Lorenzo De Felici : « J’aime la façon dont la Fantasy et la science-fiction peuvent parler de tout, ce qui les rend universelles. »

Le dessinateur d’Oblivion Song, co-créé avec Robert Kirkman, se lance dans une folle aventure en solitaire ! Kroma et son univers de Fantasy, prévu en 4 parties, permet à Lorenzo De Felici de mêler intimement scénario et dessin ! L’artiste italien nous livre quelques clés de la création de cette incroyable série !

For English speakers, please find lower the interview in its original version.


Parcours artistique

Quel a été votre parcours pour devenir un artiste de bande dessinée ?

Lorenzo De Felici : C’est un parcours assez simple : J’aimais les bandes dessinées, j’aimais dessiner, j’ai réalisé que je voulais combiner ces choses assez tôt dans ma vie. Je suis allé dans une école de bande dessinée à Rome, entre-temps j’ai obtenu un diplôme de scénariste. A partir de là, j’ai commencé à travailler dans la bande dessinée. D’abord comme coloriste, puis comme dessinateur. C’était très imprudent de ma part, avec le recul. Je n’ai même pas envisagé la possibilité de faire autre chose.

Inifnity 8

Oblivion Song

Oblivion Song est une série qui a duré 4 ans et qui vient de se terminer. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience, que j’imagine passionnante mais aussi épuisante ?

Lorenzo De Felici : C’était le meilleur et le plus important travail que j’ai eu jusqu’à présent. En fait, c’était épuisant, je devais respecter des délais mensuels de 20 pages, ce qui peut vous broyer jusqu’à l’os… mais en même temps, j’ai beaucoup appris en faisant ça, je me suis tellement amusé. Je repoussais mes limites, j’allais parfois à l’essentiel, je cherchais des solutions aux problèmes que je rencontrais quotidiennement. En fin de compte, c’est ce qui vous façonne vraiment en tant que créateur de bande dessinée.

Kroma

Vous êtes à l’origine un coloriste et un dessinateur, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire également un scénario ?

Lorenzo De Felici : On ne peut pas faire de la bande dessinée sans histoires, donc pour moi, en écrire est une conséquence naturelle du métier de dessinateur. C’est amusant pour moi de chercher cet équilibre entre l’art et l’histoire. J’aime le faire quand je dessine le scénario de quelqu’un d’autre, mais j’aime surtout le faire moi-même, parce que je n’ai pas peur de piétiner la chaussure de quelqu’un d’autre pendant que nous dansons. C’est mon propre pied ! C’est une expérience difficile mais enrichissante.

Oblivion Song

Comment est né Kroma ? D’où est venue cette idée originale ? Il vous a fallu beaucoup de temps pour la mettre en forme ?

Lorenzo De Felici : L’idée de Kroma m’est venue il y a des années alors que je travaillais comme coloriste. J’étudiais la couleur et j’étais tellement fasciné par le sujet que j’ai choisi d’écrire une histoire à ce sujet. Au départ, le projet était destiné au marché français, il avait un ton plus léger et l’histoire était très différente. J’ai préparé un argumentaire et l’ai proposé à de nombreux éditeurs, sans succès. Juste au moment où un éditeur était sur le point de donner son feu vert, Robert Kirkman m’a écrit pour me proposer de travailler sur Oblivion Song. J’ai mis le projet de côté et après avoir travaillé pendant des années sur le marché américain, j’ai pensé qu’il était mieux adapté (j’ai grandi en lisant des BD américaines, donc d’une certaine manière leur langage est en quelque sorte ancré en moi). Alors… nous y voilà.

Puisque vous dessinez vous-même votre histoire, comment élaborez-vous votre scénario ? Est-il très détaillé ou laissez-vous une place à l’improvisation lorsque vous dessinez ?

Lorenzo De Felici : Je n’écris pas de script : je dessine directement les crayonnés et j’y mets des dialogues. J’ai besoin d’un repère visuel pour comprendre si l’histoire est fluide ou non. Bien entendu, lorsque je finalise les croquis, il m’arrive de les modifier ou de les réorganiser, si je réalise que c’est mieux comme ça.

Je crois que c’est la première fois que vous écrivez un scénario. Qu’avez-vous appris de votre collaboration avec Robert Kirkman – qui n’est plus un jeune premier – pour développer votre propre écriture ?

Lorenzo De Felici : J’ai beaucoup appris de lui ! J’ai toujours écrit, mais surtout des choses courtes. Mon plus grand défi en écrivant une histoire plus longue était le tempo, le rythme des actions, des dialogues, des scènes, etc. On peut facilement s’y perdre. En travaillant sur les scénarios de Robert, je me suis rendu compte que, comme tout problème ou défi important, si on le divise en problèmes plus petits (par exemple, en séparant l’histoire en plusieurs numéros et en se concentrant sur chacun d’entre eux), il est plus facile de s’y retrouver.

Kroma #1

Kroma est une histoire de fantasy. Est-ce un genre que vous aimez particulièrement en tant que lecteur ? En tant qu’auteur ? Quelles sont les possibilités offertes par ce genre en tant que scénariste ?

Lorenzo De Felici : J’aime la fantasy et la science-fiction parce que j’aime la façon dont elles peuvent parler de tout, ce qui les rend universelles. J’aime la façon dont on peut façonner les personnages et les environnements pour qu’ils « servent » parfaitement l’histoire. Vous pouvez parler de l’humanité et de ses faiblesses tout en dessinant des crocodiles géants. C’est pas cool, ça ?

Le cliffhanger final du premier épisode est inattendu et devrait changer la perspective du deuxième épisode. C’est important pour vous de garder cette particularité des comics américains alors que de nombreux auteurs écrivent désormais davantage pour le tpb et abandonnent cette notion de cliffhanger.

Lorenzo De Felici : Oui, j’adore les cliffhangers. Pas seulement ceux de la fin du numéro, j’essaie de construire chaque page dans le numéro lui-même. Non seulement ça aide vraiment à garder le lecteur engagé, mais ça m’aide aussi à donner du rythme à l’histoire. Ils sont délicats à mettre en place, mais c’est tellement amusant de jouer avec. C’est une ligne très directe entre l’auteur et le lecteur, c’est comme une blague sans la chute, ou un roulement de tambour sans un backflip à la fin. Si vous vous sentez très frustré, cela signifie que vous êtes dans le coup.

Kroma sera composé d’épisodes doubles de 50 pages. Pourquoi ce choix ?

Lorenzo De Felici : Au départ, je voulais faire quelque chose de différent, le découper en épisodes plus petits avec seulement deux numéros surdimensionnés au début et à la fin. Puis j’ai parlé avec l’éditeur et il m’a expliqué qu’il est préférable pour ce genre d’histoire contenue de ne pas trop s’étirer dans le temps. Ils ont testé ce format avec d’autres titres et il s’avère qu’on en tire vraiment profit.

En ce qui concerne votre dessin, on sent autant d’influences des comics américains que des bandes dessinées franco-belges. Quelles sont vos influences graphiques ?

Lorenzo De Felici : Je pense que mes principales influences sont américaines, et puis les influences « européennes » sont plus naturellement, moins consciemment ancrées en moi. Je pense que j’oscille entre les deux, utilisant mon « langage américain » plus dans les scènes d’action et ma langue franco-belge-italien quand il faut ralentir un peu et apprécier un moment. En ce qui concerne mes influences graphiques, je ne sais vraiment pas, elles changent constamment. J’aime beaucoup des artistes comme Jack Kirby, John Romita Jr, Jordi Bernet, Lewis Trondheim… Je dois m’arrêter là car sinon cette interview va se transformer en une liste interminable de noms.

Kroma #1

En tant que lecteurs, nous sommes touchés par l’expressivité de vos personnages ainsi que par votre travail sur les décors. Quels sont les éléments graphiques sur lesquels vous aimez vous appuyer et que vous aimez particulièrement dessiner ?

Lorenzo De Felici : Je ne sais pas, c’est assez aléatoire : j’aime dessiner des choses que j’ai conçues parce que j’aime voir quelque chose que je n’ai jamais vu auparavant. Faire interagir des créatures bizarres, mettre des gens dans des environnements étranges, c’est comme jeter un coup d’œil par une fenêtre sur un autre monde où CELA est normal. C’est tellement excitant. Mais aussi le simple fait de construire une scène émotionnelle en essayant de tout transmettre à travers la composition, les expressions, les poses… c’est aussi très amusant.

Dans les prochains épisodes, il y aura des monstres dans la jungle, peut-être des fantômes. Kroma est aussi l’occasion pour vous de vous amuser à dessiner ce genre d’éléments ?

Lorenzo De Felici : Absolument ! Je veux dire, tant qu’à écrire l’histoire moi-même, autant y mettre des choses que j’aime dessiner !

Comment travaillez-vous ? Entièrement numérique ?

Lorenzo De Felici : Oui, malheureusement. A chaque nouveau projet que je commence, je me dis « ok, je vais revenir à l’encre et au papier pour celui-là ! »… Et puis, je n’ai pas le temps pour ça.

Oblivion Song

Lectures

Quels sont les comics que vous lisez actuellement ? Des coups de coeur ?

Lorenzo De Felici : Je lis actuellement Grim (chez  Boom!studios), Hitomi ( chez Image) et Magic Order (chez Image). Je viens également de lire le premier numéro de Doctor Strange de Tradd Moore et j’en suis totalement dingue.

Entretien réalisé par échange de mails. Merci à Lorenzo De Felici pour sa disponibilité  et sa gentillesse.


The cartoonist of Oblivion Song, co-created with Robert Kirkman, embarks on a crazy solo adventure! Kroma and its fantasy universe allows Lorenzo De Felici to intimately mix script and drawing! The Italian artist gives us some keys of the creation of this incredible series!

Artistic path

What was your path to becoming a comic book artist?

Lorenzo De Felici : It’s been a pretty straight-forward path: I loved comics, I loved drawing, I realized I wanted to combine these things quite early in my life. I went to a comic school in Rome, in the meantime I graduated in screenwriting, and from there I started working in comics. First as a colorist, then as a cartoonist. It was very reckless of me, in hindsight. I never even contemplated the possibility of doing something else.

Oblivion Song

Oblivion Song is a series which lasted 4 years and which has just ended. What do you remember about this experience, which I imagine was exciting but also exhausting?

Lorenzo De Felici : It was the best and most important job I had so far. It was in fact exhausting, I had to follow monthly 20 pages deadlines which is something that can grind you to the bone… but at the same time, I learned A LOT doing that and I had so much fun. Pushing my limits, cutting corners, looking for solutions for problems that I faced daily. In the end, that is what really shapes you as a comic artist.

Kroma

You are originally a colorist and a cartoonist, what made you want to write a script as well?

Lorenzo De Felici : You can’t have comics whitout stories, so for me writing them is just a natural consequence of being a comic artist. It’s fun for me to look for that balance between art and story, I like doing it when I’m drawing someone else’s script but I especially like it doing it on my own, cause then I’m not afraid of stomping on someone else’s shoe while we dance. It’s my own foot! It’s a difficult but rewarding experience.

How was Kroma born? Where did this original story idea come from? Did it take you a long time to put it into shape ?

Lorenzo De Felici : The idea for Kroma came to me years ago while I was working as a colorist, I studied color and I was so fascinated by the topic that I chose to write a story about it. Initially the project was meant for the French market, it had a lighter tone and the story was quite different. I put togheter a pitch and offered it to many publishers whitout any luck. Just when a publisher was about to greenlight it, Robert Kirkman wrote me and offered me to work on Oblivion Song. I put the project aside and after working for years in the American market I thought it was a better fit for it (I grew up reading american comics, so in a way their language is somehow engrained in me). So… here we are.

Since you draw your story yourself, how do you elaborate your script? Do you need it to be very detailed or do you leave some room for improvisation when you draw?

Lorenzo De Felici : I don’t write a script: I directly draw the layouts and put dialogues in them. I need a visual cue to understand if the story flows or not. Of course then when I finalize the sketches I sometimes change them or rearrange them if I realize it’s better that way.

I think this is the first time you’ve written a script. What did you learn from your collaboration with Robert Kirkman – who is no longer a youngster writer – to develop your own writing?

Lorenzo De Felici : I learned a lot from him! I’ve always wrote, but mostly short stuff. My biggest challenge while writing a longer story was pacing, the rythm of actions, dialogues, scenes etc. You can easily get lost in there.  Working on Robert’s scripts I realized that like any other big problem or challenge, if you divide it in smaller problems (for example, separating the story in issues and focusing on them one at a time) it becomes way more manageable.

Kroma is a fantasy story. Is it a genre you particularly like as a reader ? As a writer ? What are the possibilities this genre offers as a writer ?

Lorenzo De Felici : I like fantasy and scifi cause I like the way they can talk about anything making it universal. I love the way you can shape characters and environments so they perfectly « serve » the story. You can talk about humanity and its weaknesses while drawing giant crocodiles. How cool is that?

The final cliffhanger of the first episode is unexpected and should change the perspective of the second episode. It’s important for you to keep this particularity of American comics while many writers are now writing more for the tpb and abandoning this notion of cliffhanger.

Lorenzo De Felici : Yeah I LOVE cliffhangers. Not only the ones at the end of the issue, I try to build up every page turn whitin the issue itself. Not only it really helps keeping the reader engaged, but it also helps me setting the pace of the story. They are tricky to set up, but it’s so fun to play with them. It’s a very direct line between the writer and the reader, is like a joke without the punchline, or a drumroll without a backflip in the end. If you feel very frustrated it means that you are on board.

Kroma will be made of double episodes of 50 pages. Why this choice ?

Lorenzo De Felici : I initially wanted to do something different, cutting it in smaller episodes with just 2 oversized issues at the beginning and at the end. Then I spoke with the editor and he explained it’s better for this kind of contained story not to stretch too much over time, they tested this format with other titles and it shows it really benefits from it.

As far as the drawing is concerned, we can feel in your drawing as much influences from American comics as from Franco-Belge comics. What are your graphic influences?

Lorenzo De Felici : I think my main influences are American, and then the « european » influences are more naturally, less consciously engrained in me. I think I jump between those, using my « american language » more in action scenes and my Franco-Belge-Italian one when you need to slow down a bit and enjoy a moment. About my graphic influences, I really don’t know, they are always changing. I’m very fond of artists like Jack Kirby, John Romita Junior, Jordi Bernet, Lewis Trondheim… I have to stop there just because otherwise this interview will turn in an endless list of names.

As a reader, we are touched by the expressiveness of your characters as well as by your work on the settings. What are the graphic elements that you like to rely on and that you particularly enjoy drawing?

Lorenzo De Felici : I don’t know, it’s pretty random: I like to draw stuff I designed cause I like to see something I’ve never seen before. Making weird creatures intertact, putting people in strange environments, it’s like peeking through a window over another world where THAT is normal. It’s so exciting. But also simply to build an emotional scene trying to convey everything through the composition, the expressions, the poses… that’s really fun, too.

In the next episodes, there will be monsters in the jungle, maybe ghosts. Kroma is also an opportunity for you to enjoy drawing these kinds of elements?

Lorenzo De Felici : Definitely! I mean, as long as I’m writing the story myself, I might as well put stuff I enjoy drawing in it!

How do you work ? Entirely digital ?

Lorenzo De Felici : Yes, unfortunatyely. Every new project I start, I promise to myself « ok, I’m going to go back to ink and paper for this one! »… And then, I got no time for that.

Readings

What comics are you currently reading? Any favorites ?

Lorenzo De Felici : I’m currently reading Grim (from Boom! studios), Hitomi (Image) and Magic Order (Image). I also just read the first issue of Tradd Moore’s Doctor Strange and I’m totally crazy about it.

Interview made by email exchange. Thanks to Lorenzo De Felici for his availability and his kindness.