Nombreux ont été les nouveaux éditeurs indépendants à fleurir ces derniers mois aux USA. Après TKO Studios et ses excellentes séries, l’on vous parle aujourd’hui de Ahoy Comics et plus particulièrement de son premier titre : The Wrong Earth de Tom Peyer et Jamal Igle.
Sur la Terre Alpha, radieuse, Dragonflyman est un vigilant qui mène la vie dure aux criminels en s’appuyant sur les forces de police avec lesquels il s’entend parfaitement. Sur la sombre Terre Omega, son homonyme est un vigilant qui punit les vilains démoniaques mais effraye également l’individu moyen, tout en ayant maille à partir avec les flics corrompus. Un jour, par l’intermédiaire d’un miroir dimensionnel, chacun se retrouve sur la Terre de l’autre où l’environnement n’est évidemment pas celui auquel il est habitué.
La première page annonce sans ambiguïté la couleur : on est dans l’hommage parodique aux comics de super-héros. Le héros et son sidekick sont attachés à une table en forme de 1 comme le nom de leur Némésis Number One. Ils sont affublés d’identiques costumes que seule la couleur différencie, marqués de leur symbole sur la poitrine. Une paire de lunettes surmontée d’antennes cercle leurs yeux. On les observe tenter d’élaborer un moyen de s’échapper alors que Number One s’adresse à eux via un haut-parleur. Scène classique du comics de super-héros qui plante immédiatement le décor ! Reste à voir dans quelle direction le scénariste va choisir de s’orienter : hommage respectueux ou pochade parodique ? Il ne choisit finalement pas vraiment mais adopte un compromis plutôt réussi.
Tom Peyer construit une véritable histoire autour de cet échange de Terre, amenant des situations qui vont mettre au défi les caractères des deux Dragonflyman. L’un, vrai gentil apprécié de tous y compris des honnêtes forces de police, va se retrouver face à des gens qui ont peur de lui et de flics véreux. L’autre, qui inspire la peur et se bat contre une police corrompue est accueilli en héros et parvient difficilement à se défaire de ses habitudes brutales et radicales. Cela crée évidement un décalage très drôle mais interroge aussi sur le rôle du héros et de ses méthodes.
Les hommages sont évidemment multiples mais très souvent vus sous un angle parodique. Le sidekick est un jeune adolescent, plutôt naïf. On pense aux Robin. Les vilains sont plutôt déjantés et ont des comportements exagérés. Ils sont soit assez balourds, soit très brutaux et sans pitié. Leurs designs et leurs attitudes font penser à Harley Quinn ou au Joker. Dragonflyman a bien sûr sa Dragonfly-mobile bardée de gadget. Le ton est souvent drôle et léger mais le récit procure aussi ses moments d’émotion. Tom Peyer sait toujours garder la mesure pour ne pas sombrer dans le ridicule et l’exagération. Son histoire tient la route et contient son lot de rebondissements qui tiennent le lecteur en haleine. Un commentaire méta sur le médium comics se fait par contre peu jour alors qu’il aurait eu toute sa place. C’est le seul reproche que l’on pourra peut-être faire à Tom Peyer : ne pas avoir été assez ambitieux de ce côté. Mais peut-être n’était-ce pas du tout son objectif. On prendra The Wrong Earth comme un vrai plaisir sucré qui fait du bien aux amateurs de comics de super-héros. C’est déjà pas mal !
On pourra regretter le côté anecdotique des histoires backup présentées en fin de volume qui n’apporte pas grand chose, à part peut-être celles dessinées par Franck Cammuso dans un style des années 30-40.
Côté dessins, Jamal Igle offre un travail remarquable de compromis entre modernité et classicisme. Il conçoit une mise en page dynamique et travaillée tout en plaçant ce qu’il faut d’images iconiques classiques. Ses designs sont dans la plus pure tradition du comics de super-héros. Certaines scènes d’action sont empruntes d’une certaine naïveté et son trait légèrement rond amène ce qu’il faut de bonhomie. Mais jamais il ne tombe dans le style old school qui pourrait rebuter certaines lecteurs et certaines scènes peuvent même être violentes et sanglantes. Les couleurs chaudes d’Andy Troy apportent ce côté positif qui éloigne The Wrong Earth du style Grim and Gritty en vogue à l’heure actuelle.