Auteur notamment du sublime Mobilis, Juni Ba revient avec The Fables of Erlking Wood, une nouvelle œuvre ambitieuse et totalement réussie ! En sa compagnie, nous posons un regard sur le processus de création de cette nouvelle pépite !
The Fables of Erlking Wood
Vous publiez The Fables of Erlking Wood chez Goats Flying Press, maison d’édition fondée par Sebastian Girner avec qui vous avez déjà travaillé chez TKO pour Mobilis. C’est ce lien avec lui qui vous a conduit à proposer ce nouveau projet chez Goats Flying Press ? C’est une personne avec qui vous aimez travailler ?
Juni Ba : Absolument ! A ce stade c’est un ami, quelqu’un qui comprend mon processus et sait m’orienter, et qui a souvent plus confiance en mes projets que moi-même ! C’est la collaboration éditoriale la plus satisfaisante que j’ai eu je pense. Et c’est notre troisième livre ensemble avec Djeliya et Mobilis, donc on a l’habitude maintenant.
Le projet a été financé en à peine une heure sur Kickstarter. Un tel engouement vous a-t-il surpris ?
Juni Ba : Je crois que Sebastian est le seul à ne pas être surpris. Il ne cessait de dire que ça se passerait comme ça, et je crois que mes propres doutes m’empêchaient de le croire. Ceci dit je suis très content qu’il ait eu raison. Ça motive incroyablement de voir de l’engouement pour ce que vous faites. L’image de l’auteur isolé chez lui est très vraie donc parfois on a l’impression de trimer uniquement pour soi, et c’est gratifiant de voir qu’il y a des gens qui connectent et ont assez confiance pour soutenir à l’avance.
D’un point de vue narratif et même graphique, je trouve que The Fables of Erlking Wood est votre projet le plus ambitieux. Je me trompe ?
Juni Ba : Je dirais que oui. La structure du livre était la plus difficile à gérer. Le côté non linéaire sur plusieurs milliers d’années. Le besoin de connecter des arcs thématiques au fil des siècles, présenter les personnages sous un angle pour en révéler davantage plus tard alors que dans la narrative, on remonte le temps. Au bout d’un moment j’avais des pages et post-its collés sur le mur de ma chambre comme un enquêteur…ou le même de Charlie Day.
Lorsque, dans notre précédent entretien, je vous avais parlé de Mobilis comme d’une forme d’adaptation de 20000 lieues sous les mers, vous n’étiez pas forcément d’accord. Le serez-vous si je vous parle du Roman de Renart comme inspiration, du moins dans la forme, pour The Fables of Erlking Wood ?
Juni Ba : Je crois que c’était pour être sûr qu’on comprenne bien qu’il ne s’agissait pas d’une adaptation directe. Et effectivement, ici il y a un peu le même principe. Le Renart est un des personnages centraux parce que la figure du trickster me fascine. Comme j’utilisais un contexte européen, je me suis dit qu’il serait le parfait personnage à utiliser pour justement appeler à tout l’imaginaire associé.
Vous m’aviez dit également travailler sans script préalable. Comment avez-vous procédé pour The Fables of Erlking Wood ? La construction du récit laisse penser que vous avez peut-être modifié votre méthode…
Juni Ba : Alors effectivement pas de script à proprement parler. J’ai effectivement fait ce que je fais d’habitude : résumer les histoires sur un document Word avant de passer au storyboard. L’étape intermédiaire ici a été ce dont je parlais : assembler, coller, déplacer et modifier des pages et post-its avec mes notes et gribouillages pour décider où mettre chaque histoire, comment elles se connecteraient, les images fortes etc.
Vous me disiez « Chaque livre est un test ou un moyen d’essayer d’apprendre et de trouver sur quoi m’améliorer. » De ce point de vue, quel a était votre objectif sur The Fables of Erlking Wood ?
Juni Ba : La structure je pense. Plein de petites histoires connectées, une narration non linéaire, des arcs inter croisés. C’est le livre avec le plus de personnages que j’ai fait, et en plus, chaque partie doit aider à un tout. Je fais de plus en plus pareil sur Monkey Meat. La prochaine batch le montrera encore plus.
The Fables of Erlking Wood prend place dans un univers de contes et de folklores. C’est un genre que vous appréciez particulièrement, dans quelque forme d’art que ce soit ? Vous avez puisé une forme d’inspiration dans certaines œuvres ? Lesquelles ?
Juni Ba : J’adore le conte. Il tape dans quelque chose de primal. D’ailleurs, en plus des contes de tricksters j’ai aussi lu des textes psychanalytiques sur ce qu’il représente dans la psyché humaine. Cette idée d’un être en dehors de la société qui peut en plier les règles et aussi être un agent d’innovation justement parce qu’il ne se sent pas limité. Et les conséquences parfois néfastes d’une figure pareille avec de tels comportements. En ce moment, je retourne vers des contes ouest africains donc je pense que les prochains projets seront plus proches de Djeliya.
Est-ce que certaines fables ont changé de forme narrative ou graphique au fil de la création ? Vous les avez beaucoup retravaillées ?
Juni Ba : Oh oui toutes ! On pourrait faire un montage d’enquêteur de police qui fixe son tableau rempli de fiches et d’images et qui bouge les choses, change les choses. Ça a pris plusieurs essais et versions, et je crois que celle qui existe est juste là parce qu’il fallait que je me force à arrêter un jour.
Vous parvenez remarquablement à mixer différentes humeurs : l’esprit des fables, de l’humour, de grands moments d’émotion. A-t-il été facile de trouver un juste équilibre entre ces différentes composantes ?
Juni Ba : Je crois que c’est très intuitif. Tirer sur l’élastique entre le merveilleux un peu sérieux et l’humour façon bd franco belge. Il y a une case où une femme oiseau gardienne de l’enfer, habillée en vêtement austère victorien surprend le renard au style beaucoup plus enfantin, qui sort une grimace à la Spirou. J’adore ce genre de mélange.
Du point de vue du dessin, je trouve que votre palette s’est encore élargie. Si l’on retrouve dans vos planches, l’énergie et le grain de folie habituels ainsi que la lisibilité recherchée sur Mobilis, j’y vais vu, sur certaines séquences, beaucoup d’ironie et de second degré également, à la façon de certains strips ou de dessins animés humoristiques – notamment avec Goupil et l’ours Beren. Vous êtes d’accord avec ça ?
Juni Ba : Oh oui totalement. Ça fait plaisir de savoir que ça se ressent d’autant plus avec eux. Je crois qu’ils cristallisent beaucoup de ce que ce livre essaie de faire. Il y a une tragédie chez eux qui se nourrit d’un sentiment d’inachevé et une pointe d’humour noir.
A l’instar de la version américaine de Mobilis, l’écrin proposé pour The Fables of Erlking Wood est sublime avec un vrai travail pour en faire un véritable livre objet. C’était votre souhait ? Encore Sebastian Girner au cœur de ces deux projets ?
Juni Ba : Au niveau du design, j’avais une idée très simple d’un beau livre de contes avec des enluminures et tout le toutim. C’est Sebastian Girner et notre designer Jeff Powel qui ont réussi à lui donner corps et le résultat est magnifique. J’espère qu’on en refera d’autres sur d’autres projets. De fait, il y a de grandes chances que cette équipe, incluant Aditya Bidikar le lettreur, continue ensemble.
Monkey Meat – The Summer Batch
Vous avez repris le concept de Monkey Meat mais en changeant la formule avec deux histoires par issues et des compléments. Pourquoi ce souhait de changer la formule ?
Juni Ba : C’est une série qui sert surtout de bac à sable pour mes idées, mes expérimentations. De petites doses pour tester des choses, sortir des choses de mon cerveau et véhiculer un peu de l’énergie qui est dans ma tête. Du coup, chaque batch sera différente je pense.
La première histoire de l’issue #1 est entièrement muette. Cela a constitué autant un défi qu’un vrai plaisir à réaliser ?
Juni Ba : Oh oui, j’adore les histoires muettes. Je veux en faire plus mais j’ai la fâcheuse tendance à vouloir mettre trop de choses dans mes bd qui ne peuvent pas être toutes explicitées par l’image. Ou alors les livres seraient trois fois plus gros…

Projets et lectures
En plus des autres issues à venir de Monkey Meat – The Summer Batch, quels sont vos projets à venir en termes de bandes dessinées ?
Juni Ba : La troisième batch de Monkey Meat ! Et au delà de ça, il y a des discussions en cours, mais je fais le choix volontaire d’essayer de diminuer ma production de gros projets. J’ai quelques idées pour une possible mini-série qui reprend la figure du griot et du folklore ouest africain. J’estime avoir suffisamment touché à divers sujets et esthétiques pour pouvoir retourner à l’Afrique sans que ça devienne la boîte dans laquelle on veut me placer comme ça commençait à être le cas au début de mes activités. Je le vois dans les offres que je reçois et comment elles ont changé de sujets au fil des années.
Quelles sont bandes dessinées que vous lisez actuellement ? Des coups de cœur ?
Juni Ba : J’ai découvert de plus près le travail de Yves Chaland ! J’adore. Ca aussi ça va influencer Monkey Meat. Et plus récent, Gachiakuta, et le travail de Chris Condon !
Entretien réalisé par échange de mails. Merci à Juni Ba pour sa disponibilité et sa grande gentillesse !