Cannon (VF-Komics Initiative)

Cannon
Date de Sortie
26 février 2020
Scénario & dessins
Wallace Wood
Editeur
Kiomics Initiative
La note de ComicStories
8.5

Wally Wood fut un auteur, dessinateur et encreur emblématique d’une des périodes les plus riches de l’histoire des comics. Aux côtés de Jack Kirby, dont il fut longtemps l’encreur, de Harvey Kurtzman, avec lequel il collabora sur MAD, ou de William Gaines, directeur d’EC Comics, il livra quelques unes des plus belles pages de la bande dessinée américaine. Au milieu des années 60, Wally Wood travaille pour l’armée américaine, qui distribue alors des fascicules illustrés pour ses troupes. Créant d’abord Sally Forth, récits coquins en milieu militaire où Sally ne reste que peu vêtue lors de ses aventures, Wally Wood produit ensuite avec Cannon, récit d’espionnage façon James Bond à l’érotisme omniprésent.

Pilote d’avion envoyé pour combattre la Chine communiste, John Cannon est capturé puis confié aux bons soins de Madame Toy qui, grâce à un lavage de cerveau, va en faire un redoutable assassin. Missionné pour abattre des spécialistes nucléaires américains, il est arrêté aux USA où il va subir un nouveau lavage de cerveau. Il devient alors le meilleur espion américain, ayant en tête de se venger de Madame Toy, avec laquelle il entretiendra une relation ambiguë. 

En feuilletant la superbe édition de Komics Initiative, la première remarque que l’on se fait est qu’il y a peu de pages où l’on ne croise pas une femme dénudée. L’on se remémore alors le contexte de création où l’espionnage teinté d’érotisme dans la culture pop de l’époque était à la mode et le lectorat visé, des soldats loin de leur foyer, pour aborder ce pavé d’un autre œil. Car si tout est prétexte à dénuder les jeunes femmes croisées par Cannon, la série de Wally Wood s’avère être une excellente série B d’espionnage où les missions violentes et parodiques, sans être loufoques, se multiplient, reprenant les codes du genre avec délice. La guerre froide, les dictatures sud-américaines, les maris jaloux, les secrétaires enamourées, les révolutionnaires à tendances hippies emplissent les pages de Cannon. 

Mais Wally Wood ne se contente pas de reprendre les codes du genre. L’auteur façonne un héros, dont la déconstruction puis la reconstruction a sans aucun doute influencé de nombreux auteurs. Lorsque Cannon est viré de son agence, il erre, sombre dans l’alcoolisme, se laisse pousser la barbe. Le Tony Stark de David Micheline ou le Matt Murdock de Franck Miller ont sans doute  une part de leur origine dans Cannon.

Wally Wood sait aussi faire démonstration d’un regard aiguisé sur son époque. Les manipulations politiquo-militaires des dictatures sud-américaines sont évoquées avec une certaine pertinence, ainsi que les relations des pays arabes avec Israel, un événement comme l’assassinat de Sharon Tate, encore frais dans l’esprit du lecteur de l’époque, est évoqué lorsque Cannon se trouve confronté à une secte hippie.

Si Cannon peut être qualifié de série sexiste, à raison surtout visuellement – toutes les occasions sont bonnes pour dénuder ces jeunes femmes – mais aussi par l’attitude machiste de Cannon, elle sait aussi mettre en scène des thèmes autour de la place de la femme peu abordés à l’époque. Wally Wood s’intéresse à la condition de la femme dans le monde moderne à travers le personnage de la secrétaire. Il évoque également l’avortement, ce qui ne devait pas être courant dans une bande dessinée des années 60-70. L’auteur possède également en la personne de Madame Toy, une femme forte, qui s’assume et est indépendante, tout en ayant une relation amoureuse sans états d’âmes avec Cannon.

Côté récit, le rythme de narration est très dynamique pour l’époque. Avare en texte descriptif, caractéristique qui plombe nombre de séries super-héroïques de cette période, la série file à un rythme effréné, allant à l’essentiel, au prix, parfois de sauts un peu rapides. 

Enfin, il faut évoquer les dessins de Wally Wood. L’artiste réalise des planches d’une précision et d’une régularité époustouflantes. Dans ses cadrages, ses mises en pages, ses décors qui fourmillent de détails ainsi que dans ses scènes d’action, redoutables de dynamisme, Wally Wood bluffe totalement. Mais c’est son utilisation du noir & blanc qui impressionne. Son travail sur les différentes trames de noir et de blanc permet de créer une profondeur sur ses cases qui impose un réalisme à l’œil du lecteur. L’abondance de corps féminins dénudés développe un érotisme qui ne sombre jamais dans la vulgarité. Wally Wood sait montrer ce qu’il faut et cacher ce qu’il faut. 

L’édition de Komics Initiative en format à l’italienne, est superbe. Elle contient de nombreux textes, ponctuant les épisodes de la série, qui reviennent sur la carrière de Wally Wood ou analyse son oeuvre avec pertinence, ainis que de nombreux bonus comme deux histoires courtes mettant en scène Cannon. Une belle réussite.

8.5
On aime
Une série B d'espionnage bien construite
Un dessin magnifique d'une incroyable précision
Un noir & blanc qui impressionne
Un titre qui a une influence plus importante qu'il n'y parait
Des thèmes rarement abordés pour l'époque
Une édition de Komics Initiative riche et superbe
On aime moins
La nécessité de remettre la série dans son contexte pour apprécier
Ne s'adresse évidement pas à tout le monde