Scénariste de comics depuis 2012, Tom King a connu une ascension constante. Grayson, The Vision et actuellement Batman font partie des cordes figurant à son arc bien fourni. Mais de 2001 à 2008, l’auteur a travaillé pour la CIA, notamment en s’engageant parmi les troupes se rendant en Irak. C’est de cette expérience que King tire le comics Sheriff of Babylon.
Sheriff of Babylon tourne autour de trois personnages. Christopher, ancien policier chargé d’entrainer les forces de police de l’Irak libéré, Nassir, ancien policier « collaborateur » de Saddam Hussein et Saffiya ou Sofia, politicienne qui a fui l’Irak lorsque sa famille a été tuée par des hommes de Saddam Hussein et revenue au moment où l’armée américaine a envahi le pays. On suit le destin de ces personnages brisés qui cherchent leur place dans ce conflit dénué de sens, croisement de politique, de religion, de diplomatie et de terrorisme.
Tom King écrit son récit sous la forme d’un polar râpeux sur fond de guerre. La traque d’un terroriste mise en place permet au scénariste de décrire les attitudes de chaque partie prise dans le conflit : du cynisme des autorités américaines à l’opportunisme de certains irakiens, en passant pars la diplomatie de Sofia, le retournement de veste teinté de sincérité de Nassir et la confusion de Christopher, King nous dresse un portrait sans concession d’une humanité égarée et brisée. Chaque personnage se débat avec ses contradictions et son histoire et avance à tâtons.
La puissance du récit de Tom King tient en ce qu’il alterne l’intime et le globale. L’histoire de chacun s’insère dans le quotidien irakien de l’époque. Elle permet des séquences dures, violentes, tristes ou d’une belle humanité. Lorsque Christopher se retrouve en tête à tête avec Fatima, on est touché par leur complicité dans cette environnement de destruction. Lorsque Nassir prend soin de sa femme, on a la boule au ventre. Tom King étend son propos vers une analyse du conflit avec une description de l’occupation américaine, sans patriotisme mais plutôt d’un point de vue humaniste.
Au contraire de l’impression de vide qu’ils laissent parfois sur Batman, les dialogues de Tom King sur Sheriff of Babylon sont très travaillés, plein de sens et toujours justes, traduisant les émotions des différents protagonistes avec peu de mots. Sa narration est à la fois séquentielle, chaque épisode tenant la route isolément, et à la fois globale, son histoire s’étoffant sur la durée.
Sheriff of Babylon est un excellent comics qui bascule vers le chef d’œuvre avec le travail graphique de Mitch Gerads. La variété et l’efficacité de la mise en page apporte au scénario de King une qualité supplémentaire exceptionnelle. Des compositions en gaufrier – dont il est coutumier – jouant sur les symétries et les répétitions, des cases noirs simplement remplies d’une onomatopée traduisant le tir d’une arme, des plans fixes laissant juste l’expression du personnage traduire les émotions. Autant d’inventions graphiques qui font l’originalité et la force du comics. Les couleurs orangées nous font respirer la chaleur du désert, les tons bleus ou verts apaisent ou créent une tension palpable. Rien n’est laissé au hasard et l’ensemble tient du petit miracle.
Aussi bien du point de vue de sa narration, de sa partie graphique que des émotions qu’il procure, Sheriff of Babylon est un pur chef d’œuvre ! Ma meilleure lecture VF de l’année !