Premier comics TKO à arriver dans ma besace, Sara était celui qui me tentait le plus et le porte étendard du nouvel éditeur. Réalisé par Garth Ennis, Steve Epting et Elizabeth Breitweiser, l’histoire aborde un thème cher au scénariste : le récit de guerre.
L’histoire concoctée par Ennis se déroule pendant la seconde guerre mondiale et possèdent plusieurs particularités. D’abord, elle prend place sur le front germano-russe et du point de vue russe, ce qui n’est pas si fréquent, et elle met au centre de l’échiquier plusieurs femmes engagées dans l’armée, ce qui est sans doute encore plus rare dans les récits guerre tout genre confondu.
Sara est le personnage principal de l’histoire. Jeune femme russe, sniper à la redoutable efficacité, elle se retrouve au sein d’un groupe de femmes soldats sur le front russe. Recrutée pour leur habileté au tir, elles sont chargées dans un premier temps d’éliminer un gradé nazi puis de défendre la position de leur garnison.
Plus que le récit de guerre en lui-même dont la trame de fond reste classique, c’est clairement le portrait de ces femmes qui intéresse le scénariste, et en particulier celui de Sara. Même si cette dernière est la plus développée, toutes ces femmes ont une personnalité bien définie. En ces atroces temps de guerre, le caractère de chacune se fait jour devant les difficultés rencontrées. Vera, plutôt taiseuse et brute de décoffrage, Mari, fragile sous sa carapace, ‘Rina qui dirige le groupe et entretient une relation ambiguë avec Sara, Darya, patriote jusqu’au bout des doigts, Lydi, à la belle candeur. En décrivant le quotidien banal, les longs moments d’attente dans les baraquements ou cachées avant de passer à l’action et les moments de tension lors des affrontements, Garth Ennis tissent de fortes relations entre ces femmes qui doivent serrer les coudes. Les dialogues, bien écrits, et la diversité des scènes permettent à Ennis de construire des portraits riches et intéressants.
Sara est le meilleure sniper du groupe, et reconnue comme telle par les autres femmes, déterminée et motivée par un objectif dont l’origine s’avère moins évidente au fil du récit. Garth Ennis sait nuancer son personnage de façon habile. L’histoire récente de sa famille, les relations qu’elle est amenée à entretenir avec sa hiérarchie bâtissent un fil rouge de fond qui évolue. A la fois fidèle à sa volonté de tuer du nazi, elle n’est pas dupe sur les manipulations de l’autorité avec laquelle est en opposition. Cette dernière est incarnée par une femme lieutenant Raisa, au comportement lunatique et excessif et par des supérieurs masculins sans scrupules.
Le scénariste rend ses personnages féminins attachants, en particulier son héroïne. Les hommes du récit sont, eux, réduits à des trouffions maladroits et goujats, des dirigeants manipulateurs ou de la simple chair à canon.
Au-delà de ces portraits, Garth Ennis n’élude pas les horreurs de la guerre : torture, traitrise, mort, mais il le fait de manière subtile, par petites touches. Lui qu’on a connu graveleux et outrancier, il ne verse à aucun moment dans ces caractéristiques. Tout est fait avec mesure. Son récit n’est pas construit de façon linéaire. Il le bâtit par séquences à la temporalité variée qui s’insèrent dans l’action et éclairent les évènements présents, le rendant plus riche et plus surprenant. La construction est clairement pour une lecture en recueil. Certes découpée en 6 chapitres et disponible également sous forme de singles, son histoire possède un rythme lent et l’absence de cliffhanger totalement marquant à la fin de chacun d’entre eux, témoigne de cette construction. La lecture n’en pas moins plaisante bien au contraire. Cette écriture qui avance pas à pas se déguste.
Le duo Epting – Breitweiser, qui a déjà fait des miracles sur l’excellent Velvet de Ed Brubaker, remet le couvert avec un résultat aussi magique. Le dessinateur a un talent assez exceptionnel pour croquer de sublimes visages de femmes. Chacune a une personnalité graphique bien différente, en adéquation avec le caractère que leur a donné Garth Ennis. Steve Epting travaille les expressions et les ombres à merveille. Ses scènes de guerre sont immersives sans être exagérées et l’apport des couleurs d’Elizabeth Breitweiser est indéniable, surtout dans ces scènes enneigées totalement envoutantes. Pas d’esbrouffe mais de la variété dans la mise en page et des décors aux petits oignons viennent achever un travail de toute beauté et remarquable.
L’édition proposée par TKO est tout bonnement excellente. Un recueil solide avec un papier mat épais. Pas de problème d’impression et un lettrage sobre. Pas fioritures ou de bonus, toutefois, mais pour un lancement, on s’en contentera.