Lorsqu’il prend les rênes de la série régulière – après un cours précédent passage – Brian Michael Bendis est réputé pour ses polars noirs en indé (Jinx, Torso, Powers). Dans le cadre du label Marvel Knights, qui propose des séries aux univers sombres, il lance le Diable de Hell’s Kitchen dans des aventures qui vont baigner dans cette ambiance qu’il maîtrise parfaitement. Associé au dessinateur Alex Maleev et au coloriste Matt Hollingsworth, le scénariste débute dans ce tome 1 un run légendaire de 56 épisodes.
Alors qu’il défend des citoyens dont les enfants sont décédés suite à la prise d’amphétamine produite illégalement par une entreprise, Matt Murdock est pris pour cible à la sortie du tribunal. Dans le même temps, le Caïd est mis à mal par un nouveau venu dans le milieu de Hell’s Kitchen.
Brian M. Bendis choisit de construire son récit sous forme d’un puzzle. Les éléments qu’il livre se font de manière non chronologique, incitant le lecteur à prendre un malin plaisir à assembler les pièces. La construction est remarquable. On sent que le scénariste n’improvise jamais.
Tout en étant jamais linéaire, l’histoire est sans cesse palpitante. Certaines scènes, comme celle où les agents du FBI narrent à leur patron, le récit de l’interrogatoire qu’ils ont mené, sont totalement addictives. Les dialogues sont virevoltants et ciselés. On repère déjà ce qui deviendra la marque de fabrique du scénariste – et son défaut, dans le futur – avec des séquences de phrases syncopées. Brian M. Bendis alterne également les formes avec succès : d’un épisode totalement muet, on passe à un épisode brillamment bavard avec la même réussite.
Le scénariste bouleverse également l’univers de Daredevil. Le Caïd, affaibli par sa cécité, n’est plus que l’ombre de lui-même, trahi par ses lieutenants, dont son fils au travers duquel Bendis développe la famille de Wilson Fisk. Sa femme Vanessa prend également de l’ampleur. En parallèle, les menaces qui pèsent sur l’identité secrète de Daredevil le font entamer une profonde réflexion sur son rôle, proposant une étude introspective passionnante.
La partie graphique est assurée par le duo Alex Maleev – Matt Hollingsworth qui se met au diapason du scénariste. Toutes les planches bénéficient d’un contour noir accentuant l’ambiance sombre. Les découpages s’associent au scénario pour donner plus de force aux dialogues. Les décors de la ville fait de bâtiments ternes, devinés derrière des volutes de fumée, de bitume gris, de ruelles à l’éclairage blafard, de bars aux lumières tamisées déploient toute la panoplie d’un univers de polar. Le résultat, qui peut s’apparenter au travail de Sean Phillips sur Criminal, est tout simplement impeccable.