Semences (VF-Futuropolis)

Semences
Date de Sortie
9 février 2022
Scénario
Ann Nocenti
Dessins
David Aja
Editeur
Futuropolis
La note de ComicStories
9.5

Semences – The Seeds en VO – fut publié outre-Atlantique chez Dark Horse Comics dans le label de Karen Berger, légende de l’édition comics, qui fut pendant près de 30 à la tête de Vertigo. Les quatre épisodes furent publiés en l’espace de plus de deux ans en VO donc voir débarquer chez Futuropolis le récit d’Ann Nocenti et David Aja en volume collecté en VF est un vrai plaisir. La scénariste est dans l’industrie depuis plus de quarante ans et connue, notamment, pour avoir pris avec brio la suite de Frank Miller sur Daredevil quand le Hawkeye de David Aja et Matt Fraction est devenue LA référence sur le personnage.

Dans un futur proche, le monde est en décomposition et désormais séparé en deux zones. D’un côté, une société sécuritaire obsédée par la technologie et de l’autre, des groupes d’individus décidés à vivre différemment. Mais des aliens sont venus récolter les graines de l’humanité…

Ann Nocenti et David Aja proposent un contexte oppressant et inquiétant, aussi bien scénaristiquement que graphiquement. La narration déstructurée, qui suit plusieurs personnages, entraine une entrée dans le récit assez complexe et extrêmement mystérieuse mais qui pose les bases du monde imaginé par la scénariste – et fortement inspiré du monde actuel. Ecologiquement dévasté, possédé par le diktat des technologies numériques et leurs dérives, mené par une doctrine sécuritaire, miné par la corruption et l’argent et, désormais, coupé en deux, le monde court à sa perte.

Elle-même ancienne journaliste, Ann Nocenti place au centre de son récit Astra, une journaliste intègre et idéaliste, qui enquête sur des aliens qui se sont implantés dans la seconde zone et se livrent à une étrange activité de collecte de graines humaines. Travaillant pour un média nommé « Scoop », Astra se heurte aux injonctions des fake news et des scoops, préférant le reportage de fond. L’exploration des ces dérives, notamment au travers d’échanges entre Astra et sa boss est glaçante de réalisme et fait froid dans le dos.

Le portrait de la catastrophe écologique se fait jour par petites touches à travers des séquences où les abeilles disparaissent, les intempéries se multiplient, la production animale à des fins alimentaires explose, l’épandage cache des secrets inavouables. Difficile de ne pas y retrouver le monde actuel.

Composante étrange, la présente des aliens interroge d’abord le lecteur. Mais très vite ce dernier comprend que ces extra-terrestres permettent à la scénariste d’aborder différents thèmes qui l’intéressent et dont ils deviennent les protagonistes. En particulier, convaincus de la déliquescence de la race humaine, ceux-ci n’ont que mépris pour eux, les considérant comme des sujets d’expériences. Mais le rapprochement d’un alien et d’une humaine va instiller un infime espoir dans ce récit extrêmement sombre.

La quasi bichromie à dominante verdâtre de David Aja est parfaite pour exposer cet univers déstabilisant et pesant. Usant très régulièrement d’un gaufrier 3 par 3, l’artiste joue idéalement sur les compositions de pages, imposant une narration fluide et subtile. Travaillant énormément le jeu de lumière entre le blanc et le vert, le travail de l’artiste hypnotise. Les décors léchés immergent parfaitement, que cela soit dans l’oppressante urbanité ou dans la nature martyrisée et les designs de personnages possèdent une réelle singularité. Une partie graphique en totale symbiose avec l’univers développé.

L’édition de Futuropolis est très belle avec une tranche arrondie et des postfaces enrichissantes des auteurs à propos de la création de Semences.

Semences envoûte, dérange, interroge. Riche en thèmes, subtil et oppressant dans sa narration, le sombre récit d’Ann Nocenti développe sa force au travers d’une partie graphique hypnotique de David Aja !

9.5
Points forts
Une partie graphique hypnotique
Un récit sombre et subtil
Riche en thèmes