Tyler Crook : « Je pense qu’être Américain signifie souvent vivre dans un endroit où l’occulte et l’horrible se rencontrent. »

Grand complice de Cullen Bunn sur Harrow County notamment, l’artiste au style si envoutant s’est lancé dans l’écriture avec The Lonesome Hunters, dont les débuts nous ont emballés ! Tyler Crook a accepté d’échanger avec nous sur cette récente création et son travail graphique !

For English speakers, please find lower the interview in its original version.


Art

Votre dessin est reconnaissable au premier coup d’œil ! Comment travaillez-vous ? Quelles sont les techniques et les matériaux que vous utilisez pour créer ces magnifiques planches ?

Tyler Crook : Je commence généralement une page en la concevant et en la dessinant sur mon ordinateur dans Clip Studio Pro. Ensuite, j’imprime mon dessin numérique et j’utilise de l’encre acrylique et de l’aquarelle pour terminer la page. Ce processus me donne beaucoup de flexibilité dans les premières étapes, alors que je résous les problèmes de narration. Ensuite, lorsque je passe à la finition de la page sur papier, je peux utiliser mes outils préférés pour obtenir l’aspect final que je souhaite.

Quelle a été votre formation en tant qu’artiste pour arriver à ce style si original dans la bande dessinée américaine ?

Tyler Crook : J’ai très peu de formation formelle. Je suis allé dans une école d’art pendant quelques mois quand j’avais 20 ans, mais je n’avais pas l’argent pour continuer. Mais j’ai travaillé comme designer et artiste pendant la majeure partie de ma vie. J’ai fait beaucoup de publicité et de conception de marque et j’ai travaillé comme modéliste 3D pour des jeux vidéo pendant plus de dix ans. Ces emplois m’ont beaucoup appris sur la création artistique, mais au final, je dois dire que je suis un artiste autodidacte.

Harrow County

Vos pages sont très souvent dans les tons jaune-orange avec des couches de brun et de gris. Pourquoi ce choix de couleurs ? Est-il uniquement lié à l’atmosphère des histoires que vous dessinez ? Une vision personnelle du monde ? Quelque chose d’autre ?

Tyler Crook : La palette de couleurs que j’utilise change d’un projet à l’autre. Mon travail sur HARROW COUNTY était souvent très brun parce qu’une grande partie de l’histoire se déroulait dans la forêt ou à la ferme, les endroits tachés ont juste beaucoup de brun. Pour THE LONESOME HUNTERS, je voulais que l’œuvre ressemble à une vieille photographie mais aussi un peu à un tableau de Rembrandt. Du moins, c’était le genre d’ambiance que j’espérais obtenir.

The Lonesome Hunters

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire The Lonesome Hunters ?

Tyler Crook : J’ai toujours eu pour objectif d’écrire et de dessiner mes propres bandes dessinées. Mais je n’ai jamais senti que j’étais tout à fait prêt à commencer à écrire. J’avais peur de ne pas être assez bon. Heureusement, j’ai eu la chance de travailler avec des auteurs extraordinaires, comme Cullen Bunn, Jeff Lemire et John Arcudi, pour n’en citer que quelques-uns. Et j’ai beaucoup appris en travaillant avec eux. Je travaille sur THE LONESOME HUNTERS depuis longtemps, mais ce n’est qu’en 2019 que j’ai enfin senti qu’il était assez bon pour le présenter à un éditeur.

The Lonesome Hunters

Dans le genre de l’horreur, vous avez beaucoup collaboré avec Cullen Bunn sur Harrow County. Quels sont les éléments de sa façon de travailler dont vous vous êtes imprégné pour écrire à votre tour ?

Tyler Crook : Cullen est l’un de mes auteurs préférés et la personne avec laquelle j’ai le plus collaboré. Il écrit surtout des romans d’horreur, mais malgré cela, il y a dans son travail un sentiment de bonté humaine qui lui est propre. J’espère que je suis capable d’atteindre ce même type de connexion émotionnelle avec les personnages et le lecteur.

Comment travaillez-vous sur votre histoire ? Est-ce que tout est détaillé case par case ou laissez-vous beaucoup de place à l’improvisation ? En particulier, la fin est-elle déjà écrite ?

Tyler Crook : Je suis encore assez novice dans l’écriture de projets de cette taille, donc mon processus évolue encore. Je commence généralement par rédiger un plan. Je révise et révise encore ce plan jusqu’à ce que je comprenne ce qui doit se passer sur chaque page. Ensuite, je commence à dessiner les cases de chaque page tout en élaborant les dialogues. Cette partie est très improvisée. Mais lorsqu’elle est terminée, je sais ce qu’il y aura dans chaque planche et je ne fais pas beaucoup de changements.

The Lonesome Hunters

Le fait d’écrire vous-même change-t-il votre façon de dessiner ?

Tyler Crook : C’est difficile à savoir avec certitude. Même lorsque je travaille avec un scénariste qui me fournit un script complet, en tant qu’artiste, je fais encore beaucoup de travail qui est considéré comme de l’écriture. Des choses comme choisir comment mettre en scène une action, ou comment exprimer les émotions des personnages, c’est de l’écriture avec des images. Et j’aborde cette partie de la même manière que je le fais habituellement. La grande différence, c’est que lorsque j’écris pour moi-même, je peux faire des choix juste pour me faire plaisir sans me soucier de faire plaisir à mon collaborateur.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce genre qui mêle l’occulte et l’horrifique, en tant que lecteur mais aussi en tant que créateur ?

Tyler Crook : Je pense qu’être Américain signifie souvent vivre dans un endroit où l’occulte et l’horrible se rencontrent. La quantité de douleur et d’horreur qui est imposée au peuple américain à cause du pouvoir politique des cultes religieux est extraordinaire. Comme beaucoup d’habitants de mon pays, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont ces choses s’interconnectent et à leur caractère terrible pour les personnes qu’elles touchent.

The Lonesome Hunters

Dans The Lonesome Hunters, vous vous appuyez sur un duo très contrasté avec un vieil homme usé par la vie et une jeune fille pleine d’énergie. Quelle(s) force(s) cela apporte-t-il à votre histoire ?

Tyler Crook : Ces deux personnages se trouvent dans des situations où ils se sentent piégés. Par eux-mêmes, ils ne savent pas quoi faire pour s’échapper de leur situation. Mais lorsqu’ils travaillent ensemble et utilisent leurs différentes expériences et leurs différentes façons de résoudre les problèmes, ils trouvent un moyen d’avancer. Pour le meilleur ou pour le pire.

Graphiquement comme scénaristiquement, quels sont les éléments sur lesquels vous aimez vous appuyer pour que le lecteur se sente effrayé ?

Tyler Crook : Je pense qu’il est difficile de rendre une bande dessinée réellement effrayante. Je pense que ce que les BD peuvent bien faire, c’est construire du suspens et de la tension. Il y a deux choses importantes à garder à l’esprit : 1) le lecteur doit s’intéresser aux personnages et à ce qui leur arrive et 2) il faut faire très attention à ce que l’on montre et à ce que l’on cache et ne jamais laisser les personnages ou le lecteur savoir exactement dans quoi ils s’engagent.

Colonel Weird : Cosmagog

Projets et lectures

Combien d’épisodes de The Lonesome Haunters sont prévus ? Quels autres projets avez-vous en tête ?

Tyler Crook : Pour l’instant, nous prévoyons 4 numéros. Si ça marche bien, j’ai l’intention de l’emmener beaucoup plus loin que ça.

Quelles bandes dessinées lisez-vous actuellement ? Des coups de cœur ?

Tyler Crook : J’ai lu beaucoup de mangas ces derniers temps. Berserk et Blame ! en sont deux que j’apprécie particulièrement. J’ai aussi relu beaucoup de vieux comics de Jack Kirby comme Kamandi et The Demon.

Entretien réalisé par échange de mails. Merci à Tyler Crook pour sa disponibilité et sa gentillesse !


Great accomplice of Cullen Bunn on Harrow County in particular, the artist with such a bewitching style has launched himself into writing with The Lonesome Hunters, whose debut excited us! Tyler Crook agreed to talk with us about this recent creation and his graphic work!

Art

Your art is recognizable at first glance! How do you work? What are the techniques and materials you use to create these beautiful boards?

Tyler Crook : I typically start a page by designing and drawing it on my computer in Clip Studio Pro. Then I print out my digital drawing and use acrylic ink and watercolor to finish the page. This process gives me a lot of flexibility in the early stages while I am solving storytelling problems. Then when I move to finishing the page on paper, I can use my preferred tools to get the final look that I want.

What was your training as an artist to arrive at this so original style in American comics ?

Tyler Crook : I have very little formal training. I went to art college for a few months when I was 20 years old but I didn’t have the money to continue. But I have worked as a designer and artist for most of my life. I did a lot of advertising and marking design work and I worked as a 3D modeling for video games for over a decade. Those jobs taught me a lot about making art but ultimately, I would have to say that I am a self-taught artist.

Very often your pages are in yellow-orange tones with layers of brown and gray. Why this choice of colors ? Is it only linked to the atmosphere of the stories you draw ? A personal vision of the world? Anything else?

Tyler Crook : The color pallet I use changes from project to project. My work on HARROW COUNTY was often very brown because so much of the story took place in the forest or on the farm, blotch place just have a lot of brown. For THE LONESOME HUNTERS, I wanted the artwork to look like an old photograph but also a little like a Rembrandt painting. At least, that was the kind of mood I was hoping to achieve.

The Lonesome hunters

What made you want to write a script with The Lonesome Hunters ?

Tyler Crook : It has always been my goal to write and draw my own comics. But I never felt like I was quite ready to start writing. I worried that I wouldn’t be good enough. Fortunately, I have been lucky enough to work with some amazing writers, like Cullen Bunn, Jeff Lemire and John Arcudi, just to name a few. And I have learned a lot from working with them. I have been working on THE LONESOME HUNTERS for a long time but it wan’t until 2019 that I finally felt like it was good enough to pitch to a publisher. 

In the horror genre, you have collaborated a lot with Cullen Bunn on Harrow County. What are the elements of his way of working that you have imbibed to write in your turn?

Tyler Crook : Cullen is one of my favorite writers and the person that I have collaborated with he most. He mostly writes horror but in spite of that there is a sense of human kindness to his work that is unique to him. I hope that I am able to achieve that same kind fo emotional connection to the characters and to the reader. 

How do you work on your story? Is everything detailed box by box or do you leave a lot of room for improvisation? Is the ending already written?

Tyler Crook : I’m still fairly new to writing projects of this size so my process is still evolving. I usually start by writing an outline. I will revise and revise this outline until I understand what needs to happen on each page. Then I will start to draw thumbnail sketches of each page and simultaneously working out the dialog. That part is very improvisational. But when that part is done, I know what will be in each panel and I don’t make many changes.

Does writing yourself change the way you draw?

Tyler Crook : That hard to know for sure. Even when I work with a writer who provides me with a complete script, as the artist I still do a lot of work that is considered “writing”. Things like choosing how to stage an action, or how to express the emotions of the characters that’s writing with pictures. And I approach that part the same way that I always do. The big difference is that when I write for myself, I can make choices just to please myself without worrying about pleasing my collaborator.     

What interests you in this genre that mixes the occult and the horrific, as a reader but also as a creator?

Tyler Crook : I think being an American often means living in place where the occult and the horrific meet. The amount of pain and horror that is forced on to the American people because of the political power of religious cults is extraordinary. Like a lot of the people in my country, I’ve been spending a lot of time thinking about how these things interconnect and how terrible they are for the people that they affect. 

You rely on a very contrasted duo with an old man worn out by life and a young girl full of energy. What strength(s) does this bring to your story?

Both of these characters are stuff in situations where they feel trapped. By them selves they don’t know what to do to escape from their situation. But when they work together and use their different backgrounds and different ways of problem solving, they find a way to move forward. For better of worse.  

Graphically as well as scenaristically, what are the elements you like to rely on to make the reader feel frightened?

Tyler Crook : I think it’s hard to make comic books truly frightening. I think what comics can do well is build suspense and tension. There are two important things to keep in mind: 1) The reader has to care about the characters and what happens to them ans 2) you have to be very carful about what you show and what you hide and never let the characters or the reader know exactly what they getting themselves into.

Projects and readings

How many episodes of The Lonesome Haunters are planned? What other projects do you have in mind?

Tyler Crook : Right now we are planning on 4 issues. If it does well, I have a plan to take it much further than that. 

What comics are you currently reading ? Any favorite ones ?

Tyler Crook : I have been reading a lot of Manga lately. Berserk and Blame! Are two that I have been particularly enjoying. I’ve also been rereading a lot of old Jack Kirby Comics like Kamandi and The Demon. 

Interview made by email exchange. Thanks to Tyler Crook for his availability and his great kindness.