Keeping Two fait partie des rencontres imprévues entre une bande dessinée et son lecteur, devenant un coup de cœur immédiat ! Dans son « petit » format rectangulaire et sa très belle co-édition aux coins arrondis de L’employé du moi et Ca & là, le roman graphique de Jordan Crane entraine le lecteur dans des territoires inattendus.
Dans ce roman graphique dont l’élaboration a pris à son auteur une vingtaine d’années, Jordan Crane propose de suivre un moment de vie de deux couples frappés par le deuil et la disparition – l’un réel, l’autre virtuel protagoniste d’un livre lu par le premier. Les deux trames s’entremêlent habillement pour scruter les traumas et les inquiétudes. Avec une justesse incroyable et une grande minutie, Jordan Crane décortique la gestion de ces évènements au sein des deux couples en proie au doute à propos de la solidité de leur engagement. Ce qui, de prime abord, pourrait apparaitre comme une banale tranche de vie devient très rapidement un récit addictif ! Grâce à un tour de force narratif et graphique, l’auteur conduit le lecteur à avaler les pages et devenir accro au récit de ces vies en plein tangage !
Ce qui marque en premier lieu est le choix de la teinte vert clair qui garnit intégralement les pages de Keeping two et le parti pris d’une narration sous forme de gaufriers 2 par 3, qui, couplée à une mise en page redoutable, impose un rythme inouïe au récit. L’artiste possède un sens du story-telling éblouissant. Il emploie divers procédés graphiques pour exprimer réalité, fiction, sentiments, pensées. Ce qui se déroule réellement figure dans des cases aux bords réguliers quand ce qui est imaginé par les personnages ou fictifs figure dans des cases aux bords ondulés. Ce qui se passe également par la tête des personnages se mêle à la narration concrète dans un procédé narratif puissant et efficace. Quelques exemples parmi tant d’autres qui témoignent d’une inventivité graphique folle et audacieuse qui trouve, en quelque sorte, son apogée dans une longue séquence finale où Jordan Crane s’autorise des envolées graphiques lyriques, teintées par instant d’influences Kandinskyenne ! Un ravissement !
Keeping Two se referme quelques longues minutes après son ouverture sans que le lecteur n’ait vu le temps passer, happé par ce suspens du quotidien, entre émotions et éblouissement !
Jordan Crane réalise un tour de force graphique et narratif pour rendre totalement addictif le récit d’un moment de vie marqué par les traumatismes du deuil et de la disparition ! Éblouissant !