The Private Eye (VF – Urban Comics)

Longtemps indisponible en VF, cette œuvre atypique de Brian K. Vaughan et Marcos Martin a fini par voir le jour sous format papier à l’automne dernier. Impatient, je me le suis procuré fissa…pour ne le lire que récemment. Et je n’ai pas été déçu !

Pour rappel, ce comics a été d’abord été proposé sous format numérique uniquement et contre une contribution pécuniaire laissée au choix des lecteurs, avant de voir sa vie se poursuivre sous format papier sur instance de ces mêmes lecteurs.

Les auteurs proposent un polar sur fond de monde futuriste où l’internet a explosé, révélant les secrets de chacun et forçant les individus à porter des masques en public pour cacher leur personnalité. Le héros est PI, un paparazzi qui peut dénicher n’importe quelle information moyennant finance. Il est contacté un jour par une femme qui souhaite qu’il enquête sur …elle-même. Mais la femme est tuée quelques heures plus tard. PI se lance alors dans cette enquête pas comme les autres.

L’un des points forts de ce comics réside dans ses personnages, tous bien travaillés, à la personnalité propre et caractérisée avec soin. Tout d’abord PI, métisse au caractère bien trempé dont on apprend petit à petit l’histoire, son grand père, sorte de papy bougon aux répliques fusantes, Mélanie, la femme à tout faire de PI, pleine de bon sens malgré son jeune âge, Raveena, la sœur de la victime, femme d’action toujours prête pour un bon de coude ou encore Deguerre, le méchant au sang froid. Brian K. Vaughan met un soin particulier à créer les interactions entre ses personnages. Les dialogues sont efficacement élaborés, n’oubliant pas un peu d’humour. Le contraste au sein du duo PI/Raveena fonctionne parfaitement, l’un préférant la diplomatie et l’autre la force.

Brian K. Vaughan raconte son histoire sous forme de polar au classicisme parfait – peut-être même un peu trop classique et c’est bien le seul reproche qu’on pourrait bien faire à ce comics. Meurtre plus que suspect, enquête semée d’embuches et de cadavres, intrigue à rebondissements, suspense haletant, action à foison, personnages cyniques ou sombres, environnement glauque des bas fonds et final en apothéose. Le scénariste met tout en place pour ne pas laisser respirer le lecteur et cela fonctionne.

Il intègre son histoire dans un monde futuriste où il place un certain nombre d’idées. Los Angeles est ceinte d’un mur l’isolant du monde extérieur, l’explosion de l’internet a modifié les moyens de communication offrant un retour au bon vieux téléphone à cadran, les hommes de loi sont désormais les journalistes, les voitures se déplacent en volant à quelques dizaines de centimètres du sol. Ces éléments ne sont pas d’une originalité folle mais offre un mélange ancien-futur assez intéressant et installe une ambiance particulière.

Mais l’élément le plus impactant est la disparition de l’internet impliquant une modification de la diffusion de l’information et de la gestion de la vie privée. Vaughan s’interroge – et nous interroge – en laissant le lecteur trouver ses propres réponses, n’imposant rien. Comment protéger sa vie privée, quelles informations doit-on accepter de partager ?

L’ensemble n’aurait pas la force que l’on ressent à la lecture sans Marcos Martin. Le choix du format à l’italienne implique une mise en page originale et différente. L’artiste impose ses designs de costumes des personnages et son architecture de la ville aux courbes arrondies. Son trait, subtil croisement d’ancien et de moderne est rudement efficace et dynamique. Il a également cette capacité d’offrir des pleines pages magnifiques. Les couleurs de Muntra Vicente, vives, presque gaies, sont impeccables et fonctionnent remarquablement avec les dessins de Martin.

L’édition d’Urban Comics est impeccable. La trentaine de pages de bonus proposée est une mine d’informations sur la construction du projet et son évolution au fil du temps. Les échanges entre les auteurs via des mails permet de comprendre les différentes étapes d’élaboration du comics avec ses doutes, ses tâtonnements, ses émerveillements lorsque la bonne idée semble trouvée. Une lecture vraiment intéressante.

The Private Eye est une œuvre atypique et d’une grande originalité. C’est un polar qui pourra paraitre un peu classique dans son déroulement mais qui sort du lot par son contexte et sa forme. Marcos Martin éclabousse chaque page de son talent !