Quelques mois après l’excellent et surprenant Panorama, Delirium remet en lumière l’artiste cubano-américain Michel Fiffe en publiant le premier volume de sa série Copra, auto-publié depuis 2012 en VO.
Indéniablement inspiré par la Suicide Squad de John Ostrander dont il est un admirateur, Michel Fiffe imagine une équipe de têtes brûlées sacrifiables dont les parcours personnels, bien en marge de la légalité, en font toute la spécificité et que l’on envoie en mission sur des terrains rarement accueillants. Tout en gardant cet esprit explosif, l’auteur impose sa patte graphique et ses propres enjeux.
Lorsque l’on ouvre un livre de Michel Fiffe, c’est d’abord les dessins qui marquent. Copra ne déroge pas à cette règle. L’artiste se réapproprie les designs de ces héros criminels, empruntant autant à la Suicide Squad qu’à la Doom Patrol de Morisson ou à certains personnages Marvel en les immergeant dans une solution artistique indépendante et radicale pour un résultat d’une immense richesse.
L’artiste exploite pleinement les possibilités du médium. Son travail de mise en page impose une variété de compositions qui servent systématiquement le récit et son rythme. Du plus basique découpage au virevoltant assemblage de cases dans l’espace de la page, en passant par la perméabilité des cases entre elles où les personnages échangent, l’inventivité de Michel Fiffe permet à la narration de toujours en sortir gagnante. Les onomatopées sont partie prenante des actions des personnages, devenant, à leur tour, actrices de la bande dessinée. Le dessin de Michel Fiffe possède également un réel dynamisme qui se révèle particulièrement efficace sur les scènes d’action, le plus souvent muettes, grâce à une maitrise du mouvement.
L’artiste utilise une multitude de matériaux graphiques. De l’élégance vaporeuse de l’aquarelle aux fragiles crayons de couleur, en passant par les inquiétants aplats de noir, la mixture proposée crée une ambiance de SF décalée et originale. Le jeu sur les couleurs aux tons pales, tantôt translucides, tantôt compactes, renforce cet aspect irréel de l’univers qui accueille l’action.
A partir d’un contexte maintes fois usité, Michel Fiffe montre tout son talent à en proposer une version innovante et fraiche.
Du point de vue scénaristique, l’histoire proposée par Michel Fiffe se pare également d’une richesse qui allie intrigue principale dotée de rebondissements efficaces et sous-intrigues centrées sur les personnages. En variant les points de vue narratifs, l’auteur développe la psychologie de ses protagonistes, ainsi que leur histoire personnelle. Torturés, instables, sensibles, individualistes, les membres de la troupe disparate parviennent à unir leurs qualités pour accomplir leur mission. Le rythme de narration est trépidant, sans temps morts, excepté pour mieux développer les personnages. La multiplication des sous-intrigues permet également de relancer la machine à intervalles réguliers. Le lecteur n’a jamais le temps de s’ennuyer !
La traduction de Virgile Iscan est excellente et fluide, parfaitement dans le ton de la série. L’édition de Delirium est, elle, à nouveau, superbe.
Copra confirme donc Michel Fiffe comme un acteur singulier et important de la bande dessinée américaine actuelle, renouvelant un genre usité avec une grande inventivité. On attend désormais la suite prévue pour le printemps prochain.
Comme Panorama avant lui, ce volume 1 de Copra confirme que Michel Fiffe possède désormais une place de choix dans notre bibliothèque. Singulier et inventif, l’auteur marque à nouveau les esprits. Grâce à Delirium, Copra débute en France et l’on sait que la plaisir va durer encore longtemps, longtemps…