Bilan et perspectives – 2021-2022

Dresser un bilan d’une année de lecture est toujours un exercice difficile. Risquer de ne présenter qu’une vue parcellaire de toutes les composantes d’un monde aussi tentaculaire et riche que les comics est bien évidemment présent. Fixons donc les règles des lignes qui vont suivre : Etre subjectif et s’accorder le droit à l’omission.

Plaisir

Malgré tout ce qui peut entraver la bonne marche de notre médium adoré, le premier mot qui vient à l’esprit pour évoquer l’année écoulée est plaisir. Car rarement, aussi bien VF qu’en VO, la variété et la qualité des œuvres n’ont sans doute étaient aussi grandes. Si la VO a réduit sa production essentiellement en raison de la Covid, le nombre de lectures de qualité proposé, VO puis VF, reste exceptionnel. Rien qu’à l’évocation de quelques titres, le constat est infaillible : Ice Cream Man, The nice house on the lake, Crossover, The many deaths of Laila Starr, les GN de Brubaker & Phillips, Automnal, Monstres, Copra…

Morosité

Néanmoins, si l’on prend le prisme de l’édition française, l’humeur est à la morosité. Aucun des éditeurs qui sortent les titres qui nous séduisent ne dresse de bilan optimiste de cette année. Les ventes sont en chute, notamment sur les comics indés où il n’est pas rare de se contenter de quelques centaines d’exemplaires écoulés. Les motifs de cet effondrement sont multiples et probablement impossible à hiérarchiser.

Engorgement

Tout d’abord, demeure le problème de l’engorgement des étals des libraires par un nombre de sorties bien trop conséquent. Quand 404 Comics sort une demi-douzaine de titres par an, Panini en sort le double chaque semaine. Difficile pour le lecteur d’accorder sa curiosité et son portefeuille à cette abondance. Et malheureusement, nous le déplorons depuis fort longtemps, la bourse naturellement limitée, la majorité des lecteurs ira prendre un Batman moyen plutôt qu’un magique Automnal. Dans cette foule de sorties, un titre, noyé lors de sa sortie et vite remplacé sur les étals, aura également du mal à vivre sa vie sur le long terme.

Prix

Le prix relativement élevé des comics est également évoqué – notamment à travers diverses polémiques récentes plutôt stériles qui comparent comics/mangas/franco-belges – mais ce n’est pas une composante spécifique à la bd américaine. Par comparaison, la bd franco-belge peut sembler nettement plus onéreuse tout en maintenant ses chiffres de ventes. Pour un produit généralement cartonné et en couleurs, les comics se défendent d’ailleurs plutôt bien question prix.

Comics ou bd américaine

Une autre difficulté absolument non négligeable est ce qu’évoque, encore et toujours, le terme « comics » dans l’esprit des lecteurs de bd et des gens, en général. L’association avec les super-héros – renforcée par l’impact et le succès des films du MCU – demeure trop systématique, éludant toute la richesse et la diversité du médium. On peut se demander ce que serait la destinée d’une collection à petit prix avec les titres indés chez Urban Comics, par exemple.

 

Les leviers de la contre-attaque

Quels sont alors les leviers possibles pour contrer tous ces maux ? Du côté des éditeurs, s’affranchir de l’appellation « comics » pour certains titres semble être un moyen de toucher un nouveau lectorat – celui des fans de comics étant une niche, et celui des amoureux de comics indé, une niche au fond de la niche. Urban Comics a commencé à le faire en proposant certains titres estampillés simplement Urban et des formats plus « franco-belge », 404 Comics envisage de le faire en identifiant 404 Graphic une nouvelle collection inaugurée par le futur Everything. Proposer des rééditions sous divers formats, à commencer par les intégrales au succès grandissant, semble permettre à certains titres de bénéficier d’une seconde vie. Mais cela ne concerne pas les comics ayant souffert au préalable. Proposer un second format basé sur le concept du livre de poche permettrait-il de toucher un autre lectorat ? La question peut se poser et celle des moyens de le mettre en place également.

Libraire chéri !

Les libraires ont évidemment une importante clé entre les mains pour permettre aux comics de se désenclaver des clichés liés aux super-slips. Mettre en valeur les titres indés comics comme de LA BD au sens large doit permettre petit à petit d’abattre les murs résistants. Certes sans doute plus aisée pour le lecteur, la classification Mangas/Comics/Franco-Belge est aussi source de frontières parfois imperméables pour certains.

 

Médias spécialisés et réseaux, cercles vicieux

Les comptes de réseaux sociaux et blogs dédiés aux comics sont devenus légion sur la toile. Nombreux sont à vanter la qualité et la variété des productions que nous encensons également. Mais le fait est que là aussi, c’est une niche qui parle à une niche. Comme nombre de médias numériques spécialisés, ils prêchent des convaincus. Et si, à la marge, ils permettent de faire vendre quelques dizaines d’exemplaires supplémentaires d’un livre, ce n’est qu’en touchant de grands médias généralistes que la bascule peut se faire réellement vers le gros succès. Et pour la presse papier spécialisée bande dessinée au sens large, force est de constater que généralement, le comics reste le parent pauvre, aussi bien dans les chroniques d’albums que dans les articles de fond.

Pénurie

A tous ces écueils, vient s’ajouter depuis peu mais de façon vraisemblablement pérenne, la pénurie de matières premières – ou plutôt la désorganisation, liée initialement à la Covid, de toute la chaine qui permet aux livres d’arriver chez les libraires – qui, dans un premier temps, oblige les éditeurs à décaler leurs sorties et sans doute, sur le long terme, à réduire le nombre de publications et à modifier les formats. Le single VO et ses habituelles Variant Covers et reprints a du plomb dans l’aile, certains éditeurs ayant réduit les premières et supprimer les seconds. Comme c’est déjà le cas, on peut imaginer le développement des Graphic Novels et des tpbs sans passer par la mensualisation des séries, bien que cela soit une caractéristique du médium en VO. Le prix, déjà source de crispations, est sans doute également amené à évoluer, en VO comme en VF, et pas dans le sens du lecteur. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le seul éditeur VF à avoir officiellement acté des augmentations – Panini – est sans doute celui qui a des assises suffisamment fortes pour amortir ces turbulences avec sérénité. Mais l’éditeur sait toujours aller là où on l’attend – pour le pire… A contrario, la volonté de maintenir un prix décent et aussi, sans doute, de ne pas accentuer encore davantage la chute des ventes, semble présente chez les plus « petits » éditeurs.

Curiosité

Malgré tous ces sombres éléments, c’est bien le mot plaisir que l’on espère conserver en haut de la liste de nos impressions pour l’année 2022. Les annonces déjà faites chez de nombreux éditeurs – en particulier VF, qui offrent une visibilité plus lointaine – laissent augurer une volonté toujours présente de proposer variété et qualité, de quoi titiller notre curiosité. C’est ce dernier mot qu’il faudra, une nouvelle fois, hisser tout en haut car c’est avec lui, sans doute, que les comics indés (re)trouveront le succès qu’ils méritent auprès des lecteurs !