Après Marshall Law, Camelot 3000, Swamp Thing, Promethea et American Flagg!, Urban Comics ajoute une nouvelle œuvre à sa collection Cult consacrée, comme son nom l’indique, à des comics cultes. La particularité commune à toutes ces œuvres est l’ambition créative des auteurs, ce qui convient parfaitement au petit nouveau du groupe : Grendel de Matt Wagner.
Matt Wagner est un jeune artiste âgé de 19 ans lorsqu’il crée Grendel, en 1982, dans Comico Primer #2, un comic-book anthologique indépendant publié par l’éditeur Comico, basé à Philadelphie. Avec en tête l’objectif de créer un comic-book qui ne soit pas tributaire de décennies de continuité, Matt Wagner imagine Hunter Rose, romancier à succès mais aussi assassin sans pitié lorsqu’il revêt le costume de Grendel, ainsi que son plus grand ennemi, le loup Argent.
Miné par des soucis financiers, l’éditeur cesse de publier les aventures de Grendel au numéro #3. Le personnage réapparait deux ans plus tard en complément d’une autre série de Matt Wagner : Mage. L’auteur livre, à cette occasion, un récit intitulé Le diable par les actes, qui reprend les grandes lignes de la vie de Hunter Rose de sa naissance à sa mort tragique. C’est ce récit qui ouvre le volume proposé par Urban Comics.
Ce premier acte pose les bases d’un univers ambitieux et singulier puisque Le diable par les actes est un récit en prose rédigé par Christine Spar, fille de la fille adoptive de Hunter Rose, dont chaque page est composé comme un vitrail d’un noir & blanc, réhaussé de gris que seuls des éclats de rouge viennent parsemer, qui deviendra l’estampille graphique de l’univers. Dans ce long épisode, Matt Wagner expose au lecteur toute la vie de Hunter Rose jusqu’à son ultime affrontement avec le loup Argent.
Les grandes lignes tracées, Matt Wagner étoffe alors la destinée de son personnage au travers d’une quarantaine d’épisodes indépendants et non chronologiques, publiés entre la fin des années 90 et le début des années 2000, chacun illustré par un dessinateur différent. Sont aux pinceaux Tim Sale, David Mack ou encore John Paul Leon, pour n’en citer que trois parmi les plus fameux. Le volume se referme avec Matt Wagner qui reprend la main à la fin des années 2010 pour un long récit de près de 200 pages.
L’univers de Grendel est un thriller noir, âpre et passionnant à l’ambiance mêlant réalisme et onirisme, au cœur duquel règne le personnage créé par Matt Wagner, entre élégance et criminalité. Marqué à tout jamais par sa fugace relation passionnée avec une entraineuse d’escrime, emportée trop tôt par la maladie, Hunter Rose bascule dans la criminalité et finit par prendre le contrôle de la pègre sous le masque du terrifiant Grendel. Hunter Rose est un écrivain, sans passé et aux nombreuses zones d’ombres dont le succès est foudroyant, quand Grendel est un assassin redoutable et sans pitié, et presque dépourvu de morale – seule la défense des enfants fait surgir chez lui la compassion. A cette dualité classique mais tellement efficace, Matt Wagner ajoute un point faible à son personnage : sa fille adoptive Stacy – fille d’une de ses victimes – à laquelle il voue un amour infini et un ennemi mystérieux et puissant : le loup Argent. Les relations avec ces deux protagonistes occupent une part importante des intrigues mises en place par l’auteur. De nombreuses affaires criminelles et mafieuses au cours desquelles le ballet de l’agile assassin et de sa fourche à deux dents défile devant les yeux du lecteur, garnissent également un nombre conséquent d’histoires. Grendel est un comicbook dans lequel la violence s’invite fréquemment de façon explicite. L’assassin ne lésine pas sur les moyens d’impressionner ses ennemis, recourant à la décapitation ou à la torture psychologique et physique, en prenant soin de bien laisser sa trace avant de s’éclipser.
Si l’art séquentiel traditionnel est la forme de narration essentielle, Matt Wagner use également d’une grande richesse de formats d’écriture : Prose illustrée, poésie, conte, extrait de livre, éphéméride, et varie les narrateurs : Grendel, Christine Spar, ses futures victimes…Ajouté à cela, un univers et un personnage qui se développent petit à petit, tel un immense puzzle auquel s’ajoutent les pièces une à une, pour produire un comicbook créatif comme nul autre et effectivement culte !
Urban Comics propose une mise en contexte extrêmement riche et pertinente, notamment à travers des préface et postface des traducteurs Laurent Queyssi et Phillipe Touboul – dont on notera l’excellent travail. L’on y apprend que Matt Wagner a développé son univers depuis les années 80 avec de nouvelles incarnations dans des séries réalisées par ses soins ou confiées à d’autres artistes et qui devraient constituer les trois volumes suivants prévus. On espère que le succès sera au rendez-vous pour ce premier volume tant Grendel mérite qu’on s’y attarde grandement !
Créatif, noir, passionnant, hors du commun, Grendel n’usurpe pas sa place dans la collection Urban Cult !