C’est en avril 2022 que mon histoire avec Mindset a commencé. Je venais de lire le premier numéro de Break Out, une nouvelle mini-série chez Dark Horse que j’avais prise sur la base du pitch. Il était question d’ados enlevé·e·s par des vaisseaux extra-terrestres, des gouvernements qui considéraient que ces pertes étaient finalement acceptables (surtout qu’elles ne les menaçaient pas en tant qu’adultes) et d’un frère qui allait monter un plan un peu fou pour s’infiltrer et libérer son cadet ainsi que tous les prisonniers. Une sorte d’Ocean’s Eleven qui aurait rencontré Independance Day et Prison Break. J’ai eu un coup de cœur immédiat pour cette vingtaine de planches. C’était dense, intense, émouvant et, surtout, plein de messages et de questions qui en disaient long sur l’humanité. Je connaissais déjà l’artiste, Wilton Santos, mais qui diable était ce Zack Kaplan ? Je n’en savais rien, à part qu’il venait de m’embarquer dans son histoire et me faire réfléchir à de nombreuses questions politiques, éthiques, et même philosophiques, en seulement 20 pages de bande dessinée. Quelques heures plus tard, en préparant mes précommandes pour le mois de juin 2022, une cover m’a tapé dans l’œil, dans la section Vault du catalogue Previews. Pas étonnant, c’était du John Pearson. Le titre, Mindset, me plaisait bien, lui aussi. Et qui écrivait cette nouvelle série ? Zack Kaplan !
Nous sommes aujourd’hui le 23 février 2024, et je viens de terminer ma lecture de la version française de Mindset, chez Komics Initiative. Il y a deux ans, j’ai réussi à convaincre des dizaines de personnes que Mindset méritait d’être découverte en VO. J’espère que, dans quelques minutes, j’aurai réussi à vous convaincre à votre tour. Mais bon, au final, c’est vous qui prendrez la décision. N’est-ce pas ?
Change your Mindset
Et je vous repose la question, est-ce que c’est nous qui prenons nos décisions, ou est-ce qu’on les prend pour nous ?
Dès les premières planches, Zack Kaplan, à travers la voix de Ben, le narrateur de cette histoire, nous interroge sur le libre arbitre dans un monde gouverné par la technologie, les réseaux sociaux, l’influence et les algorithmes. Sommes nous réellement les capitaines de notre propre vaisseau ? Cette question, c’est LA question du pitch que font Ben et deux de ses amis étudiants à Peter Winfield, lorsqu’ils essaient de le convaincre de financer le lancement de Change your Mindset, leur application. Son principe : purger votre appareil de tout algorithme et donc de toute possibilité de manipulation, tout en aidant ses utilisateurs à penser librement. Mais cela implique que l’application soit vierge de toute publicité, suggestion, contenu sponsorisé ou autre exploration des données utilisateur. Tout ce qui intéresse un investisseur en somme. L’appli ne rapportera pas assez, elle ne sera donc pas financée. Ben se rend compte de la naïveté dont il avait fait preuve jusque là. Bien sûr que Winfield ne financerait pas Change your Mindset, cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied !
Internet devait nous donner le choix. Au final, c’était devenu un jeu et on venait à Stanford pour mettre la main sur la manette
Mais Ben croit dur comme fer en son projet et continue seul. Il se sépare de ses deux acolyte et fait, un peu plus tard, la rencontre d’Eitan, Josiah et Kushal. Ensemble, ils vont découvrir l’incroyable. Une combinaison unique de signaux sonores et visuels capable de rendre l’esprit de celui qui y est exposé disponible à la suggestion. Ou à la manipulation mentale, selon l’axe sous lequel on regarde les choses. Ben tient la solution technologique à son objectif de toujours : grâce à ce stimulus, il est possible de libérer les esprits de tout ce qui les contrôle. Mindset est née.
L’application a tout pour cartonner, mais une question se pose tout de même… qui (ou quoi) est vraiment aux manettes ?
Influence en bande organisée
Cette question revient en permanence dans la série, mais on n’y prête pas vraiment attention et on se laisse porter par l’histoire assez folle de ces quatre étudiants qui deviennent rois du monde grâce à leur application. On ne fait pas vraiment attention non plus lorsqu’un évènement vient gripper la machine. Lorsque tout s’emballe, lorsque les morts commencent à s’accumuler, que les jeux de dupes nous apparaissent et que l’on commence à comprendre, il est déjà trop tard. Parce que Zack Kaplan écrit particulièrement bien et mène parfaitement sa barque. Il dévie notre attention de l’essentiel, pourtant sous nos yeux, pour mieux nous surprendre lorsqu’il l’a décidé.
Et pour y parvenir, il a un complice, redoutable, en la personne de John Pearson. Si Zack Kaplan fait chanter la petite voix dans notre tête, l’artiste britannique nous fournit le stimulus visuel de Mindset. Un stimulus absolument parfait. Les splash pages sont saisissantes, les compositions de planches ambitieuses et le jeu sur les couleurs est bluffant. Cette maestria graphique, couplée au scénario captivant de Kaplan, nous envoûte à tel point qu’il est impossible de ne pas aller au bout de l’album d’une seule traite. Même lorsque, comme c’était mon cas ce matin, c’est la troisième fois que vous lisez la série.
Il faut dire que les deux auteurs ont trouvé pour cette édition française des renforts de luxe.
D’un côté Benjamin Viette, traducteur pour le studio Makma, qui fait plus que simplement transcrire les mots de Zack Kaplan en français. Sa traduction m’a permis de voir certaines choses sous un autre angle, de capter certains éléments qui m’avaient échappé en VO. Rien n’est différent entre la version originale et la version française, au contraire. La traduction est d’une telle fidélité au propos et à l’esprit qu’elle en devient aussi éclairante et source de questionnements que le texte original. (Si vous doutez du pouvoir de la traduction, allez donc lire Babel, de RF Kuang). Nous prenons trop souvent, et moi le premier, les VF comme « normales »/acquises, sans vraiment réaliser la performance du traducteur. Or, dans le paysage français, nous avons quelques maestros de la traduction, dont Benjamin Viette fait partie, et je trouve important de prendre le temps de quelques lignes pour saluer ce travail.
De l’autre côté, Mickaël Géraume, et Komics Initiative, qui nous offrent non pas une, mais deux éditions. J’ai opté pour ma part pour le tirage limité, qui utilise la couverture variante du premier numéro par le grand David Mack et met l’histoire dans l’écrin qu’elle mérite : un sublime album à couverture rigide, dos toilé et marqué, et vernis sélectif. Si vous optez pour la version classique, qui vous coûtera 5 euros de moins, vous ne serez pas déçu·e, la couverture rigide est là aussi de mise et le contenu à l’intérieur identique.
Qui contrôle qui ?
C’est la question à laquelle sont confrontés Ben, Eitan, Josiah et Kushal, quatre personnages que vous adorerez découvrir. C’est également celle à laquelle Zack Kaplan, John Pearson, Benjamin Viette et Mickaël Géraume nous proposent de répondre. Le premier a construit une histoire implacable, à partir d’une idée simple mais brillamment mise en œuvre. Il nous fait entendre la petite musique qu’il veut nous jouer et joue avec notre attention, aidé en cela par le deuxième, le maître des images et des couleurs, qui nous hypnotise tous. Le troisième nous rend tout cela accessible et amplifie le signal, que diffuse le quatrième. Un quatuor parfaitement organisé, et une question qui vous attrapera après votre lecture. Mindset, cette application pour mobile, n’est-elle pas en réalité… un livre ?
Hypnotisante, intelligente et spectaculaire, Mindset vous divertira autant qu’elle vous fera réfléchir et vous effraiera. En fait, Mindset est tout ce dont vous avez besoin. Convaincus ?