Une comète traverse le vide sidéral et c’est tout un renversement. Sauf si les évasions de Scott Snyder s’immiscent là dedans. La comète ne vient pas de nulle part. Les héros se sont ligués contre un Univers Noir, un escadron de la mort chiroptère monté pour l’occasion, un Batman qui se marre, un démon lui aussi aux oreilles pointues, un rempart qui implose et des entités en personne ! Dense serait simplificateur. Quand Snyder ne pouvait qu’influer sur le destin du Chevalier Noir, nous étions servis par des idées, là, avec la Justice League et l’immensité que cela peut revendiquer, nous sommes complètement abasourdis par elles. Snyder fait du Snyder, mais sur la Justice Jeague, le détail a de l’importance. Pensée comme la suite du décevant Dark Nights : Metal, puis de l’intermède tout aussi décevant No Justice, Yes Justice, cette fois, se permet tout.
Dark Nights se servait d’annales de l’éditeur, piochait dans les rayonnages de la bibliothèque massive de DC Comics. Mais, plutôt au fait de l’ensemble du Batman, ce sont les fanaux éclairant les traces du reste qui causaient perdition et sensation de sur-plein. Justice League quitte l’ombre des ailes de la Souris, et se propulse plus loin. Scott Snyder est sans pitié, abuse d’Idées, de notions à majuscule, de concepts graphiques ou symboles, jusqu’aux personnages souvent ignorés des lecteurs distraits, ceux qui ne s’investissent pas totalement, chez l’un ou l’autre, ici DC Comics. La surcharge de références peut enivrer, jusqu’à la chute pour certains d’entre nous. L’opposé contigu est de provoquer la curiosité avide des lecteurs, voulant tout connaitre, tout déceler. A vous de situer votre envie de perdition.
Scott Snyder c’est aussi l’assurance d’une combine massive, à dose de science explicative empirique, d’excès et d’audace. Justice League matérialise tout ce qu’on le savait du style personnel de l’auteur. Justice League est bien une série écrite par Scott Snyder. 7 des 9 numéros de cet opulent volume sont consacrés à la battue cosmique de la Totalité, reliquat du Mur Source, barrière céleste de l’univers connu DC, comme un enclos au delà de la Bordure Extérieure, enjeu conséquent de la précédente mini-série, No Justice. Le Vestige est source de savoir, excuse suffisante pour se lancer à sa poursuite. D’un côté la Justice League remaniée avec goût, de l’autre, la Legion Fatale, Evil Justice League en puissance, où chaque héros d’un côté retrouve sa part d’ombre de l’autre. Lex Luthor recherche le savoir divin, se lance dans la quête avec ses galets marqués, cela fait sens, que le Joker s’y agglutine est déjà bien plus dramatique. La distribution des rôles affriande, mais n’a pas plus de sens que le rôle général d’opposant.
Lire Batman par Scott Snyder, c’était appréhender le personnage sous le spectre d’un printemps très fleuri, en vrac, Gordon devient le Batman, Gotham sombre dans l’attraction d’un trou noir, Bruce Wayne recouvre sa mémoire dans le câblage de sa machine à voyager sur les flots temporels, tous, un programme varié, avarié, Justice League s’élève, dès son introduction. En vrac, Batman et Hawkgirl naviguent dans les cortex cérébraux respectivement du Limier Martien et Superman, avant de se faire envahir par certains des vilains engagés ; et d’autres. Justice League surabonde (la série est la profusion) d’aperçus, de perception ou d’inspirations passionnés. Des idées autour de la Couleur, de l’immobilisme absolu, ou du brouhaha d’un rire noir, enchantent nos attentes les plus délirantes.
Les mots sont bien ceux de Scott Snyder, l’auteur ne se contrefait pas. Vous savez à quoi vous attendre. Par contre, le titre éblouit complètement. Jim Cheung, débarqué pour l’occasion de loyaux services en face, est au niveau, avec ses rondeurs et sa lisibilité. Mahnke est lui aussi revigoré par la frénésie du script, quant à Mikel Janin, l’artiste espagnol fait ce qu’il sait faire, sans sa créativité de composition admiré sur la série Batman. Ces trois là devraient suffire à faire tourner les têtes. Ils seront 4. Jorge Jimenez est déjà l’un des grands du milieu. Sur le modèle rutilant de Pepe Larraz, d’ailleurs, les deux artistes partagent un style artistique commun, Jimenez s’expose, fièrement. Agile sur les plans fixes, de souffle, ou ceux frénétiques, dans lesquels les personnages virevoltent, passent d’un espace à l’autre, ou carrément sur des compositions plus éclatées, Jimenez s’impose expressif, extraordinaire. La série peut se découvrir sur cette seule excuse du dessin.
La couverture est un paradoxe conclusif. Le potentiel lecteur a tout devant ses yeux. Justice League, Scott Snyder. L’engagement, prit depuis des années, de lire une équipe dépassée par le monde des Idées, où la démonstration scientifique prédomine, avant la déflagration héroïque. Puis, deux noms, Jim Chung et la sensation fidèle d’une spécialité artistique, puis un second sobriquet, Jorge Jimenez, l’immense torgnole indolore, pinceaux entre les doigts. Laissons les, ceux en vis-à-vis, avec leur entreprise de désinsectisation. Même les personnages me devancent « Rendez-vous dans le Hall de Justice, Superman. L’équipe est rassemblée. J’arrive […] j’arrive. »