Amy, Ginny, Beth, Nina, Rose, Orson, Nick, Joey. Autant de prénoms qu’il est impossible d’oublier après avoir refermé ce premier volume de Stray Bullets. Sur une durée d’une petite dizaine d’années, David Lapham narre la destinée d’un groupe d’individus tous plus ou moins paumés. En proie à une forme d’isolement, qu’il soit familial, social ou mental, chacun tâche de trouver son chemin. La route sera pour tous marquée par la violence qui gangrène la société – aussi bien urbaine que rurale.
Les personnages imaginés par David Lapham ont tous un grain. Face à des situations auxquels ils ne sont pas préparés, ils vont dégoupiller. La folie dans laquelle ils sombrent alors passe par un déchaînement de violence, un abandon aux addictions ou des rencontres inappropriées. David Lapham croque ses personnages en les tordant dans tous les sens, en les ridiculisant pour certains, les rendant monstrueux pour d’autres. Mais jamais il ne les juge. Il parvient même à poser un regard tendre sur eux, transmettant par-là même, cet attachement au lecteur. C’est une des forces de Stray Bullets : On aime tous ses personnages ! On a une tendresse particulière pour Amy Racecar (Amy Bolide en VF…) et son délire onirique ou la jeune Ginny dans son parcours initiatique des plus rudes.
L’ambiance de Stray Bullets est bien évidemment celle du thriller sombre mais celui-ci gagne, du fait de la folie de ses protagonistes, en humour absurde voire grotesque dans sa deuxième partie. Les dialogues sont truffés de répliques drôles et décalées qui traduisent le déphasage des personnages avec la réalité.
Mais la force principale de Stray Bullets réside dans sa construction. David Lapham choisit un découpage en épisodes que l’on imagine indépendants dans un premier temps. Mais, à l’image d’un Tarantino qui a popularisé cette forme au cinéma, il bâtit son récit de façon non chronologique sous forme de pièces qui viennent s’emboîter petit à petit pour former un final épique dans lequel toutes les émotions déjà rencontrées viennent se mélanger. Le scénariste maîtrise les ellipses temporelles qui permettent d’établir une caractérisation profonde des personnages et de distiller, par petites touches, quelques éléments de l’intrigue qu’il n’est pas nécessaire de montrer. Le lecteur est finalement bluffé par la cohérence de l’ensemble. Le plaisir de lecture est incontestable !
Côté dessin, David Lapham choisit pour illustrer son récit, le noir et blanc pur et dur qu’il domine parfaitement. Sa maîtrise des ombres et son trait d’une grande précision lui permettent de créer les ambiances souhaitées : glaçante, humoristique ou touchante. Le découpage métronomique sous forme de gaufriers 4 par 2 instaure un rythme narratif qui entraîne le lecteur.
Delcourt publie, dans ce gros volume à la couverture légèrement souple, les 14 premiers épisodes de cette série qui en compte 42. De quoi voir venir de belles heures de lecture devant nous. On attend cela avec impatience !