[Question] Adaptation, quelques notes de plus

Une adaptation est l’aboutissement de tout ce maelstrom culturel dans lequel nous sommes emportés. Les industries monstres des projecteurs et leurs agents des écrans, prophètes des messes de billes et d’argent, ne croient plus qu’en elle, l’adaptation. Ainsi, la certitude d’atténuer les vivacités créatives, neuves mais périlleuses, et limiter le déchaînement des amateurs natifs, rassure. L’adaptation rassure. Cependant, l’adaptation s’expose par essence aux huiles des adeptes, ceux qui étaient là avant. Vous nous avez entendu en parler, vous me lisez l’écrire. Les lignes qui suivent sont un accompagnement à la question démunie, qu’est ce qu’une bonne adaptation ?

Il convient préalablement de faire une distinction avec deux définitions. Une adaptation est une action de s’adapter à quelque chose, d’adapter un oeuvre, un texte pour une audience, une technique artistique et désigne l’oeuvre ainsi réalisée. Une suite désigne ce qui vient après, le nouvel épisode de quelque chose. En intervenant après, la suite requiert une considération de l’avant. L’auteur suivant considère donc sa suite comme un épilogue du détail ou comme la prochaine ligne immédiate à écrire. Néanmoins, une suite conduit naturellement à discerner et connaître son prélude. Pourtant, la suite est plus évadée et se dégage des amateurs. Ceux-ci sont renvoyés alors dans le même siège que le cadet, face à l’écran, attendant une histoire neuve à découvrir. Evidemment, le cadet, vierge de la source, chute, cahote entre les ficelles, les vides et les trouées que s’autorise le nouvel auteur. Une suite est donc inhospitalière au cadet. Watchmen créée par Zack Snyder est une adaptation, quand Watchmen créée par Damon Lindelof est une suite. Les deux Watchmen précédents s’extirpent du même bronze consacré de papier, Watchmen, des deux artistes Alan Moore et Dave Gibbons. La série Watchmen entreprend l’audace d’une suite d’un monument qui explose de lignage dans les épisodes #3, #5 et #8. Watchmen par Lindelof s’évertue à ouvrir la porte, mais ça coince rapidement, la lecture du comic-book devient essentielle. Vociférer, s’égosiller, hennir n’y feront rien. Se plonger dans une suite,  vierge de l’antériorité culturelle requise n’est pas envisageable. La frustration, l’impatience, l’emportement et la dépossession vous attendent autrement. Watchmen par Zack Snyder est l’adaptation hyperbolique. Celle qui récupère le gaufrier, les textes, les cadres, un schéma narratif reporté jusqu’aux appendices finaux qui divergent. Watchmen par Zack Snyder est une adaptation au moins disciplinée et quasiment fidèle. 

Une suite devrait au préalable se détacher d’un support en provoquant forcément le relais narratif avec une persistance intransigeante des lois et règles générales de l’épisode précédent. Le support d’accueil est raisonnablement prépondérant pour une adaptation définissant alors une toute nouvelle analyse. Pourtant, une adaptation pourra toujours accuser se propre constitution d’adaptation. Une adaptation adapte donc altère ; Une suite continue donc conserve. 

Revenons à l’adaptation. Une adaptation ne devient d’ailleurs une adaptation qu’à partir du moment où l’individu sait qu’il existe un adapté antérieur. Autrement, l’oeuvre est une curiosité de plus et perd sa mue d’adaptation. Il existe un espace démersal dans lequel l’individu ignore l’origine de l’adaptation ou n’est pas en possession de l’adapté. L’oeuvre n’est donc plus adaptation à ses yeux, l’appréciation individuelle est neuve, démunie de toute subjectivité vécue. Cependant, un approfondissement rétrospectif pourrait élargir le panoptique, puisqu’une appropriation ultérieure de l’adapté contremande le premier aperçu de l’adaptation. Un renversement luit alors, celui d’un scintillement de l’adapté par la lanterne de l’adaptation. L’intellect doit démarrer, il faut considérer l’originel comme point de départ dominant pour apprécier, neuf mais déjà vécu, l’original. 

Une adaptation est finalement un déport de personnages, de concepts, de lieux, d’une diégèse sur un nouveau squelette artistique. La greffe sera absorbée ou rejetée. L’assimilation du greffon relève d’une affinité culturelle au sommet du mur de la subjectivité vécue. Un mur plus ou moins élevé, avec ses anfractuosités, ses escarpements, ses vires, ses prises robustes ou lâches, que nous pouvons franchir ; ou la déclivité est trop forte et nous chutons, incapables de gravir. Toutes ces sinuosités et la hauteur évoquent un costume, une apparence, un physique, un visage, un comportement, un paysage, un élément narratif qui, dans son sérieux ou sa futilité, importent. Le mur de la subjectivité vécue est notre aisance ou notre contradiction à reconnaître et apprécier. Exemple individuel pratique, Thor est une cariatide de l’univers Marvel. Sorti des écrits païens runiques, figure cosmique, renonçant à son panthéon pour les joies justes et le sang sur Midgard. Williamson, Straczynski, Aaron, des recueils dans lesquels un dieu immense, orageux mais loyal et indéfectible est. Le mur imposé par les équipes de la caméra est insurmontable selon mon vécu. Les exemples abondent avec ces inconciliables, mais pour d’autres, les sillons sont solides, et l’acceptation est à la pointe. 

Il n’y a pas de meilleurs évangiles, de meilleurs textes, pamphlet ou plaidoyer. L’appropriation d’une adaptation est égoïste et suit une escalade souple, besogneuse ou impossible. Toute adaptation se confronte d’abord à nos envies et notre souplesse. Si la greffe est viable alors le corps s’anime. La nouvelle création est une abomination décharnée ; une merveille modelée. La nouvelle oeuvre est-elle convenable dans son immanence ? 

L’adaptation est sortie. Le mur est passé, l’appréciation de l’adaptation qui devient film (ou série) se fait par l’expérience distincte et non plus par le vécu. Une adaptation récente n’a pas réussi à exploiter la science de sa nouvelle enveloppe : Captain Marvel. Le métrage est pauvre, idiot, très explicite avec les mots, innocent dans les faits. Captain Marvel est une adaptation éclopée et un film lamentable. Il faudra avancer dans l’année pour dénicher une adaptation bancale dépourvue d’oreilles pointues originelles mais un film de cinéma. Performance orchestrale de Gudnadottir, performance orchestrée par Phoenix, performances imagées de Sher et Ballinger. Joker devient un film véritable, s’appréciant comme film. Le cas Watchmen (2009) est encore à part. Le film n’est plus une adaptation mais un clone déporté. 

Puis, il y a d’autres squelettes artistiques. Le jeu vidéo a ses règles et ses limites. Marvel’s Spider-Man et la trilogie Batman par les mains de Rocksteady en sont les meilleurs récents. Ces jeux sont des réussites : interactivité, liberté de déplacement, variété des situations, accomplissement technologique, récréation, tous ces titres sont de véritables nouvelles œuvres. Deux personnages adorés, déportés vers un squelette fabuleux. Les murs étaient hauts, escarpés, presque insurpassables. L’adaptation est surmontée et le jeu vidéo abouti. 

L’adaptation ne devient adaptation qu’une fois l’adapté connu, absorbé par l’individu. Autrement, l’adaptation n’est qu’une proposition supplémentaire. Puis, une adaptation suit un cheminement cérébral absolument personnel. Suis-je capable de franchir mon appréciation émotionnelle, imaginée, fantasmée ou matérielle de l’adapté pour estimer l’adaptation ? L’ascension du mur débute. L’adaptation se plie et le mur est franchi. L’adaptation dévie et la chute est inévitable. Nous sommes de l’autre côté, l’adaptation est goûtée. Cependant, la nouvelle oeuvre est-elle convenable en tant que nouvelle oeuvre distincte ? L’estimation d’une adaptation est individuelle. Cependant, si l’adaptation est valable comme adaptation, la proposition résultante peut flancher ensuite ou se sublimer. 
Si vous souhaitez poursuivre les vues d’esprit, penchez-vous sur les déclinaisons du sorceleur. The Witcher, deux recueils de nouvelles, puis 5 volumes de littérature, puis 3 jeux vidéos brillants écrivant la suite aux 7 volumes précédents et finalement une adaptation des deux recueils déportés vers la série, diffusée sur Netflix. A vous de voir, lire, jouer. Lire, jouer, voir …