Il n’y a pas que les comics super-héroïques. Il n’y a pas que les comics anglo-saxons. Delcourt nous le rappelle avec Trese, série anthologique philippine mêlant polar et imaginaire traditionnel signée Budjette Tan et Kajo Baldisimo.
Dans les bas-fonds de Manille, mégapole surpeuplée et étouffante, lorsque le soleil se couche, il ne fait pas toujours bon errer dans les rues sombres où créatures magiques et criminels se croisent. Lorsqu’une affaire prend une tournure plus qu’étrange, la police fait appel à Alexandra Trese.
Alexandra Trese est un personnage sorti de l’esprit de Budjette Tan et des crayons de Kajo Baldisimo en 2005. D’abord dur à cuire affrontant des monstres, Trese devient rapidement une femme à la personnalité singulière et riche. Plongée dans le Manille nocturne, propriétaire du bar le Diabolical, Alexandra Trese possède des pouvoirs magiques hérités de son père et de son grand-père qui lui permettent de résoudre des affaires face auxquelles les méthodes traditionnelles sont impuissantes. Affublée de deux frères gardes du corps, eux-mêmes pourvus de pouvoirs et d’un certain sens de la dérision, elle est appelé régulièrement par le Capitaine Guerrero, policier bien content d’avoir du soutien dans ce genre de cas.
A travers des histoires indépendantes, écrites comme des nouvelles policières qui vont droit au but, Budjette Tan convie le lecteur dans l’imaginaire, le folklore et les croyances philippines. S’inspirant des histoires que lui contaient ses ancêtres lorsqu’il était jeune, le scénariste élabore des scénarios vifs qui ne s’embarrassent pas de décompression. Le lecteur s’initie ainsi aux créatures liées à la terre, au feu ou assoiffées de sang, à des tribus diverses liées au vent ou aux allures d’équidés orgueilleux.
Les contes de Budjette Tan empruntent des thèmes classiques comme la vengeance, les histoires d’amour, les rivalités entre crapules tout en dépeignant un pan de la société philippine avec sa criminalité, ses inégalités sociales, son système économique et bien sûr ses croyances fortement ancrées.
Les récits possèdent une rare efficacité d’écriture, une fluidité narrative impressionnante et se closent régulièrement sur un note touchante qui souligne les drames personnels mis en jeu. Le scénariste use d’un dispositif narratif particulièrement bien trouvé en distillant les secrets des êtres magiques au travers du journal du père d’Alexandra Trese qui livre les clés de ce monde surnaturel à la fin de chaque épisode. Cela permet également de créer l’idée d’héritage familial qui étoffe l’aura qui émane de l’héroïne.
Trese puise aussi beaucoup de sa force dans la partie graphique de Kajo Baldisimo qui propose un sublime noir & blanc. D’emblée, l’artiste s’approprie l’univers imaginé par Budjette Tan, à la fois urbain, nocturne, magique, crasseux. Si l’on perçoit rapidement une évolution dans le trait de l’artiste qui gagne vite en assurance, son dessin fin se pare de noirs puissants sans doute réalisés aux feutres ou markers qui ornent et offrent des contours marquant aux personnages et aux décors. Que cela soit dans l’aspect criminel, intime ou magique, Kajo Baldisimo montre une maitrise de l’environnement qu’il développe. Les créatures ou éléments magiques bénéficient de designs originaux et l’artiste soigne ses compositions de pages, livrant quelques doubles pages remarquables. Une partie graphique au diapason des histoires !
Côté édition, Delcourt propose les bonus présents dans la version VO avec des préfaces et postfaces éclairantes et un format semi-souple inhabituel mais agréable.
Série anthologique mêlant polar et imaginaire traditionnel philippin, Trese s’impose par son originalité, son écriture percutante et sa partie graphique envoutante. Alexandra Trese, héroïne fascinante, a tous les atouts pour devenir un personnage classique de la bande dessinée !