L’origine des personnages est toujours un exercice de maître d’orfèvre, surtout pour les « méchants ». Cette recherche constante de la rationalisation, de l’explication exposée sans contradiction désenchante toute la dimension de ces personnages. Chez DC, le cas du Joker est classique, mainte fois écrite, une seule retenue, Killing Joke ou l’éclipse géniale. Avec Thanos, c’est bien différent, en tout point, et l’hypothèse d’une commande éditoriale n’est pas insensée, très loin de là. Nous voilà donc avec 5 épisodes, tous écrits par Jason Aaron, tous dessinés avec talent par Simone Bianchi, donc l’entête est très simple : les Origines de Thanos.
Une déception de plus, alors que le Titan, apparemment seul grand vilain actuel (hors le Fatalis au delà), captive par sa banalité titanique. D’où vient Thanos, quelles sont ses motivations, la conquête absolue dévouée à une faux, à un être fantomatique ? Ces simples mots m’ont toujours suffis, et l’inconnu autour. Thanos Rising ne laisse aucune suspension, point de doute, tout sera dévoilé.
L’enfance d’un Eternel violacé est banale, enhardie par son arrogance et son manque affectif. Son cahier et son fusain HB crayonnent des silhouettes morbides, premières prémices d’une vie de destruction. Car si Thanos est ce qu’il est, c’est évidemment le drame de son aube morose et incomprise, personnifiée en bloc, où tout sur Titan nous ramène à une certaine condition humaine. C’est tellement plus simple d’accoler des simili humano-centrés à une espèce de génies cosmiques, ou rien ne devraient les rapprocher de nous. Des lézards aux « humains », Thanos expérimente sans comprendre sa médecine démentielle, allant jusqu’au matricide, l’oublié des numéros. Un meurtre qui le hante toujours, Thanos est donc un personnage marqué à vif. Bien plus simple à écrire sans doute, la quête identitaire du héros resurgit alors. Les 3 premiers numéros sont indignes de la stature du personnage, surtout que l’auteur palabre pour baratiner. Un ennui qui ne nous quitte jamais. Même si, Aaron appose là un tribut pour la suite.
Un crayon HB, un oxford, des dessins gothiques, Thanos : Les Origines
Thanos se construit autour d’un symptôme paranoïaque, un dédoublement de la personnalité qui l’humanise, encore une fois à tort. Son amour éternel impossible nous est ici totalement adressé, dans un éclairage aveuglant. Les deux amants discutent des heures sur la condition de Thanos, sans réel apport conséquent, du moins au début. Ensuite, quelques échanges s’extraient et l’aveuglement meurtrier du titan est rendu avec poids. Ce baiser final sobrement illustré, reflète toute la complexité d’une relation au préalable déplaisante. Justement, les deux derniers numéros, où cette révélation de l’esprit apparaît, sont meilleurs. Aaron oublie les premiers pas du personnage, qui accomplit alors son existence même. La folie amante annihile tout. L’exutoire se fait ressentir et le vilain gagne en épaisseur. Aaron retrouve son talent pour la réplique, bien aidé par les gros plans de Bianchi du plus bel effet. Mais, et toujours dans une optique de démonstration complète, Aaron nous explique même d’où provient la puissance de Thanos, comme si son origine cosmique n’était pas suffisante.
Sur quelques pages ou cases, l’inspiration est bien là !
Les 5 épisodes se concluaient pour la sortie d’Infinity, dernière grande épopée confrontant Thanos aux Vengeurs. Le Tribut, infanticide stellaire, était au centre des débats. Jason Aaron avait enfanté cette idée, mais qui est seulement apposée là. Les sacrifices ne servent en rien les ficelles distendues de l’auteur, des indices égarés, laissés là pour plus tard. L’ambition fausse de ce titre est mise en lumière par l’échec, aussi, de Lemire maintenant. Le canadien n’a pas réellement de prétention, si ce n’est de raconter les aventures bien trop cadrées du Titan. Avec Aaron, l’intention est toute autre, malheureusement. En offrant une piètre vision de l’enfance du personnage, humanisé, brisé, maladif, celui-ci est traîné dans le boue.
Si vous cherchez à vous le procurer, quelles sont les éditions disponibles ? En anglais, tous les numéros sont réunis dans une édition pour une vingtaine d’euros. En français, ce sont deux éditions possibles : la première, la plus simple, un album relié compile là aussi toute la mini pour 15€. Thanos Rising ne justifie pas un tel achat. Je vous renvoie donc vers l’édition kiosque, Marvel Universe #1 (2013), bien plus abordable, mais plus difficile à trouver.
Thanos Rising n’est pas le Killing Joke du Déviant, mais une simple blague des origines. La personnification constante, le bavardage tapageur, toutes ces explications ne nous éclairent en rien. Un quintuplé gâché par sa recherche du pourquoi, où Thanos perd totalement son aura de vilain cosmique divin. Un simple bambin dégénéré à l’enfance difficile, névrosé par une schizophrénie désolante. Une mauvaise copie d’Un Homme d’exception, où John Forbes Nash est remplacé par Josef Mengele. Seuls le format kiosque (qui date maintenant), ou l’artiste, peuvent vous faire craquer, à éviter sinon.