Après une série de courts runs, inaugurée par l’excellente mouture de Warren Ellis, Moon Knight est revenu début 2016 entre les mains expertes de Jeff Lemire. Ce run vient de se terminer en VF avec la sortie du tome 3, l’occasion est trop belle de faire une petite review sur cette série d’épisodes marquants.
Marc Spector se trouve enfermé dans un hôpital psychiatrique au début de ce run. Contrairement à ce qu’affirment ses infirmiers et docteurs qui lui diagnostiquent un trouble dissociatif de la personnalité, il assure être le justicier Moon Knight. Il va tâcher de s’évader de cet hôpital aidé par plusieurs individus de sa connaissance. Il se retrouve alors dans un New York ensablé et égyptien. On bascule alors dans un enchainement de séquences où l’on passe d’une personnalité à l’autre. Spector tente ensuite de reprendre la main et décide de tuer Khonsou. Mais il va devoir auparavant sauver un personnage qui l’a aidé en affrontant une divinité égyptienne pendant que l’on découvre les origines de Moon Knight. On se dirige ensuite vers une fin satisfaisante et apaisée( ?). Fallait-il résumer ces 14 épisodes ? Pas sûr tant chaque porte poussée, chaque plaque d’égout soulevée nous transporte dans un nouvel univers, une nouvelle dimension, entre réalité et folie.
Jeff Lemire aborde le personnage de Marc Spector comme un malade mental. Il balade le lecteur du début à la fin de son histoire. Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui se déroule dans l’esprit de Marc Spector ? Il enchaine les séquences qui distillent des informations faisant avancer le récit sans fournir d’indices sur leur réalité. Il invite le lecteur à s’interroger sans cesse et à être participatif. Les scènes avec le dieu égyptien Khonsou sont bien évidemment le fruit de l’esprit de Marc Spector mais toutes les scènes se déroulant dans l’hôpital doivent-elles être prises au premier degré, Spector étant bourré de médicaments ?
Sans jamais nous lasser, Lemire enchaine les péripéties. Il propose un récit hyper divertissant et met le lecteur constamment en activité. Il sait ménager ses surprises et rebondissements avec maestria. Il reprend des personnages classiques du cast de Moon Knight : Gena Landers, Marlène Alraude et Jean-Paul Duchamp, qu’il caractérise et développe à merveille. Les séquences sur l’origine de Moon Knight dans le tome 3 sont vraiment intéressantes et enrichissent le personnage. Ces 14 épisodes sont un vrai plaisir de lecture. Le niveau de qualité est exceptionnel avec une préférence pour les tomes 1 et 3 (Ep. 1 à 5 et 10 à 14).
Le dessinateur principal est Greg Smallwood et la coloriste qui s’occupe de ses dessins est Jordie Bellaire. Ces individus sont des dangers pour les finances des lecteurs tant leur travail est merveilleux. La mise en page est constamment imaginative. Smallwood ne trace pas les bords des cases, il n’utilise pas toujours la totalité de la page. Le blanc domine dans ses compositions. Les uniformes des infirmiers et des malades, le costume de Moon Knight sont d’un blanc immaculé. Les dessins sont d’une précision et d’une régularité incroyables, tantôt crayonnés, tantôt plus appuyés. Les couleurs « marbrées » sont magnifiques, que ce soit les tons gris ponctués de teintes plus vives dans l’hôpital, les tons verts dans les scènes en extérieur ou encore ceux chamarrés de la scène d’ouverture du tome 3 se déroulant dans l’enfance de Spector. Greg Smallwood sait créer des scènes immersives et originales. Chaque lieux est immédiatement caractérisé. Sans ce duo, ce comics ne serait pas le même ! Il participe grandement à sa réussite.
D’autres dessinateurs interviennent, essentiellement dans le tome 2, pour l’utilisation des différentes personnalités. F. Francavilla, pour Jack Lockley, propose son style particulier et terriblement original qui convient parfaitement. James Stokoe pour une incarnation cosmique inédite dans un style dynamique et excessif. Wilfredo Torres, pour Steve Grant, réalise des séquences qui paraissent presque classiques à côté des autres, conservant toutefois une excellente qualité. Jeff Lemire utilise habillement ces variations mais l’importance du duo Smallwood-Bellaire apparait évidente.
Moon Knight est un personnage qui a bénéficié ces dernières années de séries originales où un scénariste a pu imprimer sa patte. Les épisodes signés Jeff Lemire entrent dans cette catégorie. C’est suffisamment rare dans le comics mainstream pour être noté et ne pas passer à côté !
Moon Knight par Jeff Lemire est une expérience totale. Une expérience graphique tout d’abord avec ces magnifiques planches du duo Smallwood-Bellaire. Expérience de lecture intelligente et divertissante ensuite. Un run incontournable !