Interview – John Allison

A l’occasion de la sortie de By Night chez Bliss éditions et de la réédition sous format deluxe de Giant Days chez Akileos, rencontre avec John Allison, scénariste britannique qui a débuté par le webcomics avant de rencontrer le succès grâce à Daisy, Esther et Susan !

Les origines de John Allison

Pouvez-vous nous raconter les origines secrètes de John Allison ? Comment l’enfant qu’était John est-il devenu l’artiste qu’il est aujourd’hui ?

Mon origin story est ennuyeuse. Quand j’étais enfant, je dessinais les mêmes mauvaises bandes dessinées que tous les enfants et adolescents, des copies des bandes dessinées et des personnages que j’aimais, par exemple je mêlais mes personnages avec Rogue des X-Men . Mais je n’ai jamais rien fini, ni écrit une histoire qui ait un sens. La façon dont je dessine maintenant est une version légèrement meilleure que quand j’avais 20 ans mais je me suis beaucoup amélioré en écriture. Je peux désormais écrire une vraie fin à une histoire. Il m’a juste fallu une vingtaine d’années pour apprendre cela.

Giant Days

Les lecteurs français vont ont découvert grâce à Giant Days, édité par Akileos. La série s’est achevée, il y a quelques mois, sur un épisode one-shot As time goes by après 54 numéros. Imaginiez-vous un tel succès, remporter deux Eisner et aller aussi loin en démarrant cette série ?

Non, pas du tout. J’ai dessiné trois numéros auto-publiés de Giant Days avant de proposer la série à Boom, qui a accepté de publier six épisodes de 22 pages. C’est incroyable que la série ait tenu 54 numéros. Chaque fois que j’achevais six numéros, je leur demandais s’ils en voulaient six autres. Après environ 30 numéros, j’ai senti que je n’avais plus besoin de demander.

Vos trois héroïnes sont attachantes car elles ressemblent au lecteur qui s’identifie. Comment décririez-vous Esther, Daisy et Susan ?  

Daisy est une personne qui a besoin de contrôler les choses, ce qui signifie que lorsque un événement sur lequel elle ne peut influer se produit, sa vie devient difficile à gérer. Susan aborde sa vie de la même façon – c’est pourquoi elles sont amies – mais Daisy est optimiste alors que Susan est pessimiste. Esther est leur complet opposé. Elle laisse le chaos de la vie la pousser comme une feuille dans le vent.

La série aborde des sujets contemporains à travers le spectre de l’humour. Quels sont les sujets qui vous tiennent particulièrement à cœur d’aborder dans vos histoires ?

J’ai essayé d’écrire des histoires qu’un lecteur plus âgé reconnaîtrait comme les luttes de sa jeunesse, et qu’un lecteur plus jeune trouverait utiles. Je voulais montrer qu’on peut survivre à beaucoup de situations difficiles lorsqu’on quitte la maison pour l’université.

Les épisodes qui se déroulent dans les familles des trois héroïnes sont particulièrement bien vus.  Ce thème vous inspire particulièrement ?

J’ai aimé écrire ces épisodes parce qu’une grande partie de la vie à l’université consiste à ne pas être avec sa famille, à survivre dans le monde sans elle. Dans les histoires de famille, nous avons l’occasion de voir ce qui a façonné Esther, Daisy et Susan. Ces histoires ont été difficiles à écrire et à dessiner parce qu’elles nécessitaient toutes de nouveaux personnages et de nouveaux décors. J’ai conçu la plupart des personnages de Giant Days et il a été très difficile de créer six sœurs pour Susan. Je pense que Max Sarin m’a été d’un grand secours dans ces moments-là.

Est-ce difficile de trouver chaque mois de nouvelles aventures à raconter sans se lasser et lasser le lecteur ?

Oui, c’est difficile. J’ai essayé que chaque numéro raconte une histoire différente, même si certaines grandes intrigues ont été reportées d’un mois à l’autre. 58 histoires (incluant les spéciaux) en 55 mois, c’est beaucoup. Le processus m’a épuisé, j’en paie encore le prix – je ne sais pas si je pourrais le refaire.

La série a d’abord été dessinée par Lissa Treiman. Les designs de personnages ont-ils été créés en collaboration avec Lissa ou aviez-vous déjà imaginé vos personnages ?

J’avais dessiné tous les personnages principaux de mes numéros auto-publiés. Lissa est une meilleure artiste que moi (elle est chef d’histoire chez Disney Animation) et elle a apporté beaucoup de nouvelles idées pour le design des personnages. Max Sarin a ensuite apporté sa touche cartoony quand elle a rejoint la série.

Pourquoi avoir changé de dessinatrice ?

Lissa n’était prévue que pour la série originale de six numéros. Lorsque Giant Days est devenu mensuelle, elle a dû retourner travailler chez Disney. Lissa dessinait les épisodes le soir après le travail !

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le dessin de Max Sarin ?

Bien que Max n’ait jamais dessiné une bande dessinée de plus de 16 pages –  et jamais une bande dessinée mensuelle –  avant de devenir la dessinatrice de Giant Days, elle s’est rapidement épanouie et a clairement montré qu’elle est très douée, au travers d’un excellent dessin de personnages doté d’un langage émotionnel. Etant moi-même un artiste, – j’ai dessiné toutes mes propres histoires jusqu’à Giant Days – je cherche des artistes qui peuvent faire ce que je fais, mais en mieux. Je ne suis pas le meilleur artiste, mais je sais exactement ce que je veux et je l’obtiens grâce à 20 ans d’expérience ! Mais j’ai adapté mon écriture au talent de Max, si bien que désormais, quand j’écris pour moi-même, je lutte pour obtenir ce que je veux.

Steeple

Dans Steeple, vous prenez comme contexte le surnaturel. Pourquoi ce contexte ?

Je me suis inspiré des films d’horreur britanniques des années 1970 comme The Wiker Man (Robin Hardy – 1973). Le surnaturel vous offre beaucoup de choses amusantes à dessiner. J’ai dessiné beaucoup de bureaux et de classeurs dans ma carrière. Je voulais dessiner des monstres !

Billie et Maggie sont deux personnages aux caractères assez opposés. Quelle force tirez-vous de ce duo improbable ?

J’ai lu un jour que les protagonistes d’une histoire doivent trouver dans leur rivale une qualité dont ils sont dépourvus. Billie et Maggie veulent toutes deux un peu de ce que l’autre a. Billie est séduite par le danger et l’obscurité du style de vie satanique de Maggie. De son côté, Maggie aime la façon dont Billie est capable d’aider les gens sans même avoir l’air d’essayer. Elle déborde de gentillesse.

Pourquoi avoir choisi de dessiner vous-même Steeple ? Pourquoi avoir choisi ce format de 5 épisodes ?

Je préfère le dessin à l’écriture. J’ai commencé à écrire des histoires dans le seul but de dessiner. J’aurais aimé faire au moins 12 numéros, mais il est difficile de lancer une nouvelle série sur le marché américain. J’espère pouvoir faire un jour davantage de numéros chez Dark Horse, ou pouvoir développer la série d’une autre façon. Tant que je suis en vie, tout est possible !

Le travail de scénariste et de dessinateur

Quelle part de vous mettez-vous dans vos séries ?

Je mets tout dans mes séries. Mais parfois, j’ai l’impression qu’il ne reste rien.

Êtes-vous un scénariste très directif avec vos dessinatrices ?

Oui et non. Pour chaque planche, j’explique les émotions des personnages et le déroulement de l’action, mais je le fais aussi concis que possible pour que l’artiste laisse libre cours à son imagination.

Travaillez-vous de la même façon lorsque vous dessinez vous-même que lorsque la partie graphique est réalisée par un autre artiste ?

Si je dessine l’histoire, je vais la dégrossir sur le papier et écrire les dialogues. Si je publie l’œuvre moi-même, il n’y aura jamais de scénario dactylographié. Si j’ai un éditeur qui supervise, je tape le script comme si quelqu’un d’autre allait le dessiner. Lorsque j’écris pour quelqu’un d’autre, je tape généralement le script mais ne le dessine jamais. Mais il y a généralement quelques planches pour lesquels je dois faire une mise en page – surtout s’il y a une scène d’action.

By Night et Wicked Things

By Night arrive en France chez Bliss Editions. Pouvez-vous nous présenter cette série ?

By Night est l’histoire de deux anciennes amies d’enfance qui, ayant terminé l’université, retournent dans leur ville industrielle pour vivre avec leurs parents. Elles passent ensuite par un portail pour enquêter sur ce qui est arrivé au fondateur de la ville dans les années 1980. La version Bliss est constituée des trois volumes qui ont été publiés aux Etats-Unis.

Vous allez proposer une nouvelle série Wicked Things avec Max Sarin en mars. De quoi cela va-t-il parler ? Quel sera la ton de cette nouvelle série ?

Je ne veux pas trop parler de la série car le premier numéro est rempli de surprises. Wicked Things est une série policière avec les mêmes règles que Giant Days – pas de créatures surnaturelles ni de réalisme magique -, mais tout ce qui se passe est un peu plus sauvage que dans la vraie vie.

Héroïnes

Les personnages principaux de vos séries sont des femmes. Pourquoi ?

J’ai aussi beaucoup de personnages masculins, mais les personnages les plus populaires sont effectivement les femmes. Je ne sais pas pourquoi, mais j’aime écrire et dessiner des personnages féminins, donc je suis content qu’ils soient populaires.

Lottie, que les lecteurs ont déjà croisé dans vos web comics Scary Go Round, Bad Machinery ou encore Giant Days, est de retour dans cette mini-série. Pourquoi reprendre ce personnage ? Souhaitez-vous créer une sorte d’Allisonverse ou aimez-vous simplement voir vos personnages évoluer ?

J’ai passé 22 ans à créer soigneusement un univers avec mes personnages. Parfois un personnage grandit au point que je peux commencer quelque chose de nouveau avec lui. Tous les projets ne fonctionnent pas – parfois ils sont trop compliqués. Mais un personnage qui a été développé au fil des ans a une profondeur supplémentaire, donc quand je commence quelque chose de nouveau, j’ai la certitude que l’histoire est presque sûre de fonctionner.

Industrie du comics

Vous qui avez commencé par le webcomics puis créé des comics chez Boom ou Oni press, quel regard portez-vous sur l’industrie du comics actuel ?

Il y a beaucoup de créateurs passionnants et intelligents qui travaillent dans la BD de langue anglaise aujourd’hui, plus qu’à aucun autre moment dans le passé, je pense. Mais un si grand nombre d’entre eux travaillent sur des personnages qui ont déjà des milliers d’histoires racontées à leur sujet. Il est difficile de faire quelque chose de nouveau. Ayant commencé dans les webcomics, j’adore les séries de divertissement où le lecteur découvre quelque chose de nouveau chaque jour, chaque semaine ou chaque mois. Je veux continuer à travailler de cette façon. Je ne veux pas faire de longs livres et travailler pendant un an sans que personne n’en profite jusqu’à ce que cela soit terminée. L’industrie rend cela difficile mais ce n’est pas pour cela que je vais renoncer.

Merci à John Allison pour sa disponibilité et sa gentillesse.

Et n’oubliez pas! Vous avez jusqu’au 30 janvier pour tenter de gagner un des 3 exemplaires de Giant Days Intégrale Tome 1, en partenariat avec Akileos!