Bilan et perspectives 2023-2024

Pour la cinquième année consécutive, voici notre « bilan et perspectives » sur le monde des comics VF et le constat est sans appel : les années se suivent et se ressemblent ! L’année 2023 a débuté par un chef d’œuvre illustré – en partie – par John Pearson, 2024 commencera également par une pépite dessinée par l’artiste britannique ! Que s’est-il passé entre Blue in green et Mindset ?

Un marché encore en berne

Porté par un marché du livre en net recul par rapport aux années qui ont suivi le Covid, le marché des comics est en berne. Rien de nouveau sous le soleil, me direz vous, mais cette année 2023 semble avoir marqué un étape supplémentaire dans la chute de l’intérêt du public pour les comics. Les facteurs de cette forme de désamour sont multiples et pas toujours palpables vu de l’extérieur, néanmoins, l’on peut réfléchir en dressant un panorama des problèmes apparents, ainsi que des choix faits par les éditeurs pour contrecarrer ces difficultés, tout en donnant un point de vue de lecteur.

Des ventes fréquemment faibles

N’importe quel amoureux de bande dessinée américaine qui suit sur les réseaux sociaux ses éditeurs favoris – soit en tant qu’entité ou personnalisé par son responsable éditorial – a entendu parlé des fameux chiffres GFK et du nombre souvent famélique d’exemplaires vendus ; des valeurs souvent évoquées par Sullivan Rouaud (HiComics) ou Nicolas Beaujouan (404 Comics) – y compris lorsqu’elles sont exceptionnellement bonnes – qui dressent régulièrement un portrait assez maussade. Des ventes à moins de 500 exemplaires ne sont pas rares. D’un autre côté, chacun a pu constater l’attrition des rayons comics dans les lieux de vente où ne demeure finalement, pour l’essentiel, que du super héros !

Diverses causes identifiables

Bien évidemment, le contexte économique conduit la majorité des lecteurs a réduire les dépenses, à commencer par les biens culturels, ce qui ne peut que pénaliser le monde du livre en général. L’augmentation des prix, quasi généralisée chez les éditeurs de comics, en raison de différents coûts a porté également un sérieux préjudice à la diffusion du médium. Néanmoins, le niveau de ventes d’une majorité de titres est tellement faible que cette situation ne peut être uniquement imputable au prix.

Un nombre de sorties bien trop important pour que chacun y trouve sa place

La première raison de l’incapacité de certains titres à l’indéniable qualité à trouver leur public vient d’abord d’un nombre de sorties bien trop important. Que cela soit en franco-belge, en manga ou en comics, le nombre de titres reçus par les libraires chaque semaine est effarant et ne permet pas à un titre qui ne touche pas les lecteurs très rapidement d’avoir une vie correcte. Il s’agirait donc de réduire le nombre de sorties. Certains éditeurs avaient fait le choix de ce parti pris dès leur création, comme 404 Comics qui n’a proposé qu’une petite vingtaine de titres en l’espace de deux ans et demi, ou ont fait ce choix contraint comme HiComics qui n’aura que 4 indés en 2024 contre un peu plus du double lors de ses premières années, ou encore Delcourt qui a également réduit sa production. Judicieux pour la survie de leur production mais on imagine que c’est plutôt vers les grosses cylindrées que le tri devrait être fait. Certes, Panini et Urban Comics possèdent les droits des deux univers historiques de super-héros et se doivent d’avoir une présence forte sur le marché mais le nombre de sorties mensuelles des deux éditeurs pose question. D’autant que la qualité du matériel proposé interroge également, notamment du côté de chez Panini. Un éditeur n’est pas une œuvre de bienfaisance et est là pour faire du business, néanmoins, on imagine, naïvement peut-être, qu’un éditeur est aussi un prescripteur culturel qui se doit trier le bon grain de l’ivraie dans le catalogue à sa disposition. Marvel n’est pas à son meilleur actuellement et DC Comics alterne le bon et le sans intérêt. Si Urban Comics semble, malgré tout, faire un tri dans la production venant des USA, on voit mal l’éditeur faire, par exemple, l’impasse sur le Batman de Zdarsky malgré sa faiblesse. De son côté, la volonté évidente de Panini d’inonder les étals est claire. Et comme l’éditeur a découvert le matériel Vintage il y a peu, Omnibus, Intégrales et Epic Collection sont venus alourdir le poids des étagères au risque décourager son propre lectorat.

Reste au lecteur, dernier maillon de la chaine, de faire des choix entre le dernier et faible Spider-Man et le magique Kroma… mais le lecteur n’est-il pas captif au contraire de ce que l’on l’imagine souvent ? Nous y reviendrons…

Ce premier levier semble envisagé par quelques structures mais pas suffisamment généralisé pour avoir un impact fort sur le marché et la possibilité pour les titres potentiellement plus confidentiels de se faire une place.

Le levier du format et du prix

Certains éditeur ont élaboré des stratégies pour aller chasser le lecteur d’art séquentiel au sens large – mais plus concrètement, le lecteur de franco-belge – en proposant des format plus grands et plus luxueux. C’est le cas, essentiellement, d’Urban Comics qui a lancé son format Urban qui rappelle les belles éditions franco-belge. Si l’éditeur a rencontré quelques beaux succès – East of West, Toute les morts de Laila Starr et surtout l’énorme carton The nice house on the lake – ce format ne peut être répété que sur un nombre très restreint de titres, au genre très spécifique, et surtout pas par tous les éditeurs sans faire grimper les prix de façon rédhibitoire. A contrario, le format Nomad a démontré le choix de la part d’Urban Comics du pari du poche et du prix mini pour aller trouver de nouveaux lecteurs. Si la qualité du produit et l’enthousiasme général de la communauté comics ont sans doute permis à la collection de bien décoller, on peut se demander quel lecteur s’est laissé séduire et si cela sera sur la durée. En effet, nombre de lecteurs déjà acquis à la cause ont sauté sur l’occasion pour compléter leur collection à moindre prix et les étagères dédiées dans les librairies donnent parfois l’impression de se couvrir de poussière faute d’achat récent…Les « vrais » nouveaux lecteurs sont-ils venus en nombre ? Pas sûr…Et l’on peut penser que ces nouveaux lecteurs ont été séduit par le prix doux et n’iront pas investir sur des format traditionnels plus onéreux, avec en tête que « les comics c’est pas cher »…

Politique tarifaire

La politique tarifaire est également très variable selon que l’on soit une structure où chaque livre se doit d’être rentable indépendamment de ses petits copains ou que l’on peut compenser une perte à droite par un succès à gauche. A défaut de pouvoir proposer des prix de lancement bas – tome 1 à 10€ – , désormais plus forcément synonyme de succès, même relatif, ou de pouvoir proposer des éditions à petit prix, certains éditeurs ont choisi de choyer leur produit avec des effets de fabrication, pour mieux faire passer la pilule de l’augmentation de prix. Néanmoins, cette idée n’a guère rencontré d’écho positif chez les lecteurs. En parallèle, pour faire baisser les prix, la tentation du format souple revient régulièrement sur le tapis mais ne rencontre guère d’enthousiasme chez les éditeurs, cette fois-ci, les éloignant ainsi du lecteur franco-belge tant convoité; et forcé de constater que la France a une tradition de bande dessinée au format cartonné.

Lecteur captif ou volatile ?

Faute d’une base très large, les éditeurs sont en quête de nouveaux lecteurs. L’enjeu pour le comicbook « indépendant » – ce qui n’est pas du super-héros, dans notre esprit – est de capter des lecteurs de Marvel ou  DC ou de ratisser plus large, vers le franco-belge. Depuis plusieurs années que ce débat existe et que les tentatives ont été nombreuses, difficile d’imaginer que le lecteur soit prêt à se laisser gagner par l’adhésion durable au comicbook indé. Excepté quelques succès ponctuels dont on a déjà parlés, le constat est clair : le lecteur ne va pas vers le comicbook – en raison d’un budget contracté ? d’un manque d’ouverture ? d’habitudes trop ancrées ? du cliché comics = super-héros ? Les raisons sont sans doute diverses et croisées mais à court terme, il semble que nous devions faire le deuil d’une extension large.

Libraires prescripteurs

Dans un éventuel élargissement du lectorat, les libraires ont évidemment un rôle primordial d’explication et de découverte. Malgré les années qui passent, l’idée reçue que « les comics c’est des super-héros » perdure. Nombre de libraires tentent bien évidemment d’annihiler ce cliché mais le chemin est encore long. D’un autre côté, les libraires doivent ils creuser davantage la route tracée par certains éditeurs qui visent à ce que le comicbook sorte des étagères estampillées « comics » pour se glisser entre deux volumes franco-belges – la collection Urban vise clairement cet objectif ?  Faut-il tout simplement garder sous l’appellation comics les titres de super-héros et éparpiller les autres titres dans des étagères par genre ? Dans certaines grandes surfaces culturelles, l’espace conséquent permet de répartir certains titres dans deux secteurs, par exemple, avec succès au niveau vente. La réponse à ces questions ne fait consensus ni chez les éditeurs, ni chez les libraires. Le débat reste ouvert.

Lecteurs influenceurs

Celui qui a le pouvoir est évidemment le lecteur. En étant curieux, en priorisant des titres potentiellement de qualité prescrits par les libraires ou la multitude de sites spécialisés, en rompant avec des habitudes pas toujours pertinentes, en acceptant de payer un peu plus cher des titres proposés par des « petits » éditeurs, le lecteur aura forcément une influence sur l’orientation culturelle du marché. Encore faut-il que la production soit de qualité, ce qui, du côté super héroïque, n’est clairement pas le cas, et du côté indé, très variable. Le marché VO où les artistes connaissent des conditions de travail précaires, induisant un niveau de qualité fluctuant, n’aide pas non plus.  Néanmoins, dans des genres très variés, il est encore et toujours possible de piocher de très bons titres, comme en témoigne notre top 2023.

Nos attentes pour 2024

Afin de compléter cet édito, nous vous proposons de découvrir le 334ème épisode de notre podcast, enregistré hier en compagnie de Clément et Matthieu, dont voici le menu :

Timecode version Audio Timecode version Vidéo
Intro 0:00:00 0:00:00
2023 : Le Bilan 0:02:11 0:02:17
Nos attentes pour 2024 1:04:38 1:05:36
ComicStories Awards 2023 : les nommés 1:43:37 1:45:01
Conclusion 2:00:04 2:01:41



Si le constat n’est pas très rose et les difficultés toujours plus nombreuses, l’on se doit de rester optimiste ! Au vu des annonces faites par les éditeurs pour le début d’année 2024, il est indéniable qu’en étant curieux et sélectifs, il n’y a pas de raison que nous ne trouvions pas notre bonheur de lecteur ! En espérant que la variété de la proposition VF perdure et que la qualité soit au rendez-vous !

Dans tous les cas, nous répondrons présents pour vous aider dans vos choix de lectures ! Merci de votre soutien et de votre confiance, et, bien entendu, excellente année 2024 à toutes et tous !