Le passage sur grand écran, souvent médiocre, des héros de comics nous permet toutefois de profiter des ressortis sous format papier de quelques titres légendaires. C’est le cas avec les New Mutants de Chris Claremont sous forme d’une première intégrale et d’un Marvel Icons. C’est ce dernier volume consacré à la prestation de Bill Sienkiewicz qui m’a particulièrement fait de l’œil. Après un premier essai déstabilisant à la lecture du X-Men Classic n°3, contenant les épisodes 18 à 22 consacrés à la saga de l’Ours Démon, en 2012, époque bénie où Panini publiait encore du vintage en kiosque, je me suis laissé séduire par ce gros pavé.
Chris Claremont lance sa série New Mutants en mars 1983 à la demande de Marvel qui souhaite profiter du succès des X-Men. Les débuts de la série sont dans l’esprit des années 80’s avec une certaine candeur encore palpable. A partir du numéro 18, Bill Sienkiewicz arrive et les choses changent, une révolution s’opère.
Le dessinateur apporte son style expérimental, totalement neuf dans les comics. Le duo d’auteurs démarre avec la saga de l’Ours Démon qui d’entrée impose sa marque. Sienkiewicz s’inspire du peintre Egon Schiele pour son trait, notamment avec les personnages.
Ses représentations oniriques faites de taches, de points, de traits irréguliers, de hachures, d’éclaboussures et de lacérations déstabilisent par leur force et leur innovation. Malgré ces particularités pas forcément accessibles, la lisibilité et la narration n’en pâtissent nullement. Que cela soit dans les scènes cauchemardesques se déroulant dans les esprits ou les limbes, dans les scènes d’action ou les scènes plus intimes, les dessins de Sienkiewicz gardent tout leur impact.
Claremont profite de cet apport graphique pour proposer des sagas innovantes et hors du commun. Il développe abondamment ses personnages à l’histoire toujours torturée. Sam Guthrie, premier chef d’équipe, marqué par la mort de son père, Illyana Raspoutine influencée par sa vie dans les limbes, Roberto Da Costa brisé par la mort de sa compagne et l’éloignement de son père vers le Club des Damnés, Rahne Sinclair métamorphe à l’éducation religieuse stricte, Amara alias Magma et Danielle Moonstar, deuxième chef d’équipe et dont l’Ours Démon serait responsable de la disparition de ses parents, forment ces New Mutants. Chacun se pose des questions sur sa place au sein de l’équipe, doit faire face à son passé et construit ses relations avec les autres. Tout au long de ses épisodes, les héros vont expérimenter la cohésion de l’équipe.
Claremont crée deux personnages : Warlock et Légion. Le premier est un extraterrestre chassé par son père et qui vient trouver refuge sur Terre. Sa caractérisation est liée à son design inventé par Sienkiewicz, sorte de pantin hirsute techno-organique, déformable à souhait. Sa façon de s’exprimer et ses réactions face aux péripéties de ces terriens apportent une vraie fraicheur candide. Le second est le fils de Charles Xavier et de Gabrielle Haller. C’est un ado schizophrène traumatisé. La saga se déroulant dans son esprit est d’une inventivité graphique folle et novatrice. Le récit est habillement construit, le scénariste sème les petits cailloux de ses différentes intrigues au fur et à mesure des épisodes, rien ne tombe jamais comme un cheveu sur la soupe et rien n’est abandonné en cours de route. Cela tranche agréablement avec la fréquente linéarité des comics modernes.
Les épisodes 32 à 34 sont dessinés par Steve Leialoha, dans un style beaucoup plus classique. Est-ce l’inventivité plus restreinte de l’artiste par rapport à Sienkiewicz, toujours est-il que la saga est plus naïve dans son déroulement. Sienkiewicz revient sur les 4 derniers épisodes uniquement pour encrer les dessins de Mary Wilshire et Rick Leonardi. Même si ses compositions folles ne sont pas de retour sous la plume des autres dessinateurs, l’on perçoit très clairement sa patte et les épisodes regagnent en mysticisme et maturité. On pourra juste regretter l’impact du crossover Secret Wars II qui vient s’immiscer dans certains épisodes de façon confuse pour qui ne l’a pas lu et quelques expressions malvenues dans les dialogues, sans savoir si cela vient de la traduction. Mais « le bien est fait », les 14 premiers épisodes sont immanquables.
Malgré des thèmes mystiques et oniriques difficiles d’accès de prime abord, ces épisodes, sublimés par le génie de Sienkiewicz, constitue une lecture passionnante, originale et marquante. Graphiquement, c’est une expérience totale ! Indispensable ! Le format Icons proposé par Panini est parfait pour ce chef d’œuvre.