Après les excellents et originaux Girls et The Sword, Jonathan Luna revient cette fois-ci sans son frère mais épaulé par Sarah Vaughn pour Alex + Ada, une ode à l’amour et à la différence. Publiée en 3 tomes et terminée récemment, jetons un œil à cette nouvelle production.
Alex est un jeune homme qui sort d’une relation amoureuse qui s’est mal terminée. D’humeur dépressive et contre sa volonté, il reçoit de la part de sa grand-mère un cadeau d’anniversaire hors du commun : un androïde « de sexe féminin » qui obéira au moindre de ses désirs. Sa parente a elle-même le sien « de sexe masculin » et elle sait en faire bon usage. Surpris et contrarié, il finit par s’interroger sur cet androïde. Cherchant à développer davantage sa personnalité, il décide la rendre consciente, c’est-à-dire de lui permettre de penser par elle-même. Cette décision aura des conséquences pour Alex et l’androïde, baptisé Ada.
Jonathan Luna et Sarah Vaughn place leur histoire dans un monde futuriste. L’Intelligence Artificielle y a été développée à un niveau élevé, permettant à des humains d’acquérir des androïdes à l’aspect humain et en mesure d’avoir des relations sociales cadrées. Les éléments futuristes apportés sont relativement classiques et basiques (Ecran flottant, communication via des implants cérébraux, robots domestiques, IA consciente, forum internet virtuel…) mais suffisamment développés pour qu’on s’immerge dans ce monde qui n’est pas le nôtre et que les auteurs puissent faire passer tous les éléments nécessaires à planter leur contexte science fictionnel. Il n’y a de ce côté aucune innovation mais les différentes avancées sont idéalement utilisées. Le monde imaginé est tout à fait crédible, notamment les échanges entre les personnages à propos des IA .
Les auteurs mettent en place très rapidement leur récit en posant clairement les enjeux. Ils vont faire avancer leur histoire selon deux axes, essentiellement : la relation Alex-Ada, s’attardant à se questionner sur ce qu’être un Humain et la chasse aux IA conscientes, abordant le thème de la différence et de l’acceptation des minorités.
Alex va permettre à Ada de devenir consciente et donc d’avoir ses propres opinions, ses propres envies, ses propres goûts et de prendre ses propres décisions. La découverte du goût des aliments, de ses goûts cinématographiques ou vestimentaires offre des scènes légères qui contrastent avec l’ambiance générale pesante. Par le biais notamment d’infos télévisées, les auteurs développent leur contexte oppressant lié à la libération consciente de plusieurs IA, ayant conduit à des conflits avec des humains aux conséquences funestes. Luna et Vaughn avancent crescendo dans leur description de ce monde où la peur l’emporte, où la différence est contestée. La construction de cet environnement est très réussie.
Comme on s’en doute, Alex et Ada vont tomber amoureux et vont devoir vivre leur relation malgré le regard des autres et la pression sociale. L’attitude des amis d’Alex et des IA conscientes qu’Ada va rencontrer va bouleverser leur façon de vivre. Faut-il se cacher et être davantage en sécurité ou vivre librement tout en prenant des risques ? Les auteurs abordent le poids des choix de chacun et de leurs conséquences de façon intéressante, entraînant le couple à aller au bout de leurs convictions.
Mais Alex + Ada est aussi le regard porté sur la relation amoureuse entre deux individus. L’évolution du couple, allant du rapport entre un androïde et son propriétaire à deux individus à part entière qui vont tomber amoureux poussant jusqu’au sacrifice de leur propre vie, est d’une belle justesse. Les émotions sont vraies, les personnages touchants. Les auteurs nous livrent une sublime histoire d’amour à travers la découverte de l’autre, la confiance donnée, le pardon, le sacrifice. Autant de composantes bien décrites qui font de cette histoire une magnifique réussite.
L’humour par petites touches, notamment grâce à la grand-mère d’Alex, coupable de réparties grivoises, permet de soulager le rythme tendu du récit. Les auteurs réussissent à maintenir un suspens permanent, soignant leurs cliffhangers et proposant une fin tout en délicatesse et en émotion.
Les dessins de Jonathan Luna sont dans le plus pur style du dessinateur et pourraient surprendre celui qui n’y a jamais été confronté. Disons-le toute de suite, personnellement, j’aime ces dessins. Certes, ils ont leurs caractéristiques -d’aucuns diront défauts : un aspect figé, des décors dépouillés, des bouches soient fermées, soient ouvertes, signifiant que le personnage parle, des répétitions de cases…Néanmoins, je trouve que Luna réussit à nous immerger dans ses scènes et à transmettre l’émotion souhaitée. La répétition de cases est en recherche d’un effet de narration. Par exemple, le temps qui se fige ou une attitude choquée d’un personnage qui ne parvient pas à réagir. Ce n’est jamais gratuit. Ajoutons les couleurs dans des teintes douces et l’identité graphique est très nette. On aime ou pas. Je suis dans le premier camp !
Les couvertures faisant intervenir un ou deux personnages sur fond uni transcrivent bien le ton de la série.
Alex+Ada est sans aucun doute la meilleure histoire de Jonathan Luna. On imagine que l’influence de Sarah Vaughn n’y est pas pour rien. Une magnifique histoire d’amour sur fond d’ode à la différence qui touche par sa justesse et sa délicatesse. Un récit riche et intelligent qui ne pourra laisser insensible.