Interview – John Layman

Le créateur des géniaux Chew et Outer Darkness a trouvé un peu de temps entre l’écriture de deux épisodes de sa nouvelle série Chu pour répondre à nos questions. On y parle de création de séries, de choix de dessinateurs et du monde des comics  !

For English speakers, please find lower the interview in its original version.

Chew

D’où vous est venue cette folle idée de Chew ?

Je n’ai aucune idée d’où je tire mes idées d’histoires. Elles évoluent lentement, et je n’ai aucune idée précise de leur origine.

Rob Guillory écrit actuellement Farmhand et montre au public qu’il est aussi un grand écrivain et un grand artiste. A-t-il participé au scénario de Chew ? Comment a fonctionné votre tandem ?

Rob et moi avons parlé assez souvent pendant CHEW, presque tous les jours, et sommes toujours en contact. Il y avait beaucoup de va-et-vient, car j’écrivais, puis il me passait ses pages encrées puis lettrées puis il faisait les couleurs enfin je réunissais tout ensemble. Nous étions donc en communication constante à presque toutes les étapes du processus.

Impossible de ne pas parler de Poyo ! Comment est né ce personnage ?

Encore une fois, je ne suis pas sûr de savoir d’où viennent mes idées, mais à chaque apparition, Poyo devenait un peu plus outrancier et finalement, le défi à chaque fois que Poyo apparaissait était de devenir aussi fou et outrancier que possible.

Comment avez-vous compris qu’il allait être un emblème de la série au-delà des personnages humains ? Cela a-t-il influencé le reste de la série, de lui laisser une place qui n’était pas prévue au début ?

Poyo était le seul personnage qui n’était pas prévu dès le début. Il a reçu un tel impact sur les lecteurs et était si amusant à écrire, qu’il a en quelque sorte volé la série, sans que je le veuille.

Vous n’avez pas eu peur de la réaction des lecteurs au sujet du numéro 45 ?

Tuer Poyo dans le numéro 45 n’était pas une si grande préoccupation. Tout d’abord, Poyo était si bad-ass qu’il a transcendé la mort, donc je savais que je ne le tuais pas vraiment. Ou, du moins, qu’il continuerait à vivre en tant que personnage. De plus, contrairement aux comics sous licence et aux trucs de super-héros, il y a moins de réticence à tuer votre propre personnage, dans le cadre d’une histoire qui va en fait se terminer. Les livres et les univers de superhéros sont censés durer éternellement, afin de vendre des jouets ou des films ou des sous-vêtements d’enfants, de sorte que personne qui meurt ne reste mort. C’est ce qui rend les histoires indépendantes plus puissantes et, à mon avis, meilleures.

La série a duré plus de 7 ans et a connu un grand succès, marqué par les prix Eisner et Harvey. Elle est encore très populaire aujourd’hui. Comment avez-vous réussi à passer à d’autres projets une fois la série terminée ? Aviez-vous peur de toujours être « John Layman, l’auteur de Chew « ?

Après CHEW, j’ai juste posé mon regard sur une montagne plus haute à escalader, pour en arriver à une histoire qui était censée être encore meilleure et plus ambitieuse. Malheureusement, ce livre, OUTER DARKNESS, n’a jamais eu le lectorat que je pensais et espérais qu’il aurait.

Outer Darkness

Outer Darkness est un space opera. Est-ce un genre que vous aimez particulièrement ?

Je le considère plutôt comme un mélange de science-fiction et d’horreur. C’est un genre que j’aime beaucoup, et j’aimerais en voir plus.

Je suppose que vous avez été surpris quand la fin de la série a été annoncée par Image au numéro 12.

Surpris et grandement déçu. Je pensais que nous aurions au moins une chance de conclure, mais au lieu de cela, la prise a été brusquement débranchée.

L’arrêt de Outer Darkness reflète en quelque sorte les difficultés des comics indépendants sur un marché saturé. Comment voyez-vous l’industrie actuelle du comics ?

Mal. Je pense qu’une fois la COVID vaincue, en supposant que cela se termine un jour, le marché va revenir beaucoup plus petit. Le marché du singles est difficile. Le marché des TPB est robuste, mais il faut du temps et de l’argent pour mettre les TPB sur le marché, et dans le passé nous avons eu les singles pour amortir les coûts des TPB. Les livres sont annulés sur la base des ventes de singles avant que les TPB n’aient eu une chance de trouver un public, ce qui, je crois, était le cas de OUTER DARKNESS.

Outer Darkness/Chew

Vous êtes retourné dans le monde de Chew avec Outer Darkness/Chew et Chu. Qu’est-ce qui vous a donné envie de retravailler sur cet univers ?

Je déteste le crossover CHEW/OUTER DARKNESS prévu dès le début. J’avais espéré le faire passer entre les arcs 1 et 2 de OUTER DARKNESS pour aider à gagner du lectorat, mais Skybound voulait qu’il vienne plus tard, pour que OUTER DARKNESS ne soit pas considéré comme un spin-off ou dépendant de CHEW. Malheureusement, au moment où ils ont programmé le crossover, OUTER DARKNESS était plus ou moins voué à l’annulation.

Comment est née cette idée de crossover ?

Je sais que cela donne des réponses terribles en interview, mais, comme je l’ai déjà dit, je n’ai aucune idée d’où viennent mes idées.

Il y a beaucoup d’humour méta et d’autodérision à propos de vous-même et de Rob Guillory dans ce crossover. J’imagine que vous avez eu beaucoup de plaisir à créer ces parties ?

C’était une explosion. C’est la chose la plus méta que j’ai jamais écrite. À bien des égards, c’était censé être mon adieu à CHEW, car je suis passé uniquement à l’univers OUTER DARKNESS. Au lieu de cela, c’est devenu (rétroactivement) un adieu à OUTER DARKNESS, et un prélude au retour dans l’univers de CHEW, cette fois-ci dans le comic spin-off CHU.

Chu

Pourquoi avez-vous voulu créer un nouveau personnage en la personne de Saffron Chu ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de lui offrir une série ?

Je ne voulais pas refaire CHEW avec de vieux dossiers ou des histoires de flashback. Si je devais retourner dans l’univers, ce serait avec un nouvel angle, donc j’ai eu l’idée de faire le revers de CHEW. A travers l’histoire de Tony Chu, un flic qui travaille dans l’industrie alimentaire, nous explorons le côté le plus sombre de ce monde, tout en racontant l’histoire de la sœur de Tony, Saffron, une criminelle qui travaille dans l’industrie alimentaire.

La série met en scène des voyous « Pieds Nickelés ». Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre de personnages ?

Les criminels stupides s’attirent des ennuis plus intéressants que les criminels intelligents.

Vous collaborez avec Dan Boultwood sur cette nouvelle série. Comment travaillez-vous avec lui ?

Il a fallu beaucoup de temps pour trouver le bon artiste, presque un an. Je voulais quelqu’un avec un style bien à lui, mais pas si différent de celui de Rob Guillory : la transition d’un artiste à l’autre serait brutale. Je crois que j’ai trouvé ça chez Dan. Aussi : J’adore son travail.

Dessinateurs

Dans vos séries, il y a souvent un aspect horrifique en termes de graphisme. Les principaux dessinateurs avec lesquels vous avez travaillés en indé, Rob Guillory, Afu Chan et maintenant Dan Boultwood, ont un style très cartoony. Est-ce un élément qui correspond à l’esprit de vos histoires ? Est-ce l’une des raisons pour lesquelles vous vous êtes associé à eux ?

J’ai tendance à avoir un sens de l’humour assez sombre, mais en même temps, j’aime que les bandes dessinées soient amusantes. Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai tendance à graviter autour de dessinateur au style cartoony, donc je leur fais dessiner des choses vraiment dégoûtantes et horribles, mais ce n’est pas repoussant ou rebutant parce que ça n’essaie pas d’être trop réaliste ou horrible. Avec CHEW, je préfère que vous gloussiez quand Tony doit manger quelque chose d’horrible plutôt que d’être repoussé ou dégoûté.

Ecriture de scénarios

Êtes-vous du genre à tout écrire de A à Z avant de commencer une série ou laissez-vous beaucoup de place à l’improvisation en modifiant régulièrement vos histoires au fur et à mesure de leur déroulement ?

Moitié-moitié. J’ai tendance à connaître la fin et à savoir où je vais, avec des repères en cours de route, mais j’aime me donner la possibilité d’aller dans des directions inattendues.

Dans vos histoires, il y a très souvent des personnages avec des designs inhabituels. Donnez-vous des indications aux dessinateurs ou laissez-vous libre cours à leur imagination ?

Cela dépend de l’artiste. Chaque concert est différent, et chaque relation avec chaque artiste est différente. J’essaie de déterminer la zone de confort de l’artiste et de travailler dans cette zone. Aussi, je ne donne des directives de conception que si elles sont essentielles à l’histoire. S’il y a un scientifique, je dirai simplement « scientifique » et je ne me soucie pas vraiment du sexe, de la race ou même de l’apparence si ce n’est pas un point important de l’histoire.

Cet entretien a été réalisé par échange de mails. Merci à John Layman pour sa disponibilité et son gentillesse.

The creator of the brilliant Chew and Outer Darkness found some time between writing two episodes of his new series Chu to answer our questions. Talking about series creation, choice of drawers and the world of comics !

Chew

Where did that crazy story come from?

I have no idea where I get my story ideas. They evolve slowly, and I don’t have any strong idea where they germinate from.

Rob Guillory currently writes Farmhand and shows the audience that he is also a great writer as well as a great artist. Was he involved in Chew’s scenario? How did your tandem work?

Rob and I talked pretty often during CHEW, almost daily, and still keep in touch. There was a lot of back and forth, as I’d write it, then he’s pass me back black and white inks to letter, then color it, then I’d paste it altogether. So we were in constant communication almost every stage of the way.

Impossible to not talk about Poyo! How was this character born?

Again, I’m not positive where my ideas come from, but with each appearance Poyo got a little more outrageous and eventually the challenge whenever Poyo appeared was to get as crazy and outrageous as possible.

How did you understand that he was going to be an emblem of the series beyond the human characters? Did it influence the rest of the series, to leave him a place that was not planned at the beginning?

Poyo was the one character that was not planned from the beginning. He just got such a reader response and was so fun to write, he kinda stole the show, without me meaning to.

Weren’t you afraid about the reader’s reaction about issue #45?

Killing Poyo in #45 wasn’t that big a concern. First off, Poyo was so bad-ass he actually transcended death, so I knew I was not really killing him.  Or, at least, he’d still continue as a character. Also, unlike licensed books and superhero stuff, there is less pushback if you are killing your own character, as part of a story that is actually going to come to an end. Superhero books and universes are expected to last forever, in order to sell toys or movies or kid’s underwear, so nobody who dies stays dead. That’s what makes creator-owned stories more powerful and, in my opinion, better.

The series lasted more than 7 years and was a big success, marked by Eisner and Harvey Awards. It is still very popular today. How did you manage to move on to other projects once the series was over? Were you afraid of always being « Chew’s John Layman »?

After CHEW I just set my sight on a higher mountain to climb, coming up with a story that was supposed to be even better and more ambitious. Unfortunately, that book, OUTER DARKNESS, never gained the readership I thought and hoped it would.

Outer Darkness

Outer Darkness is a space opera. Is it a genre that you particularly like?

I consider it more of a mix of sci-fi and horror. Which is definitely a genre-mash-up I’d do think there is enough of, and would love to see more of.

I guess you were surprised when the end of the series was announced at #12 by Image?

Surprised and massively disappointed. I thought we’d at least get a chance to wrap it up, but instead the plug just got abruptly pulled.

The discontinuation of Outer Darkness reflects in a way the difficulties of independent comics in a crowded market. How do you see the current comics industry?

Dismal. I think post-COVID, assuming this ever ends, comics is going to come back much smaller. The floppy market is a tough one. TPB market is robust, but it takes time and money to get TPBs to the market, and in the past we’ve had floppies to amortize the TPB costs. Books get cancelled based on floppy sales before the TPBs have a chance to find an audience, which I believe was the case with OUTER DARKNESS.

Outer Darkness/ Chew

You return to the world of Chew with the Outer Darkness/Chew and Chu. What made you want to work on this universe again?

I hate the CHEW/OUTER DARKNESS crossover planned from the very beginning. I’d hoped to run it between arcs 1 and 2 of OUTER DARKNESS to help gain readership, but Skybound wanted it to come later, so OUTER DARKNESS would not be seen as a spin-off or dependent on CHEW. Unfortunately, by the time they scheduled the crossover, OUTER DARKNESS was more or les doomed to cancellation.

How was born this idea of crossover between Outer Darkness and Chew ?

I know this makes for terrible interview answers, but, as stated before, I have no idea where my ideas come from.

There is a lot of meta humor and self-derision about yourself and Rob Guillory in this crossover. I imagine you had a lot of fun creating these parts ?

It was a blast. The most meta thing I’ve ever written. In many ways it was supposed to be my goodbye to CHEW, as I moved solely into the OUTER DARKNESS universe. Instead, it turned into (retroactively) a goodbye to OUTER DARKNESS, and a prelude to returning to the universe of CHEW, this time in the spin-off book CHU.

Chu

Why did you want to create a new character in the person of Saffron Chu? What made it worthwhile to offer her a series?

I didn’t want to rehash CHEW with old case files or flashback stories. If I was going to return to the universe it would be with a new angle, so I came up with the idea of doing the flip side of CHEW. Inside of the story of Tony Chu, food-powered cop, we explore the seamier side of this world, as we tell the story of Tony’s long, long sister Saffron, a food-powered criminal.

The series features thugs « Pieds Nickelés ». What appeals to you in this kind of characters?

Dumb criminals get into more interesting trouble than smart criminals.

You’re collaborating with Dan Boultwood on this new series. How do you work with him ?

It took a long time to find the right artist, almost a year. I wanted somebody with distinctly their own style, but not so different from Rob Guillory the transition from one artist to another would be jarring. I think I found that in Dan. Also: I just LOVE his stuff.

Cartoonists

In your series there is often a horrific aspect in terms of graphics. The main cartoonists you’ve worked with in indie, Rob Guillory, Afu Chan and now Dan Boultwood have a very cartoony style. Is it a component that fits with the spirit of your stories? Is that one of the reasons why you’ve associated with them?

I tend to have a pretty dark sense of humor, but at the same time, I like comics to be fun. I think this is why I tend to gravitate to cartoony artists, so I have them draw really gross and horrific stuff, but it’s not repellent or off-putting because it doesn’t try to be too realistic or horrific. With CHEW, I’d rather you giggle when Tony has to eat something horrible than be repulsed or disgusted.

Writing

Are you the type to write everything from A to Z before starting a series or do you leave a lot to improvisation by regularly modifying your stories as they progress?

Half and half. I tend know the ending, and where I am heading, with benchmarks along the way, but I like to give myself room to go in unexpected directions.

In your stories, there are very often characters with unusual designs. Do you give directions to the cartoonists or do you let their imagination run wild?

Depends on the artist. Every gig is different, and every relationship with every artist if different. I try to figure out the artist’s comfort zone and work within that. Also: I only give design direction if it’s critical to the story. If there is a scientist, I’ll simply say “scientist” and I don’t really care about the gender or the race or even appearance if it’s not a story point.

Interview made by email exchange. Thanks to John Layman for his availability and his kindness.