Le créateur du fabuleux Mobilis évoque avec nous sa création et le contexte qui l’a façonnée.
Avec Mobilis, vous proposez une libre adaptation de 20000 lieues sous les mers. Pourquoi ce choix ? Quelle place possède cette œuvre dans votre culture personnelle ?
Juni Ba : C’est marrant, je ne le vois même pas comme une adaptation de 20000 lieues ! C’est surtout une réutilisation de Nemo pour une toute nouvelle histoire avec quelques éléments iconographiques et thématiques réutilisés. Le livre existe pour des besoins très personnels de trouver un exutoire en 2020. La petite histoire est que j’étais en plein confinement, suspectant une contamination au Covid parce que j’avais du mal à respirer. J’ai réalisé rapidement qu’en fait je faisais une crise de panique et j’ai eu tous ces flashs d’un capitaine Nemo post apocalyptique essayant de conserver des œuvres d’arts pour qu’il reste quelque chose de nous. J’avais lu le livre de Verne 8 ans plus tôt, et j’avais été marqué par ce personnage, son côté aventureux, son refus de participer au monde dit civilisé, mais aidant les rebelles de la surface contre l’empire colonial. J’avais déjà dessiné Nemo à cette époque, et en le revoyant durant la crise j’ai eu envie de faire une histoire sur les angoisses de fin du monde et les conflits générationnels.
Comment s’est fait le choix de conserver certains éléments de l’œuvre de Jules Verne, d’ajouter vos propres idées ?
Juni Ba : Pour moi, la question était d’aborder deux axes. Le conflit générationnel face à l’angoisse de fin du monde, et la difficulté de maintenir une relation d’affection saine avec quelqu’un qui souffre de divers problèmes psy. A partir de là, on rajoute un peu de fun pour illustrer ça, avec des créatures marines énormes, une combinaison de plongée qui devient un mecha, et des éléments plus lovecraftiens pour approcher la partie psychologique des choses. Une fois qu’on a les axes thématiques, on peut décider plus facilement de ce qui reste, ce qui est repris de Verne et pourquoi. Par exemple les créatures marines ne sont qu’une extrapolation du kraken et de la quantité absolument écrasante de listes de spécimens marins du livre original ! Mais dans mon histoire, ça devient une illustration de la petitesse de notre espèce sur terre et des espèces qui nous semblent alien et monstrueuses.
Lors de notre précédente interview vous disiez « Je n’ai jamais écrit de script ! J’écris en dessinant. » Avez-vous modifié votre façon de travailler sur Mobilis ?
Juni Ba : Ah oui ça continue toujours comme ça ! D’ailleurs en ce moment j’écris des scripts pour le dessinateur Fero Pe pour Nightwatcher, et c’est un tout autre travail à apprendre sur le tas.
Mobilis s’appuie sur la relation des deux protagonistes principaux que vous écrivez particulièrement bien, en forme de récit d’apprentissage conflictuel. Cette écriture des personnages est un aspect de l’écriture que vous aimez spécialement travailler ? Qui vous est « facile » ou au contraire qui vous demande d’y revenir avec plusieurs réécritures ?
Juni Ba : Oh ça a été réécrit plusieurs fois, mais pas mal des discussions et dynamiques sont puisées sur de vraies discussions eues à cette période et que j’avais besoin d’aborder dans un livre afin d’essayer de comprendre une phase très difficile. C’est vraiment la relation entre les deux personnages qui fait le cœur du livre. Je voulais vraiment que ça fonctionne et que ça soit vrai, et que ça permette à mon propre cerveau de faire le deuil de certaines choses.
Graphiquement, Mobilis est éblouissant. On retrouve votre folie créatrice mais j’y ai vu davantage de maitrise et un souci de lisibilité accru. Je me trompe ?
Juni Ba : Oui ! A l’époque où je l’ai pitché à l’éditeur original aux USA, j’ai dit tout de suite vouloir un très grand format pour m’obliger à ajouter du détail, et travailler la lisibilité. Chaque livre est un test ou un moyen d’essayer d’apprendre et de trouver sur quoi m’améliorer.
Mobilis sort en France chez Bayard dans la collection bande d’ados. C’était votre idée initiale lors de sa création de proposer un récit qui, de par les thèmes abordés notamment, soit à même de parler à un large public ?
Juni Ba : Je n’avais absolument aucune cible particulière en tête. Ceci dit quand on m’a dit que Bayard voulait publier ça dans un label ado, ça m’a semblé parfaitement convenir. D’ailleurs, j’aime beaucoup l’idée que ce livre ou les autres que j’ai fait soient lus et appréciés par les jeunes. C’est dans mon enfance que j’ai développé mon amour du médium donc ça fait plaisir de contribuer au cycle de la vie si on peut dire.
Entretien réalisé par échange de mails et de fichiers audios. Merci à Juni Ba pour sa disponibilité et sa grande gentillesse !