Si les bandes dessinées ont un objectif de divertissement, elles ont également vocation à aborder des thèmes importants et à développer des messages forts. Améziane est un dessinateur français qui s’est emparé de personnages au destin hors norme et à la portée universelle. Mohammed Ali, Angela Davis – pour n’en citer que quelques-uns – ont été au cœur de son travail depuis de nombreuses années. Contacté par Jared Reinmuth, l’artiste a été convaincu de se lancer dans l’idée de témoigner de la révolte d’Attica en 1971, pas forcément connu du grand public, notamment de ce côté de l’Atlantique et du destin d’un des principaux protagonistes : Frank « Big Black » Smith. Publié début 2020 par Boom!Studios, le Graphic Novel débarque chez Panini Comics qui confirme son intention de retrouver une place de choix dans le comics indé en France.
A l’été 1971, le centre pénitentiaire d’Attica dans l’Etat de New-York est un concentré des dysfonctionnements du système pénitentiaire américain : prisonniers malmenés, racisme des gardiens, conditions de détention déplorables, injustices…Lorsque des surveillants font preuve de zèle, les prisonniers décident de se révolter et prennent des gardiens en otage, réclamant des conditions de détention décentes.
Se basant sur le témoignage de Frank Smith, décédé en 2004, Jared Reinmuth raconte l’histoire de ce dernier et de la révolte d’Attica de façon quasi chronologique sous la forme d’un récit-reportage, tout en l’inscrivant dans le contexte de l’Amérique du début des années 70. Depuis plus de vingt ans, la lutte pour les droits civiques s’incarne à travers de grandes figures dont fait partie Frank Smith. Les maux de l’Amérique de cette époque, gangrénée par le racisme et la corruption des dirigeants qui n’ont que leur ambition personnelle en tête, rejaillissent sur le système pénitentiaire. Les évènements décrit avec une précision méticuleuse, du décès de George Jackson l’un des leaders du Black Panther Party, abattu au pénitencier de San Quentin le 21 aout 1971, jusqu’à la terrible intervention décidée par les autorités qui met fin à l’émeute le 13 septembre, font froid dans le dos par leur caractère implacable. Jared Reinmuth n’occulte rien, laissant le lecteur abasourdi par la violence, la haine et l’absence totale de compassion et d’humanité des autorités et d’une partie des citoyens. Erigeant le mensonge en principe de communication, le gouverneur Rockfeller tente de masquer le carnage qu’il a orchestré où l’horreur atteint un niveau inimaginable.
Le déroulé du récit insère aussi habillement des moments de la vie de Frank Smith, illustrant son parcours et expliquant les motifs du rôle qu’il joua lors de la révolte, ainsi que les principales étapes du procès qui s’en suivit.
Impossible pour le lecteur de ne pas être ému et, à son tour, révolté par ce récit qui fait preuve d’une force incroyable. D’autant que la résonnance avec l’Amérique des dernières années est totalement prégnante.
Big Black Stand at Attica tire également sa force d’une partie graphique hors norme. Améziane propose une prestation de haut niveau qui varie les formes, notamment de mise en page, tout en conservant une tonalité de couleur aux teintes beiges grises ponctuées de pointes de couleurs vives qui illustrent le plus souvent la violence qui surgit. Le dessin se veut réaliste la plupart du temps, notamment pour les scènes de violence qui, à aucun moment, ne se veulent spectaculaires. Lorsque les actes deviennent insoutenables, l’artiste s’inspire des œuvres d’Emory Douglas, directeur artistique et principal illustrateur du journal « The Black Panther », et de son style au trait épais. Egalement grand amateur de comics des années 80 – Frank Miller, Bill Sienkiewicz,… – Améziane distille ces influences avec discrétion et efficacité.
Une partie graphique des plus convaincantes !
Big Black Stand in Attica relate avec une grande force un événement majeur de l’Histoire américaine, aux résonnances contemporaines. Porté par une partie graphique intelligente, puissante et référencée d’Améziane, le récit mis en scène par Jared Reinmuth marque profondément !