De temps à autre, nous nous autorisons une petite escapade hors du monde des comics US ! Dans le rayon Franco-Belge, figure régulièrement, dans la Pile à Lire, une bd de Zidrou scénariste déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces pages. Pour son nouveau titre intitulé Even paru chez Delcourt, l’auteur s’est associé pour la deuxième fois avec le dessinateur Alexeï (Alexeï Kispredilov) avec lequel il a déjà créé Rosko. Comme très souvent avec Zidrou, l’idée initiale sort des sentiers battus et vaut à elle seule la découverte. C’est encore le cas avec Even !
Dans un monde d’Anticipation, la société se divise en « castes » constituées de beaux et de laids, et la sexualité est au centre des préoccupations. « Le bonheur sexuel est un droit. Contribuer au vôtre, notre devoir ! » proclame l’érospital de Montpellier ! Mais une des collaboratrices de l’institut s’est suicidé. Mort qui interroge.
Le concept imaginé par Zidrou lui permet d’évoquer des problématiques actuelles tout en les ancrant dans un contexte futuriste malin, invitant le lecteur dans le monde d’Even. Le miroir avec notre monde actuel est évident : le culte de la beauté des corps, le devoir d’avoir une sexualité pleinement épanouie, la manipulation des médias et une forme de totalitarisme sociétal. Les deux premiers thèmes sont abordés au travers de scènes directes, souvent crues et bien écrites. Régulièrement, l’effet est fort et marque. L’enquête menée par une journalisme amène Zidrou à se questionner sur la façon dont sont manipulés les médias et à l’intégrité du journaliste. Classique mais efficace.
Pour traiter du culte de la beauté, l’auteur expose une femme et sa famille déclarés comme « laids ». Le portrait est à la fois touchant et dur. Leur situation n’est pas sans rappeler une ségrégation raciale récente et ses échos actuels. 
A cette richesse de thèmes, Zidrou octroie une intrigue de type « enquête » qui donne malheureusement trop dans le classique. Le déroulé et le dénouement manquent d’originalité, affadissant quelque peu l’ensemble.
Mais le récit bénéficie des dessins et couleurs d’Alexeï. Aussi bien dans l’univers créé, fait de designs et de décors futuristes, qu’au travers des personnages, le dessinateur immerge parfaitement le lecteur. Sorte de cité technologique dédiée à la sexualité, l’érospital est bâti sur des idées architecturales qui mixent l’ancien et le futuriste. Mais le gros point fort de la partie graphique est la capacité d’Alexeï a représenter les corps et la sexualité des personnages sous un angle fréquemment cru sans verser dans une quelconque forme de vulgarité. En s’appuyant sur des noirs travaillés qui jouent habillement avec les couleurs, l’artiste parvient à porter les idées du scénariste. Il opte également pour une gamme de couleurs qui singularise les ambiances et les séquences avec succès.
Un défi graphique « casse gueule » remporté haut la main !
Riche en thèmes et fort d’une partie graphique réussie, Even perd un peu de sa force au travers d’une intrigue fil rouge trop convenue. Pas de quoi gâcher pour autant un voyage original et audacieux !