Sorti, chez TKO Studios, simultanément à l’excellent Sara, Goodnight Paradise s’offre un casting alléchant : Joshua Dysart et Alberto Ponticelli. Le duo nous emmène dans le quartier paradisiaque de Venice Beach à Los Angeles. Paradisiaque ? Pas pour tout le monde. Joshua Dysart nous trousse un polar âpre dont les principaux protagonistes sont des SDF logeant dans des tentes de fortune en bordure de plage.
Après une nouvelle journée arrosée à la bière, Eddie, un SDF, découvre dans une poubelle, le cadavre d’une jeune femme qu’il a croisée le jour même pour la première fois. Choqué par cet événement et alors que la police semble peu encline à mettre tous les moyens en sa possession pour retrouver le coupable, Eddie se lance dans une enquête au sein de la faune qui erre aux alentours de Venice Beach.
Le personnage principal de Goodnight Paradise est un SDF qui semble avoir dans la cinquantaine, alcoolique et victime d’hallucinations. Sur le point de renouer avec un fils qu’il n’a pas vu depuis des années, il se retrouve embarqué dans cette quête de vérité qui va venir bouleverser son existence. Ressassant sans cesse ses échecs personnels, il trouve, dans cette quête, l’occasion de se prouver à lui-même qu’il peut être utile et de donner un sens à son existence.
Même si Joshua Dysart réserve un twist final au lecteur, il produit un polar au déroulé assez classique : un meurtre sordide, une enquête auprès de connaissances de la victime, et de fil en aiguille, par recoupements et témoignages, le coupable est trouvé. Rien de neuf mais c’est toutefois très solide et la construction dans laquelle l’on redécouvre petit à petit certaines scènes sous un nouvel angle est efficace.
Là où Dysart excelle, c’est dans sa description sociale de ses personnages. Du monde des SDF, il nous livre toute la dureté du quotidien. Trouver de quoi se nourrir, trouver un peu d’argent, en étant peu regardant sur ce que l’on demande de faire en échange, dégoter un endroit où dormir, vivre avec le regard des autres, le rejet des membres de sa propre famille. Mais il décrit également toute la solidarité bien présente, l’humanité de ces personnes souvent à la dérive. A travers le personnage d’Eddie, qui nous est d’emblée attachant, et son parcours chaotique, il nous livre tous les pans de ce monde. Le portrait est juste, fort et touchant.
D’un autre côté, le scénariste nous dépeint une catégorie d’individus qui vit de l’exploitation des autres, soit humaine, lorsque les filles doivent se montrer « prévenantes » dans des soirées, soit financière, lors d’investissement immobilier qui conduisent à des expulsions de petites gens. Le contraste est foudroyant et le télescopage ne l’est pas moins. Certains s’en accommodent en acceptant une somme d’argent qui dépasse tout ce qu’ils ont pu avoir en main dans toute leur existence, d’autres résistent, en vain sans doute.
Cette peinture sociale est la force principale de ce comics et clairement ce qui intéresse les auteurs.
Les dessins d’Alberto Ponticelli peuvent paraitre, de prime abord, difficiles à appréhender. Son trait un peu irrégulier et un encrage crayeux peuvent perturber. Puis leur force et leur puissance s’imposent au lecteur avec une facilité déconcertante. On se prend à les trouver beaux et finalement idéalement adaptés au récit de Dysart. S’ils manquent clairement de régularité sur les visages, ses dessins imprègnent le lecteur durablement. Les couleurs de Giulia Brusco, travaillées et nuancées, dans des tons chauds, apportent un bénéfice indéniable à cette belle partie graphique.