Juni Ba nous a bluffé sur Monkey Meat, série anthologique à la folie graphique et au propos acéré sur les dérives de notre monde moderne ! Voici enfin un nouveau projet de l’artiste qui arrive en France, ce qui est rare et l’on s’en désole ! Juni Ba s’appuie sur des éléments du roman de Jules Verne 20 000 lieues sous les mers pour créer une œuvre personnelle toujours marquée par sa patte graphique et par sa vision lucide et humaniste.
Dans la version de Juni Ba, le Captain Nemo est le seul survivant de la crise climatique et de la disparition de l’humanité. Mais aux commandes du Nautilus, Nemo recueille Arona, une jeune orpheline préservée dans une capsule sous-marine dont il devient le précepteur afin qu’elle sauve l’humanité et retrouve sa famille. Ecumant les océans, le duo va devoir éviter de reproduire les erreurs qui ont conduit à ce cataclysme.
Eblouissement graphique
Qui feuillette Mobilis ne peut que se plonger immédiatement dans la lecture de cette nouvelle création de Juni Ba ! L’émerveillement ressenti à la vision des planches de l’artiste est total ! Juni Ba s’empare des fonds marins de façon grandiose avec un bestiaire animalier mutant aussi majestueux qu’effrayant ! L’artiste y ajoute les vestiges d’une civilisation en déliquescence que Nemo explore avec inquiétude à bord de son sous-marin de poche, tels des paysages désolés après une apocalypse. En parallèle, l’artiste présente le Nautilus, vaisseau alliant classicisme dans la tradition de Jules Verne et futurisme technologique pour un environnement d’une infinie richesse, aussi bien pour les décors et les designs que pour l’allure extérieure de cétacé particulièrement magique du Nautilus. Juni Ba glisse également quelques clins d’oeil savoureux comme l’incarnation de Conseil – domestique d’Aronnax, narrateur de l’oeuvre originale de Jules Verne – par un robot au design de Robby, le fameux robot du film Forbidden Planet.
Juni Ba explore également les tourments de Nemo à travers une envolée graphique qui puise aussi bien dans le psychédélique que dans le noir et blanc angoissant, organisant des orages électriques sous-marins flamboyants et inquiétants. L’artiste n’oublie pas de travailler sa mise en page afin de rythmer remarquablement son récit, avec des scènes d’action d’un incroyable dynamisme, et de marquer avec force les émotions de ses personnages en soignant leur expressivité.
L’une des marques de fabrique du style de Juni Ba est la mise en couleur de ses planches. Si l’on retrouve son amour pour le jaune, l’artiste explore de nouveaux horizons en termes de teintes avec une palette aussi large que sublime ! Juni Ba sait toujours aussi bien jouer du contraste des noirs avec ses couleurs.
Entre folie, inventivité et majesté, les planches de l’artiste sont un éblouissement graphique !
Récit initiatique et secrets bien enfouis
Du classique de Jules Verne, Juni Ba tire un récit initiatique porté par deux personnages immédiatement attachants, l’une par sa volonté d’apprendre et sa détermination sans faille à rendre le monde meilleur, l’autre par ses secrets qui visent à protéger Arona de la vérité du monde et ses fragilités. Le scénariste gère parfaitement l’écriture de l’apprentissage de l’orpheline, abordant la question de la transmission et de la nécessité de ne pas reproduire les erreurs des générations précédentes. La relation qu’il construit entre Arona et Nemo est remarquablement édifiée, entre difficulté de se dire les choses et attachement impossible. Les émotions qu’apportent leurs interactions sont fortes et restent gravées longtemps dans l’esprit du lecteur.
Vision pessimiste pleine d’espoir
Comme dans Monkey Meat, Juni Ba s’intéresse à des problématiques actuelles sur lesquelles il pose un regard inquiet tout en souhaitant garder un vif espoir. A travers le parcours du Captaine Nemo et l’apprentissage d’Arona, le scénariste aborde les problèmes environnementaux et climatiques qui, sans prise de conscience et agissements rapides, conduiront inéluctablement à un sombre avenir pour la planète et l’espèce humaine. Au fil des expéditions sous-marines du commandant puis d’Arona, Juni Ba traduit ces inquiétudes par une Nature sous-marine qui, à force d’être malmenée par l’activité humaine, produit des monstres menaçants bien décidés à ne plus s’en laisser conter. Malgré tout cela, l’auteur conserve une lueur d’espoir à travers Arona qui reprendra le flambeau du Captain Nemo !
L’ensemble est écrit avec justesse, force et équilibre, sans se faire moralisateur.
Mobilis – Ma vie avec le Capitaine Nemo est l’un des comicbooks de l’année et une indéniable réussite ! Porteuse d’un message fort, cette libre adaptation de 20 000 lieues sous les mers est une merveille graphique ! Indispensable !