Ram V : « La musique comme la bande dessinée reposent sur la juxtaposition et la superposition d’éléments. »

Ram V revient en notre compagnie sur la création de l’incroyable chef d’oeuvre Blue in Green, évoquant notamment sa vision de l’écriture, sa passion pour la musique et sa collaboration avec Anand RK !

For English speakers, please find lower the interview in its original version.


Quelle est votre relation avec la musique et le jazz en particulier qui a inspiré Blue in Green ?

Ram V : J’ai grandi avec beaucoup de musique autour de moi. Mon père avait des goûts musicaux assez éclectiques et j’ai donc tout entendu, de la musique classique indienne à la musique classique occidentale, en passant par le blues, le rock, la pop, le funk et, oui, le jazz – tout cela bien avant de savoir ce que signifiaient ces genres. J’ai également étudié et joué de la musique, je joue bien d’environ 4 instruments de musique. Je me suis formé à la musique classique indienne quand j’étais enfant. J’ai joué de la guitare dans des groupes quand j’avais une vingtaine d’années. Et surtout, j’écoute BEAUCOUP de musique. Cela influence beaucoup mon écriture. J’ai également toujours trouvé que la qualité obsédante d’un certain type de jazz lent et cool était très intéressante.
Il s’ensuit que Blue in Green s’inscrit dans une série de livres où la musique a trouvé sa place dans mes histoires.

Faire une bande dessinée sur la musique n’est pas facile. Par quels moyens scénaristiques ou graphiques avez-vous réussi à faire ressentir parfaitement au lecteur le parfum de Jazz que dégage Blue in Green ?

Ram V : Vous voyez, j’ai le sentiment inverse à propos de la bande dessinée. La bande dessinée, c’est de la musique. Elle a un rythme dans la façon dont les cases sont lus. Nous insinuons régulièrement des sons par le biais d’effets sonores en lettres. Chaque histoire a un rythme et une tension dramatique, comme une composition. Et la musique comme la bande dessinée, lorsqu’elles sont le fruit d’un travail collectif, reposent sur la juxtaposition et la superposition d’éléments afin de créer une chanson ou une bande dessinée. Il y a donc plus de points communs qu’on pourrait le croire.
Au-delà de cela, je pense que les bons écrivains/artistes/musiciens ont tous la capacité d’évoquer une sorte de synesthésie à travers leur travail. Les mots vous font penser à des sons et vous rappellent des odeurs et des textures. Nous avons essayé d’apporter cela à une bande dessinée. Vous faire penser au jazz à travers les mots, les textures et les couleurs. Insinuer le son à travers la composition et l’art visuel.

Anand RK a parlé de votre collaboration sur Blue in Green comme d’une session d’improvisation entre deux musiciens. Est-ce également le sentiment que vous avez eu ? Comment cela s’est-il traduit ?

Ram V : Bien sûr ! Je suis d’accord avec cela. Quand nous avons commencé, je pense que nous essayions une forme plus standard de collaboration. J’écris le scénario, puis il dessine les pages et ainsi de suite. Mais au bout d’un quart du chemin, nous avons réalisé que nous travaillions tous les deux de manière très proche sur le côté visuel des choses, et nous sommes tombés dans cette façon de travailler où j’écrivais peut-être 2 ou 3 pages à la fois, puis nous nous asseyions tous les deux et collaborions sur la composition, la mise en page, et je n’écrivais les pages suivantes qu’en réponse à ce qu’Anand avait fait sur celles-ci.
L’histoire elle-même est plus focalisée sur l’exploration intérieure que par un dispositif d’intrigue externe. Ce type de collaboration a donc été d’autant plus fructueux que nous étions prêts à improviser et à aller là où nous voulions, là où l’histoire avait besoin d’aller. Plutôt que d’écrire/dessiner/peindre selon une structure préétablie.
Je pense que ce type de collaboration confère au récit une qualité éthérée, presque fluide. Un peu comme la folie. Et beaucoup comme le jazz.

Vous n’aviez pas la popularité que vous avez maintenant. Blue in Green était un projet très risqué à produire à l’époque. Il y a un sentiment d’urgence et de feu intérieur qui traverse Blue in Green. Est-ce également le sentiment que vous aviez à l’époque avec Anand RK ? Le besoin de produire cette œuvre hors norme malgré les risques ?

Ram V : Je n’ai jamais laissé ma popularité (ou son absence) définir le type de travail que je devais faire. Je ne m’en souciais pas lorsque je faisais mon premier livre. Je ne m’en soucierai probablement pas quand je ferai mon dernier livre. En tout cas, pour les projets personnels, je pense que c’est très important. Ma motivation pour faire ces livres, pour raconter ces histoires est purement créative et dénuée d’ego, de peur, de besoin d’adulation ou de validation de quelque manière que ce soit. J’ai écrit Blue in Green parce que c’était une histoire présente dans ma tête qui refusait tout simplement de me lâcher tant que je ne l’avais pas écrite. J’ai donc ce sentiment d’urgence avec presque tout ce que j’entreprends comme projet personnel.

Blue in Green est un mélange parfait de jazz, de thriller, de romance, d’horreur et de folie. Comment avez-vous atteint cet équilibre dans votre écriture ?

Ram V : Je ne sais pas si je pense l’écriture en ces termes. Je ne suis pas particulièrement conscient des genres ou de tout ce que je mets dans l’histoire. J’essaie simplement de raconter une histoire passionnante avec des personnages intéressants. Je suis conscient de la présence de tous ces genres dans l’histoire et je les utilise régulièrement comme canevas pour le drame. Mais mon histoire est essentiellement axée sur les personnages. Ainsi, l’équilibre que vous constatez vient du fait que tout est au service de l’exploration du personnage.

Le succès de Blue in Green n’est-il pas aussi d’avoir réuni des artistes aux influences et à la culture artistique singulières, d’Anand RK à John Pearson en passant par Tom Muller, Aditya Bidikar et vous-même ? Avec le recul, une sorte de dream team ?

Ram V : Très tôt, j’ai lu des conseils sur les bonnes collaborations et le conseil était le suivant : travaillez toujours avec des personnes que vous admirez. Des gens qui font le genre de travail auquel vous aspirez. Chacun de ces collaborateurs m’incite à améliorer mon travail d’écriture. Et au fil du temps, ils sont aussi tous devenus de grands amis. C’est généralement ce que je recherche dans une collaboration : des personnes solides qui ont une voix, quelque chose à dire, un point de vue qui n’est pas omniprésent et surtout des personnes qui vous inspirent à faire un meilleur travail. Adi, Anand, John et Tom ont tous ces qualités dans une large mesure.

Plusieurs de vos bandes dessinées indépendantes se déroulent en Inde (Grafity’s Wall, These Savage Shores, The Many Deaths of Laila Starr…) mais Blue in Green se déroule en Amérique, en partie dans les années 60-70. Avez-vous une certaine fascination pour ce pays et pour cette période en particulier ? Pourquoi ?

Ram V : J’ai vécu aux États-Unis pendant environ sept ans, au cours desquels j’ai étudié et travaillé à Philadelphie et fréquenté et même vécu à New York pendant un certain temps. Je garde un excellent souvenir des clubs de jazz de la côte Est et je continue à les fréquenter aujourd’hui. On peut donc dire que je suis attaché à l’Amérique, à sa culture, à sa musique et à ses habitants. Cette période est fascinante car elle est formatrice dans l’histoire du jazz. À la suite de l’immigration aux États-Unis dans les années 40, en particulier à New York, de nombreux musiciens ont grandi avec des influences américaines tout en conservant la richesse culturelle de leur pays d’origine. Je me suis identifié à cela. J’étais fasciné par ça. C’était une période difficile de l’Histoire de la ville, mais aussi une période d’évolution et de changement sur la scène musicale. Il m’a semblé juste de situer l’histoire, en partie, à cette époque.

Entretien réalisé par échange de mails. Merci à Ram V pour sa disponibilité et sa gentillesse !


Ram V talks about the creation of the incredible masterpiece Blue in Green, his vision of writing, his passion for music and his collaboration with Anand RK !

What is your relationship with music and Jazz in particular that inspired Blue in Green?

Ram V : I grew up with a lot of music around me. My father had quite the eclectic taste in music and so I heard everything from Indian classical music to western classical, blues, rock, pop, funk and yes, Jazz—all this, long before I knew what any of these genres meant. I also studied and performed music, I play about 4 musical instruments well. I trained in Indian classical music as a kid. I played the guitar in bands when I was in my twenties. And above all, I listen to a LOT of music. It influences my writing quite a lot. I’ve also always found the haunting quality of a certain type of slow / cool-school Jazz to be really interesting.

So, it follows that Blue in Green is another in a line of books where music has found its way into my stories.

Making a comic book about music is not easy. By what scenic or graphic means did you manage to make the reader feel perfectly the Jazz perfume that Blue in Green exhales ?

Ram V : See, I have quite the opposite feeling about comics. Comics is all about music. It has rhythm in how panels are read. We routinely insinuate sound through lettered sound-effects. Every story has pacing and dramatic tension much like a composition. And both music and comics—when they are a collaborative effort—are about juxtaposition and layering elements to make a song or a comic. So, there are more commonalities than one might think.

Beyond that, I think good writers/artists/musicians all have the ability to evoke a sort of synaesthesia through their work. Words make you think about sounds and remember smells and textures. We tried to bring that to a comic. Make you think about jazz through words and textures and colours. Insinuate sound through composition and visual art.

Anand RK talked about your collaboration on Blue in Green as an improvisation session between two musicians. Is it also the feeling you had? How did it translate?

Ram V : Sure! I’d agree with that. When we started out, I think we were trying a more standard form of collaboration. I write the script, then he draws the pages and so on. But about a quarter of the way in, we realized that we were both working quite closely on the visual side of things, and we fell into this way of working where I was scripting maybe 2 or 3 pages at a time and then we’d both sit and collaborate on the composition, layout, and I’d only go and write the next few pages in response to what Anand had done on those.

The story itself is more interested in exploring the interior than being driven by some external plot device. So, it made that kind of collaboration that much more fruitful where we were willing to improvise and go where we wanted to, where the story needed to. Rather than write/draw/paint to some pre-set structure.

I do think that kind of collaboration lends the narrative an ethereal, almost fluid quality. A little bit like madness. A lot like Jazz.

You didn’t have the popularity you have now. Blue in Green was a very risky project to produce at the time. There is a sense of urgency and inner fire that runs through Blue in Green. Is it also the feeling you had at the time with Anand RK? The need to produce this unusual work despite the risks?

Ram V : I’ve never let my popularity (or lack of it) define what kind of work I should be doing. I didn’t care when I was making my first book. I probably won’t care when I’m making my last one. Certainly, on the personal projects, I feel this is very important. My motivation to make these books, to tell these stories is purely creative and devoid of ego, fear, need for adulation or validation in any way. I wrote Blue in Green because it was a story in my head that simply refused to let go until I had written it.

So, I have that sense of urgency with almost everything I take up as a personal project.

Blue in Green is a perfect mix of jazz, thriller, romance, horror and madness. How did you achieve this balance in your writing?

Ram V :  I don’t know that I think of writing in those terms. I’m not particularly cognizant of the genres or how much of what I have in the story. I’m just trying to tell an engaging story with interesting characters. I am aware of all these genres being present in the story and I use them routinely as canvases for drama. But largely my story is focused on character. So whatever balance you see comes from all things being in service of exploring character.

Isn’t the success of Blue in Green also to have brought together artists with singular influences and artistic culture, from Anand RK to John Pearson through Tom Muller, Aditya Bidikar and yourself ?  Looking back, a kind of dream team?

Ram V :  Very early on, I read some advice about working on good collaborations and the advice was something like—always work with people you admire. People who are doing the kind of work you aspire to. Each of these collaborators inspires me to up my game with my writing. And over time they have all also become great friends. That’s usually what I look for in a collaboration—good solid people who have a voice, something to say, a point of view that isn’t ubiquitous and mostly people who inspire you to do better work. Adi, Anand, John and Tom all have that in great measure.

Several of your independent comics are set in India (Grafity’s Wall, These Savage Shores, The Many Deaths of Laila Starr…) but Blue in Green is set in America, some of it in the 60s-70s. Do you have a certain fascination for this country and for this period in particular? Why?

Ram V : I lived in the States for about seven years, during which I studied and worked in Philadelphia and frequented and even lived in New York for a while. I have fond memories of East Coast Jazz clubs and continue to visit them today. So, you can absolutely say I have an attachment to America, its culture, music and people. The time period is fascinating because it is formative in Jazz history. Following the immigration to the US in the 40s, particularly to New York, there were a lot of musicians who had grown up with American influences but still bore the cultural wealth of the places they’d come from. I identified with that. I was fascinated by it. It was a difficult time in the city’s history, but also a time of evolution and change in the music scene. Felt right to set the story—part of it, in that time.

Interview made by email exchange. Thanks to Ram V for his availability and his kindness.