Interview – David F. Walker

A l’occasion de la sortie chez Hi Comics du premier tome de Bitter Root et alors que le deuxième arc va débuter aux USA, le scénariste David F. Walker nous a accordé un peu de son temps pour parler comics, Amérique et culture.

Les origines de David F. Walker

David, comment en êtes-vous venu à travailler dans les comics ?

J’ai toujours voulu travailler dans les comics depuis que je suis enfant. J’écrivais et dessinais mes propres bandes dessinées, et quand il a fallu aller à l’université, je suis allé dans une école d’art. Mais c’était difficile, et j’étais jeune et impatient, alors j’ai abandonné le dessin. En même temps, j’ai commencé à écrire davantage, parce que l’écriture était plus facile pour moi. Finalement, j’ai obtenu un emploi de rédacteur et d’éditeur pour un journal, et j’ai passé de nombreuses années à travailler en freelance. Mais je n’ai jamais abandonné mon rêve de travailler dans la bande dessinée. Juste avant d’avoir 40 ans, j’ai réalisé que je n’en avais pas fait assez pour poursuivre mon rêve, alors j’ai commencé à écrire des bandes dessinées, à collaborer avec des artistes et à développer mes compétences.

Bitter Root

Le script de Bitter Root est écrit avec Chuck Brown. Est-ce que chacun a un rôle particulier dans l’écriture ou est-ce un travail commun ? Qu’est-ce que chacun apporte au scénario ?

Il s’agit d’un travail commun. Chuck et moi développons l’histoire ensemble et nous exposons les grandes lignes de chaque épisode. Ensuite, l’un de nous écrit la première ébauche, et l’autre la reprend. Nous faisons des allers et retours comme ça. Parfois j’écris le premier, et parfois c’est Chuck.

Bitter Root résonne clairement avec le climat actuel de peur et de haine de l’autre ? Pourquoi avez-vous voulu aborder ce thème ? 

C’est un thème important à aborder. Nous devons parler des questions de peur et de haine si nous voulons les surmonter. Avec Bitter Root, une partie de ce que nous explorons est la façon dont les gens font face à la peur et à la haine, et comment cela les façonne et a un impact sur leur vie. Le racisme a un effet énorme sur la vie de beaucoup de gens, et ils doivent apprendre à vivre leur vie, tout en survivant à cette chose très maléfique.

Pourquoi avoir situé votre histoire dans les années 20 ?

C’est une période très intéressante de l’histoire des États-Unis, surtout pour les Noirs. C’était l’époque de la Renaissance de Harlem et une période étonnante de croissance artistique et culturelle. En même temps, pendant que tout cet art étonnant était produit à Harlem, dans le reste du pays, les Noirs étaient terrorisés et assassinés.

À la fin de chaque épisode, vous proposez des textes qui sont liés à la culture afro-américaine. Pourquoi est-il important de faire ce lien ?

J’aime apprendre de nouvelles choses et les partager. Je suis aussi professeur d’université, donc j’enseigne tout le temps. Nous avons pensé que ce serait une excellente occasion si nous utilisions chaque numéro de Bitter Root pour partager des informations historiques. Je suis très fier de tous les essais qui figurent à la fin de ces épisodes.

Bitter Root laisse aussi une part au divertissement avec le genre surnaturel. Pourquoi avez-vous choisi cet angle pour raconter votre histoire ?

Les monstres sont toujours amusants et ce sont de bonnes métaphores pour des thèmes comme le racisme, la haine et la peur. Vous pouvez utiliser les monstres pour incarner ce dont vous voulez parler et faire en sorte que ce soit une histoire amusante.

La collaboration avec Sanford Greene

Vous avez travaillé avec Sanford Greene sur Power Man & Iron Fist et maintenant sur Bitter Root. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

On s’est rencontrés il y a plusieurs années au Comic Con de San Diego. On a souvent parlé de travailler ensemble mais le timing n’a jamais été bon. Puis Marvel m’a approché pour écrire Power Man & Iron Fist, avec Sanford comme artiste. C’était un titre que j’aimais quand j’étais enfant et des personnages que j’ai toujours voulu écrire. Le fait de travailler avec Sanford rendait la chose encore plus excitante.

Qu’est-ce qui vous séduit dans son dessin ?

Même si les images sont statiques, il y a une toujours sensation de mouvement dans son dessin. J’aime l’énergie de son travail et la façon dont elle circule.

L’influence des comics

Vos séries ont souvent un aspect social et/ou politique prononcé. Pensez-vous que ces messages peuvent avoir une influence importante sur les lecteurs de comics ?

Les gens voient ce qu’ils veulent voir dans les comics ou dans d’autres divertissements. Si quelqu’un cherche à être inspiré ou influencé, il trouvera toujours quelque chose dans l’histoire, même si ce n’est pas vraiment là. Et pour certaines personnes, tout ce qu’elles veulent, c’est être diverties, et elles ne cherchent pas de message, donc elles n’en voient pas. J’essaie d’écrire des histoires qui sont d’abord et avant tout divertissantes. Tout type de message social ou politique est secondaire à l’histoire et aux personnages.

Selon vous, la bande dessinée a-t-elle un rôle particulier à jouer dans la société actuelle ?

La bande dessinée peut jouer un rôle essentiel dans la société d’aujourd’hui, si les gens sont ouverts à sa lecture. Les bandes dessinées sont souvent considérées comme enfantines ou un divertissement vide de sens, mais elles sont tout aussi limitées par leurs créateurs et par les lecteurs qui les lisent. J’ai écrit un roman graphique sur la vie de Frederick Douglass et j’ai entendu de nombreux enseignants qui l’utilisent en classe pour enseigner à leurs élèves. Ces enseignants qui utilisent mon livre ont pris la décision de donner un rôle spécial aux bandes dessinées dans leur salle de classe et c’est une excellente chose.

Est-il difficile de créer des séries engagées en 2020 aux Etats-Unis ?

La création est difficile, partout et tout le temps. Faire de la bande dessinée peut être facile, et cela peut aussi être difficile. Tout dépend de la personne avec laquelle vous travaillez, de l’éditeur, du rédacteur en chef et de toutes sortes d’autres facteurs. Si c’était trop difficile, personne ne le ferait. Si c’était plus facile, plus de gens feraient probablement des bandes dessinées.

Travailler chez Marvel

Est-ce que c’est vous qui vouliez travailler sur les personnages de Nighthawk, Power Man, Iron Fist ou Luke Cage ou est-ce Marvel qui vous l’a suggéré. Comment cela s’est-il passé ?

J’ai toujours voulu écrire Luke Cage et Iron Fist. J’aimais bien Nighthawk, mais écrire sur ce personnage ne m’était jamais venu à l’esprit. Marvel m’a d’abord approché à propos de Nighthawk et j’ai pensé que ce serait un personnage intéressant à écrire. En même temps, ils m’ont demandé avec quels personnages je voulais vraiment travailler et Luke Cage/Power Man et Iron Fist étaient tout en haut de la liste.

Pourquoi était-il important pour vous de travailler sur ces personnages en particulier ?

Pour Luke Cage et Iron Fist, ce sont des personnages avec lesquels j’ai grandi et avec lesquels j’ai toujours voulu travailler. Il s’agissait vraiment de réaliser mes rêves d’enfant, ce que j’ai eu la chance de faire.

Nighthawk a été interrompu au bout de 6 épisodes. Quelle en était la raison ? Aviez-vous prévu une histoire plus longue ?

Les ventes ont été très mauvaises dès le début. Au départ, il devait y avoir douze numéros, mais la série a été réduite à six épisodes. Heureusement, j’ai eu assez de temps pour réécrire les deux derniers numéros, pour que l’histoire soit complète et cohérente.

Dans Nighthawk, vous vous interrogez sur la violence et la justice. Comment cela résonne-t-il avec la société américaine ?

L’Amérique est une nation fondée sur la violence, avec une vision déformée de la justice. Ce que certains considèrent comme la justice dans ce pays est une injustice envers les autres. Je voulais explorer cela autant que possible dans Nighthawk.

Écrirez-vous à nouveau pour Marvel ? Quel personnage  vous intéresserait ? Et pourquoi ? 

Si le bon personnage et une bonne opportunité se présentent, je travaillerai à nouveau pour Marvel. Mais il n’y a aucun personnage qui m’intéresse particulièrement en ce moment. Il n’y a pas d’histoires de X-Men ou de Spider-Man que j’ai envie de raconter.

Liberté créative et projets futurs

Préférez-vous développer vos propres histoires ? Est-il plus facile de faire passer vos messages en indé ?

J’adore travailler sur des comics indépendants. Il y a tellement plus de liberté créative. Il y a des défis à relever, notamment financiers, mais en ce moment, je me concentre sur des projets plus indés et je raconte les histoires que je veux raconter, avec les personnages que je crée.

Nighthawk ou Bitter Root sont des séries sérieuses dans leur ton – même si Bitter Root contient un certain second degré – mais Power Man & Iron Fist avait un ton humoristique prononcé. Est-il plus difficile pour vous d’écrire une série avec un ton humoristique ?

J’aime écrire sur un ton humoristique donc c’est généralement assez facile pour moi. Parfois, je dois modifier des scripts, parce qu’il y a trop d’humour. J’aime quand quelque chose me fait sourire ou me fait rire à gorge déployée, et j’aime quand mon travail fait aussi cet effet sur les lecteurs. Mais l’humour doit s’adapter à l’histoire qui est racontée.

Quels sont vos futurs projets en plus de Bitter Root ?

Je travaille sur plusieurs séries appartenant à des créateurs, dont One Fall, qui parle de lutteurs professionnels combattant des êtres surnaturels. Un autre projet s’intitule The Hated. C’est un western. J’adore les westerns produits en Italie dans les années 1960, en particulier les œuvres de Sergio Corbucci et de Sergio Leone, et The Hated s’inspire de ces films.

Avez-vous le temps de lire des comics ? Quelles sont vos lectures du moment ?

Je suis tellement occupé que je ne lis pas beaucoup ces derniers temps. Je lis Aquaman de Kelly-Sue DeConnick, et j’adore, mais je suis en retard dans mes lectures. J’ai aussi lu récemment The Art of Charlie Chan Hock Chye de Sonny Lieu*, et j’ai trouvé que c’était l’un des meilleurs romans graphiques que je n’ai jamais lu.

*Paru en VF chez Urban Comics sous le titre « Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée ».

Merci à David F. Walker d’avoir répondu à ces quelques questions et pour sa disponibilité.