Jeff Lemire est un scénariste à la production récente si intensive que parfois il semble avoir du mal à dépasser le stade de la bonne idée pas vraiment exploitée. Lorsqu’il s’associe à Andrea Sorrentino, c’est, en général, pour le meilleur (Green Arrow, Gideon Falls) mais aussi parfois pour le tiède (Joker : Killer Smile, The Passageway). Si le dessinateur, colorisé par le toujours épatant Dave Stewart, réalise un récital sur Primordial, le scénario du canadien manque sérieusement de densité.
Fin des années 50. Soviétiques et Américains se disputent l’espace en envoyant des missions habitées par des animaux : La chienne Laïka pour l’URSS, les singes Able et Baker pour les USA. Leurs morts successives scellèrent la fin des programmes spatiaux. Mais n’a-t-on pas caché la vérité sur le destin de ces animaux ?
Jeff Lemire part d’évènements réels pour en faire un récit de science-fiction qui lorgne vers l’espionnage. Partageant son histoire en deux trames parallèles qui se déroulent simultanément – un thriller en pleine guerre froide et le devenir des animaux dans une sorte d’échappée cosmique contemplative – et finissent par se rejoindre. La première est un récit à suspens efficace et bien écrit qui implique des éléments d’espionnage mais ne procure aucun surprise au lecteur. Dans cette partie, Andrea Sorrentino travaille l’ambiance inquiétante et sombre des rues américaines et des frimas de l’Allemagne de l’Est. Le dessinateur s’acquitte à merveille d’une mise en page très efficace et d’un jeu sur les noirs et la lumière que viennent sublimer les teintes mats de Dave Stewart.
La seconde trame qui propose de suivre le trajet cosmique des animaux est l’occasion pour l’Italien et le coloriste Américain d’expérimenter des planches assez folles où les découpages cisaillent les pages, alternant des dominantes de blanc, évoquant le vide, et des éruptions de couleurs. Andrea Sorrentino manipule, comme souvent, les formes géométriques pour en faire un jeu de miroirs qui catapulte le récit entre réalité et fiction, passé et présent. L’inventivité des artistes est bluffante et offre des planches que le lecteur prend le temps de déguster, grâce notamment au grand format Urban que propose l’éditeur.
Mais l’ensemble manque finalement cruellement de densité pour n’être autre chose qu’une belle occasion pour Andrea Sorrentino et Dave Stewart d’en mettre plein les rétines du lecteur. L’histoire s’avère peu consistante et l’émotion recherchée à travers la relation entre la chienne et la scientifique qui s’en est occupé n’atteint pas vraiment son but.
Le lecteur reste sur sa faim au regard du scénario proposé mais s’est délecté d’une partie graphique hors norme.
Primordial régalera les amoureux d’Andrea Sorrentino et Dave Stewart qui livrent un véritable récital graphique mais le lecteur en recherche d’une histoire prenante et dense en sera pour ses frais. Un bel Artbook, en somme.