Née dans l’esprit de Lorenzo De Felici il y a une dizaine d’années, l’histoire de Kroma a pris forme au fil du temps après plusieurs refus d’éditeurs européens et modifications diverses. C’est la rencontre avec Robert Kirkman et son expérience en termes d’écriture, lors de leur collaboration sur Oblivion Song, qui va être l’accélérateur principal. Initialement récit de mignonne Fantasy, Kroma gagne alors en force et s’étoffe.
Mais le point de départ de Kroma est à trouver aux origines de la carrière de Lorenzo De Felici. Alors jeune coloriste pour le marché de la bande dessinée italienne, l’artiste est fasciné par un aspect de l’art séquentiel : pourquoi et quand appliquer telle ou telle couleur. Il décide alors d’en faire une histoire et nous voici à découvrir cette magnifique œuvre proposée par Delcourt.
L’ennemie est la couleur
Kroma présente un monde où l’humanité a été quasiment décimée. Les quelques survivants se sont réfugiés dans la Cité Pâle à l’abri de l’extérieur où le Roi et ses couleurs maléfiques – synonymes de mort – sévissent. Tous les ans, les habitants de la Cité organisent un rituel étrange : une chasse censée leur rappeler le passé et dont le « gibier » est Kroma, la fille du Roi, symbole de tous ces dangers. Parmi les enfants qui parfont leur formation, Zet, un jeune orphelin, commence à se poser des questions lorsqu’il voit pour la première fois les étranges yeux de Kroma…
Teintes enivrantes
Lorenzo De Felici livre un récit extrêmement réussi et original du fait de son idée de faire jouer un rôle aux couleurs dans l’élaboration de son histoire. Le concept n’a rien d’artificiel et s’avère parfaitement et habilement utilisé. Synonyme de mort, la couleur devient partie prenante du récit, tel un personnage essentiel, et provoque rebondissement et émotions fortes. Absente de la Cité Pâle, aux inquiétantes teintes de gris, la couleur se décline en primaires et secondaires pour des rôles différents, une fois franchis les murs de la Cité protectrice. S’éloignant peu à peu dans l’inconnu de la flore environnante, l’aventure se laisse gagner par ces couleurs sublimes qui offrent alors des moments inoubliables de tension et d’émoi !
Un message aussi simple que beau
L’univers imaginé par Lorenzo De Felici est riche et cohérent. Lui octroyant une mythologie forte et étoffée, le scénariste puise son inspiration dans les mondes de traditions engoncés dans leurs croyances et dominés par des puissants qui manient le mensonge et l’oppression avec habileté. La libération viendra de la jeunesse porteuse d’un message aussi simple que beau. L’auteur parle d’ouverture vers les autres, de découverte de ce qui est étranger, de dialogue en lieu et place du repli sur soi et de la violence, de libre arbitre. Le discours est limpide et porté par une trame qui se ponctue de moments extrêmement touchants ! Difficile de ne pas être emporté par le parcours de Kroma.
Dialogue permanent entre récit et partie graphique
Lorenzo De Felici installe un dialogue permanent et subtil entre son récit et son art. En plus de la couleur qui est un rouage essentiel de son histoire, l’artiste travaille particulièrement sa mise en page qui se met au service du rythme et de la fluidité de son récit. De Felici se montre totalement redoutable lorsqu’il s’agit de surprendre le lecteur et de le toucher au plus profond avec des planches sublimes où l’expressivité des personnages emporte tout sur son passage. Nombreuses sont les planches devant lesquelles le lecteur se retrouve en arrêt, subjugué par leur beauté et leur force ! Sublime !
Kroma est une merveille qui touche par son message simple et beau, et épate par son utilisation maligne de la couleur ! Un bijou !