) entre les deux numéros suivants. Quelques pages, un découpage saisissant de Sorrentino, et un discours méta-textuel des Héros défaits par le poids de la révélation. La chute confirme d’ailleurs l’habile jeu de retournement orchestré par Spencer, jamais Steve Rogers n’aura été si digne de son utopie de justice. Et cette pleine page, où sur une pause monarchique et entouré de ses lieutenants, les masques tombent, un souvenir, déjà. Un minimalisme introductif à la puissance évocatrice rare. Puis la suite. 

Et là, il faut ressortir les écrits hickmanien. Spencer sur ces premières pages liminaires pioche allègrement dans l’esprit sophistiqué du scénariste de l’Ouest, Secret Warriors puis S.H.I.E.L.D. La ré-écriture de Spencer ne se limite pas aux grandes figures de l’Hydra, et à son histoire des années 40. Elle va bien au-delà. En quelques lignes, l’héritage de parasite organisationnel secret réapparaît. Une idée introduite par Jonathan Hickman, l’Hydra aurait infiltré son rempart dès sa création, durant l’Egypte Antique. Et je vous dirige alors vers la maestria S.H.I.E.L.D, une épopée historico-cosmique qui a alors toute sa place dans un catalogue des Idées. Des figures de l’Histoire, génies des sciences souvent, auraient créé un organisme de défense, sorte de franc-maçonnerie de justice planétaire secrète. Mais le rêve s’arrête, les visions opposées de Da Vinci et de Newton ne peuvent s’accorder. La pomme est tombée bien loin de l’arbre. Newton, dans le rôle du despote détaché de toutes considérations éthiques, est présent, là, dans ce prélude #0 à Secret Empire. Mais surtout dans le rôle de relai immuable de l’héritage de l’Hydra. Spencer fait donc les liens entre les révélations infectieuses de l’Hydra, déjà là au tout début, et les préceptes de Newton. La Conception Pentagonale, constituée des 5 savoirs, est, de nouveau, totalement adressée ici. Ce savoir holistique suprême, acquis chez les Déviants, dont la forteresse glacée est représentée sous les traits de Reiss, serait donc le pilier moderne des enseignements de l’Hydra. Jusqu’à Nostradamus, divinateur maudit enchaîné par Newton, qui prédit déjà le futur « Hail Hydra » du Captain America #1, la boucle est bouclée. Une continuité riche, dense, que Spencer récupère, entrelace avec son personnage et son histoire. Se pose alors un cas délicat, celui du Kraken. Jake Fury ou Daniel Whitehall, toutes les interrogations sont permises, jusqu’à un ressort futur de l’intrigue, qui sait.

Tous les pions sont alignés, échec et mat, Captain Hydra est victorieux. Finalement, ce prologue tient vraiment pour les sursauts révélateurs, le contre-coup de la trahison du meilleur d’entre eux. Et là encore, un discours en off terrible met en parallèle la fracture qui lie ces personnages nombrilistes, abattus par la facilité et le goût de la victoire. Captain America incarne parfaitement ce désenchantement, va plus loin et achève carrément toute la prétention déconnectée des Héros. Les déconvenues nous sont transmises par deux femmes, Sharon Carter et Carol Danvers. Elles reflètent à merveille la surprise du lecteur, pourtant au courant de tout, notre empathie n’en est que multipliée. Quelle peur dans le regard de Carter aux susurrements de Faustus, en connaissance de cause, ou la stupeur anéantie devant la stature inversée de son amant ! Là où Carter fait appel à l’intime, Danvers incarne toute la structure héroïque qui s’effondre. Leur monde s’écroule. Dans le dernier chapitre, véritable #1, Steve Rogers est le seul maître du haut château. Les opposants matés, expulsés, l’Hydra gouverne, vraiment. 

Une poussée de porte dans un monde uchronique, très éloigné de toutes nos habitudes. Milice et force militaire qui traquent les minorités, endoctrinement de la jeunesse, contrôle des masses, culte de la personnalité, tout ça n’est pas une réalité alternative de plus. Spencer réussit à nous intéresser, avec sa construction établie, à un univers où tout est retourné. Forcément, le Régime étincelant rencontre sa Résistance, menée par l’arc et la veuve. On saisit parfaitement la déroute, le manque de moyens et la perdition totale d’une communauté encore invincible il y a des semaines. Pourtant, Spencer répand déjà les premières graines de la discorde, le chef suprême serait-il trop clément ? Le personnage va encore plus loin, rien ne s’opposera à lui. Une conclusion impressionnante au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer. 

Franchement, l’attente aura été parfois longue, mais quel plaisir une fois Secret Empire #1 achevé. Enfin, Marvel ose et installe une idée toute sauf alternative. Véritable uppercut à toutes ces sorties artificielles et conformistes, Secret Empire est un exercice de style, où l’auteur pousse son concept jusqu’au bout. Rarement un tel démarrage aura autant marqué. Le FCBD donne le ton, la suite se l’accapare à bras le corps. La continuité solide utilisée avec intelligence assoit une démonstration narrative par Spencer. Mêmes les codes habituels, imposés par le cinéma par soucis de reflet dans notre média papier, sont enrayés. Cette légèreté du désamorçage et de la réplique, dessert complètement la caste héroïque, pour notre plus grand plaisir. Forcément, il conviendra de juger l’ensemble de l’événement, d’ici 5 mois chez Panini Comics. Mais ce premier numéro est déjà l’une des meilleures sorties de l’année. 

A l’heure où le conspirationnisme, le contrôle et la répression des libertés n’ont jamais été aussi prononcés en temps de paix, le lecteur jubile et Marvel ploie face au plus grand putsch de son histoire. Les sentinelles, les étoiles et même les boucliers n’y pourront rien dans cette uchronie terriblement glaçante. 

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Ça y est ! L’évènement tant attendu Secret Empire arrive chez nous ! Totalement sous le charme des séries de Nick Spencer, je me suis rué sur ce magazine.

En plus des numéros de la mini-série, Panini présente différents tie-in. J’ai lu le premier, « Brave New World », et je dois avouer avoir été vite refroidi. Je me suis arrêté là. Je vais donc me contenter de parler des numéros de la mini-série.

Tout d’abord, le FCDB propose une courte introduction efficace mettant en scène l’impuissance des héros Marvel face au rouleau compresseur de l’Hydra de Cap. Le numéro est plein de mélancolie et bénéficie des dessins de Sorrentino, toujours aussi originaux et puissants.

Le numéro 0 débute en livrant quelques mystères sur le passé l’édification de l’Hydra dont on entendra sans doute parler plus tard, puis Nick Spencer parachève la prise de pouvoir de l’Hydra mise en place dans la série Steve Rogers. Il réutilise habilement les pistes lancées notamment l’histoire du bouclier censé protéger la Terre et sa position au sein du SHIELD. Il y a du rythme, beaucoup d’action, c’est rudement efficace. Cet épisode est dessiné par Daniel Acuna le compère de Spencer sur Captain America : Sam Wilson. Son trait et sa colorisation sont toujours aussi agréables.

Ellipse temporelle pour enchaîner avec le numéro 1. J’avoue avoir été un peu déstabilisé par ce saut dans le temps. Je m’attendais à une avancée plus linéaire. Passée cette surprise, on replonge dans cet épisode nettement plus posé et qui décrit d’un côté le « quotidien » des héros qui combattent l’Hydra et de l’autre l’assise de l’Hydra au pouvoir, mais d’un point de vue intérieur.

La mise en place de la propagande de l’Hydra est classique mais efficace et prend un tour poignant avec la partie portant sur Rick Jones. La position de Steve Rogers voulant tout faire pour sauver son ami tout en suivant son projet d’imposer les volontés de l’Hydra procure une tension palpable.

La partie avec la résistance montre bien les doutes et dissensions entre les différents membres dépassés par les évènements.

Tout cela est bien écrit, distille des pistes pour la suite et est bien dialogué, incorporant un peu d’humour bienvenu. Nick Spencer maîtrise la caractérisation des différents personnages, y compris ceux qu’il n’avait jusque là pas utilisés.

Les dessins de Steve McNiven sont efficaces et classiques.

Un début d’Event maîtrisé par Nick Spencer, à l’image de ce qu’il a fait sur Captain America : Steve Rogers. C’est toujours passionnant. On attend la suite avec impatience.

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