[Edito] Amazing Spider-Man #26 : Une toile tant acculée ?

Format particulier pour un papier prosaïque, la review kiosque devient un édito ! 

10 ans, une décennie d’un règne inédit dans le turn over contemporain des scénaristes des héros franchisés. Slott était là en 2008, un épisode #546 ou le retour du Tisseur après l’empire Straczynski. Malheureusement, cette boucle sans fin d’une situation initiale sera le râle de lecteurs fatigués par un Parker back to basics. Pourtant des années se sont écoulées, Slott est toujours là, dans un régime transitoire perpétuel. Risquons-nous à faire un peu de lumière sur le parcours de son personnage.  Avec Brand New Day, l’auteur se lance avec maladresse dans le schéma de la reconstruction, mais cette fois sur un long terme, insaisissable à l’époque. Il est alors aisé de camper dans le bunker des bases ; rafales aux moindres changements, et coup de semonce lors des trop nombreuses marches arrière d’un éditeur frileux voire gelé par un personnage icône. Un paradoxe que Slott s’approprie, pour mieux le briser. Le caractère de cette énorme refonte ne se limite pas. Une vision touche à tout où camarades, alliés et antagonistes se voient modifiés. Une approche monochrome serait dommage, alors Slott s’apprécie pour son audace. La création habite les premières pages, Martin Li entre en scène. Two Face moderne, entre affaires humanitaires et criminalité, entre gris clair et gris foncé, une dualité incarnée aussi par le visuel du nouvel arrivant. Alors que Parker ne semble pas évoluer, le regard de Slott est d’abord tourné vers sa galerie de vilains. 

– New ways to create –

Un remaniement complet est orchestré. Martin Li est probablement l’étincelle de création que Slott n’est pas prêt de souffler . Il serait très laborieux de tout résumer ici, la grande toile mondiale est votre meilleure amie. L’Anti-Venom, l’Anti-Araignée, Le Lezard, le Rhino, Electro, Hobgoblin, Green Goblin, Morlun, un liste à peine complète où Slott ne se prive de rien, et d’aucun personnage. Big Time, l’étape suivante du grand plan marque un tournant dans la vie de Parker. Son embauche chez les laboratoires Horizon est une porte ouverte, que Slott n’a toujours pas refermée d’ailleurs. Employé en tant que chercheur par Max Modell, une couverture parfaite pour l’expérimentation de nouvelles technologies pour son partenaire Spider-Man. Slott reprend l’idée du financement de l’alter ego par l’identité civile. C’est la part belle à une orgie de costumes, tous plus étranges les uns que les autres, procurant une diversité visuelle riche, pas forcément au gout de tout le monde déjà. L’idée se concrétise une fois Secret Wars terminée, Peter Parker fonde Parker Industries et la fondation Ben Parker. Nous y reviendrons. Un rondouillard à céphalopode mécanique est peut être la vraie obsession du scénariste. 2012, End of Earth est un ultimatum écologique lancé par un Octopus sur la fin, encapsulé dans son sarcophage métallique.  La série en 8 numéros réunit l’univers Marvel, ligué contre la paix toute sauf verte du Docteur. End of Earth est encore une fois jugé sévèrement, et si le commentaire sur l’hyperbole narrative est acceptable, ce ne sera qu’un palier vers Amazing Spider-Man #700. Quel plus bel affront que de supprimer Parker pour un numéro anniversaire, une épisode 700 encore dans toutes les mémoires. Un échange corporel immonde au départ, où l’un prend le corps de l’autre, un affront supérieur qui se révélera génial. Slott renverse les concepts des clones et des remplacements des 90’s, Superior Spider-Man suspend toutes les lèvres. On prend alors conscience du chemin parcouru. Une installation planifiée vers ce point précis. Tous les éléments sont là pour faire de cette toute nouvelle halte un immanquable. Et pourtant, comme à chaque tentative désespérée de bousculement des routines, la tension monte, le concept ne prend pas. 

– My Slott ennemy –

Peter n’est plus, vive Gunther ! Il faut le reconnaître, le principe même de Superior a de quoi dérouter, un game changer par excellence. Nous sommes en janvier 2013, la série durera 33 numéros, jusqu’aux portes d’un univers plus vaste encore. Tout simplement, la vie professionnelle du personnage se concrétise. L’idée historique du jeune adulte enfermé dans l’incapacité de réussir, Slott lui tord le coup, faisant de Gunther Parker un scientifique émérite et reconnu. Un doctorat, un emploi stable et les prémisses d’une réussite industrielle, voilà ce qu’apporte dans un premier temps le scénariste. Des ajouts bienvenus, Peter Parker ayant toujours eu ce rôle de génie sans une exploitation véritable, vieillerie rajeunie par le scénariste. La vie amoureuse, d’habitude source de tous les ennuis, est elle aussi cuisinée façon calamar. La jeune Anna Maria Marconi est l’idylle inavouée de la série. Et si ce changement de love interest peut faire grincer, la relation est inchangée : un amour impossible, pilier quasi immuable du mythe de l’Araignée. La caractérisation du nouveau Spider-Man est une invective quasi déplacée. Avec des méthodes expéditives, un ton froidement assuré et un rejet des autres systématique, rien n’est plus à sa place. Ce Spider-Man franchit même la ligne rouge, plusieurs fois, en public et justifié par le moindre mal. Les codes du lecteur régulier sont profondément bousculés. L’accueil n’est pas bon, tout le monde fustige l’essai. D’ailleurs, Superior ne trouvera un succès que posthume. Durant ces numéros, Slott déconstruit sa déconstruction : Doc Oc s’effaçant devant le retour, d’abord vaporeux, de Parker.  Tout le monde s’accorde maintenant pour reconnaître cet apport innovant de Slott au personnage. Puis, cycle oblige, Peter Parker retrouve son enveloppe et sa vie, propulsé dans l’étonnante pagaille de l’auteur. Amazing Spider-Man (2014) #1 est d’ailleurs l’une des meilleures ventes de ces dernières années, cristallisant le paradoxe. Superior est un exercice de style astucieux, pourtant son glas est félicité par un nouveau #1. Mais, il y a un mais, Slott est continu. Tout l’héritage précédent est conservé, la réussite est encore au rendez-vous. Parker est revenu dans un monde inconnu, où tout doit être reconstruit. Un énième tour de force de Slott, une icône réconciliée avec ses fidèles, balancée dans un contexte inventif, et personne ne crie au poulpe ! Reprenons, le démantèlement de Parker se traduit de plein fouet par l’arrivée violente, mais réelle, de Doc Oc dans le rôle. On le sait, l’auteur aussi, ce personnage est l’un des vilains emblématiques, une relation particulière l’unissant à Parker. Seulement, Superior est, in fine lui aussi, l’élagage d’un antagoniste glissant sur la pente de la nuance. Le retour d’un Parker comme objet décoratif, mais très attractif, n’est qu’un moyen de développement narratif. 

– Slott Nation – 

Mais que peut bien nous préparer Slott, tous les compteurs sont à zéro en cette année 2014, rien ne semble se préparer. Slott s’appuie alors sur la continuité totémique du personnage, autre époque faste du Tisseur. Les Héritiers, Morlun et sa famille, traquent l’essence des Spider-Men dimensionnels. Avec Spider-Verse, Slott développe tout un univers, avec des itérations plus géniales les unes que les autres. Nous sommes une fois de plus bousculés, l’auteur va plus loin que Straczynski, mais plus héroïque que confidentiel. Ce Spider-verse est aussi une porte de sortie comme d’entrée, un portail d’exploration pour les artistes qui suivront, comme ce mois-ci avec Spider-Man par Brian M Bendis.  Pourtant, l’auteur ne s’arrête pas, il porte l’estocade finale. Peter Parker est alors à la tête d’un empire industriel mondial, une ultime trahison d’un héros starkisé à outrance. Seulement, son ascension n’est que la concrétisation d’un potentiel, et surtout la suite logique à Big Time. Forcément, la personnalité du personnage évolue tout en respectant sa bonne humeur et sa verve. Comme pour Superior, Slott ne renie pas, mais bâtit sur un socle existant. Ce nouveau contexte conduit jusqu’à La Conspiration des Clones, dernier récit majeur en date, à peine terminé en VF d’ailleurs. Une référence assumée aux grandes saga passées, où Slott choisit le confidentiel et met de côté l’aventure extravagante. Je vous renvoie aux critiques concernées, la Conspiration ramène au grand jour le jusqu’alors silencieux Octopus. D’ailleurs, Amazing Spider-Man #26 le ré-installe dans un rôle d’une évidence tentaculifère. Slott s’amuse même de ces fameux retours, adressant une pique aux lecteurs tombant immédiatement dans le piège supérieur tendu. Un habile jeu sur la réciprocité, les épithètes et les identités mêlé à un ton pour cette fois débridé, rythmé, une course vers l’avant où le protagoniste est accompagné de sa nouvelle conquête. La multitude des intonations est aussi une force du maxi run

– The Man who collects Spider-Man –

Après ces longues lignes droites, une évidence méthodique apparaît, Slott propose. Certes, d’autres pourront soulever une redondance au sein même du mouvement. La réunion annuelle est remarquée, un rendez-vous d’artifice brûlant qui rebat les cartes à chaque fois. L’alternance des alter egos, les échanges entre personnages, si ce sont bien les termes du contrat pour une avancée constante, la signature n’est pas inenvisageable. Slott est bien l’un des rares à avoir modifié réellement l’ensemble de la sphère entoilée. Une tautologie étendue à plusieurs années en continuité, où tout est utilisé pour la postérité, et le sera encore, l’auteur ne semble pas vouloir se dérober de la toile. Evidemment, apprécier ou pas les travaux de l’auteur relève du goût personnel, mais il serait malhonnête de ne pas admettre qu’il est l’un des rares à tenir un cap.

Le cas Slott fait barrage. En amont, des étendues de lecteurs égouttées par la passoire du changement. En aval, ceux qui se faufilent à travers, acceptant les idées du scénariste. Pleinement conscient du débat, il joue avec rebond cette partie des retours et des innovations. Ce règne décennal en aura déçu, en aura ravi, tout mais pas l’indifférence. Avec saveur et avec couleurs, Slott bouscule les codes avec respect, calquant même le cycle bouclé de production du média. Cet Amazing Spider-Man #26 est le nouveau point « d’encrage », l’un de ces recommencements continuels auquel l’auteur nous a habitué, et qui participent donc à la redécouverte.