Comme chaque année depuis deux ans, nous dressons un bilan de l’année écoulée avec en point de mire, les bonnes ou moins bonnes choses qui pointent le bout de leur nez pour l’année à venir !
Nous voici donc au bout d’une année contrastée qui a vu le marché des comics devoir faire face à de nombreuses turbulences mais qui, du moins en VF, n’a peut-être jamais été aussi riche en proposition !
Le verre à moitié vide : pénuries diverses et marché en berne
Les deux expressions qui sont revenues le plus souvent dans la bouche des acteurs et amoureux du monde des comics ou sortis de leurs claviers d’ordinateur sont sans doute « pénurie de papier » et « marché en berne » ! Car c’est ce qui a marqué le monde de l’édition, et la production de bande dessinée américaine, en ce qui nous concerne. Le premier élément est indéniable et a des conséquences évidentes sur le deuxième qui possède une marge de flou parfois évoquée par certains éditeurs.
Le manque de papier qui impacte tout aussi bien l’impression des livres que les livraisons dans des cartons a plusieurs conséquences : reports voire annulations de certains titres, notamment chez les plus petits éditeurs qui impriment un nombre d’exemplaires plus faible et donc ne sont pas forcément prioritaires dans la longue file d’attente, modifications de format, augmentation de prix…Tout ceci ayant pour conséquence majeure une baisse apparente de ventes. Mais le constat et la vision ne sont pas les mêmes si l’on est Panini ou Vestron. Quand l’un peut se permettre de perdre de l’argent sur certains titres indés peu mis en avant avec quelques mastodontes pour compenser à ses côtés, l’autre souffrira durement d’un titre mal vendu.
Une vision biaisée ?
D’autant que la vision de la santé de ce marché de la bande américaine s’en trouve biaisée par différents paramètres. D’abord, la multiplication des types de sorties où les collections à petit prix, constituées de rééditions, raflent une bonne partie des premières places des ventes de comics et masquent encore davantage la suffocation de certains titres qui se vendent à peine à quelques centaines d’exemplaires. Ensuite, mais dans un sens contraire, l’étiquetage par certains éditeurs, de leur production comme roman graphique ou bd franco-belge, par exemple, omettant sciemment d’évoquer le terme comics, trop connoté pour nombre de lecteurs, qui implique leur absence dans la comptabilité des ventes de bande dessinée américaine.
N’en reste pas moins une part de marché qui ne dépasse guère les 10% au maximum des ventes de bandes dessinées si l’on compte au plus large.
Parades-Ripostes
Les éditeurs cherchent alors des parades à tous ces phénomènes. Mais la riposte – et ses moyens – est évidemment différente selon la taille et la puissance de la maison. L’augmentation de prix – plus ou moins forte – est un passage obligé pour la quasi totalité des éditeurs. En parallèle, s’est lancée une réflexion sur les formats et le produit proposé. Si 404 Comics choisit de limiter son nombre de sorties pour miser sur des livres au contenu à la forte personnalité et à la production chiadée ou HiComics qui, tout en réduisant aussi son nombre de sorties, pousse à son tour ses effets de fabrication, d’autres, comme Urban Comics, testent de nouveaux formats – même si Nomad ou Chronicles étaient dans les tuyaux avant la crise. Dans tous les cas, il s’agit de séduire de nouveaux lecteurs, de maintenir captif un lectorat dans le doute et à la bourse limitée ou de convertir les lecteurs de super héros à la bd sans personnages à collants.
Un lectorat protéiforme
Mais le lecteur est totalement protéiforme, aussi bien dans ses gouts que dans ses moyens. L’acquéreur de l’omnibus Ultimate Spider-Man peut-il se convertir en lecteur de The Plot ou Love & Rockets ? Pas sûr. Nombre d’éditeurs s’y attèlent avec un succès mitigé. Le réservoir de lecteurs potentiels provenant de la bd franco-belge, notamment, est-il si important que cela ? On peut aussi se poser la question.
Autre difficulté pour les éditeurs : la question du format. Traditionnellement proposé sous le format du floppy mensuel puis du tpb souple outre atlantique, le comicbook à la française a petit à petit adopté le cartonné à la franco-belge, notamment depuis l’arrivée d’Urban Comics en 2012 et ensuite avec la disparition définitive du kiosque, il y a quelques années. Mais le constat fait démontre aussi des habitudes et des envies diverses de la part des lecteurs. Le succès des omnibus Panini – de plus en plus nombreux chaque année – illustre un gout certain pour les volumes à forte pagination – quitte à mettre le prix, tandis que la réussite de la collection Nomad chez Urban Comics semble traduire un souhait de lecture nomade au format pratique et au prix mesuré. Mais là encore est-ce les mêmes lecteurs et si l’on répond par la négative, l’un est-il convertible en l’autre ?
Le rôle des libraires est également primordial dans cette prise de possession de l’univers de la bande dessinée américaine par le lecteur. Si nombre d’entre eux font un boulot remarquable, il reste encore des efforts à faire dans le référencement et la promotion des œuvres !
Convertir de nouveaux lecteurs ou conserver le lectorat existant se révèle en tout cas une tâche complexe. Cela n’empêche pas de nombreux éditeurs moins en vue dans l’édition de comicbooks d’apporter leur pierre au fragile édifice (Ca & là, Sarbacane, Futuropolis, Monsieur Toussaint Louverture, …) et de nouveaux acteurs de débarquer chaque année et de tenter leur chance, souvent en ciblant le lectorat. 2022 a vu débarquer Black River avec quelques licences et quelques fictions.
Le verre à moitié plein : une proposition riche et variée
En tant que lecteur, on peut aussi avoir une vision plus positive si l’on observe le marché de la bande dessinée américaine par le prisme de la variété et de la qualité de la production proposée. Rarement, le lecteur français n’a sans doute bénéficié de tant de choix dans ses lectures ! Raptor, Giant Days, TMNT, Dans les yeux de Billie Scott, Copra, Hagär Dünor, Everything, Keeping Two, The Dept of Truth, Stray Bullets, Red Room, Serial, Hawai Solitudes, La fille de la mer, Saison de sang, November… voici un échantillon rapide qui démontre la richesse et la variété incroyables de la production de la bande dessinée américaine en France, à laquelle s’ajoute le contingent fourni de titres de super héros Marvel et DC. Le lecteur curieux trouvera sans aucun doute son bonheur dans cette production pléthorique qui conduit aussi clairement à un éparpillement des investissements chez un lectorat limité en nombre. On est d’ailleurs bien loin d’un souhait de réduction du nombre de titres évoqué à la sortie du confinement de 2020 par nombre d’éditeurs.
L’année 2022 en quelques titres et quelques moments clés
Parmi les faits marquants de l’année, outre nos coups de coeur qui figurent dans un article dédié, on retiendra le renouveau proposé par Urban Comics sur plusieurs plans. L’arrivée de nouvelles séries indés fortes (Toutes les morts de Laila Starr, The Dept of Truth, Crossover…) après plusieurs années plutôt calmes, marque un regain qui va se confirmer en 2023. L’exploration de nouveaux formats et collections qui sont des succès avec les transportables Nomad et leur variété, ainsi que la collection Chronicles, au contenu édito remarquable, vouée à se développer. 2022 fut aussi la confirmation que 404 Comics porte bien une nouvelle voix avec des titres triés sur le volet et présentés dans des éditions aux petits oignons. Le succès grandissant des TMNT chez HiComics – avec comme point d’orgue le one shot The Last Ronin qui connait une belle réussite – ou l’achèvement de la publication des intégrales Giant Days chez Akileos – passées à un cheveu de l’échec du financement participatif – semblent nous dire aussi qu’il est nécessaire de ne jamais renoncer !
2022, c’est aussi quelques séries qui ont disparu des rayons sans doute faute de ventes (Stillwater, Texas Blood,…chez Delcourt), sont passées tout près, pour les mêmes raisons, (The Plot chez HiComics) et d’autres que l’ont aurait aimé voir arriver (Eve, Ie Cream Man, Home Sick Pilots, Time Before Time….) mais l’espoir n’est pas perdu, comme vous allez le voir un peu plus bas…
Le choix du verre à moitié plein pour 2023
Les problèmes évoqués précédemment ne vont pas disparaitre de jour au lendemain par un coup de baguette magique. Dans l’idée de voir le verre à moitié plein, et aux vues des annonces déjà faites pour 2023, notre enthousiasme sera difficile à tempérer ! Voici pêle-mêle, nos plus grosses attentes pour le début de l’année à venir en VF en termes de nouveautés !
Dès le mois de janvier, le sourire va s’afficher sur nos visages de lecteurs avec l’arrivée du meilleur GN de l’année 2020 en VO et donc incontestablement l’une – LA ? – des sorties de 2023 en VF. Blue in green ou comment la quête artistique peut conduire un homme à sa perte, de Ram V, Anand RK et John Pearson arrive enfin chez HiComics ! Un bijou graphique et scénaristique à ne manquer sous aucun prétexte ! L’éditeur reviendra avec 3 autres sorties indés cette année dont Rain, adaptation d’une nouvelle de Joe Hill par Zoe Thorogood et Immortal Sergeant de Joe Kelly et J. Ken Niimura (I Kill Giants) ! L’autre gros pan de l’éditeur est les TMNT avec le très attendu Shredder in Hell, le reboot de la série après le tome 19 et le lancement en souple de la IDW Collection, reprenant au début de la série à laquelle s’ajoute les one shots ou séries annexes.
En ce même premier mois de l’année, on ira se jeter aussi sur Friday de Ed Brubaker et Marcos Martin, sorti chez Panel Syndicate en VO, et récupéré par Glénat chez nous. Un passage à l’âge adulte sur fond d’enquête policière. Délectable !
Parmi les séries indés de 2022 en VO et que l’on attend de pied ferme en VF, se trouve bien sûr The Nice House On The Lake, carton annoncé chez Urban Comics avec, notamment la venue des auteurs au FIBD. Egalement chez l’éditeur, l’arrivée en avril de l’excellent Public Domain de Chip Zdarsky ! Autre ambiance autour de la collection Chronicles qui s’agrandit, à notre plus grande joie, avec l’arrivée de la JSA de Goeff Johns et du Superman de John Byrne – second chance après le mal vendu Man of Steel !
Chez Delcourt, la sortie la plus attendue sera Do A Powerbomb, incontournable de la fin d’année en VO ! Sans doute ce qu’a fait de meilleur l’excellentissime Daniel Warren Johnson ! Une fois n’est pas coutume, nous allons parler de Panini qui s’est offert le dingo Monkey Meat de Juni Ba ! Fou et génial ! Salamandre de I.N.J. Culbard est également un titre très excitant à sortir chez 404 Comics ! Les suites de The Kill Lock et de By The Horns chez Komics Initiative seront également attendues fébrilement !
Enfin, pour conclure, l’annonce que tout le monde attendait – ou presque, certains ayant un gout plus qu’incertain – avec l’arrivée – enfin – d’Ice Cream Man de W. Maxwell Prince, Martin Morazzo et Chris O’Halloran chez Huginn & Muninn pour un premier tome en mars ! La série horrifique anthologique que l’on chérit arrive chez l’éditeur dans le cadre d’une vague de titres horrifiques !
Cette déjà belle liste viendra encore s’étoffer au gré des annonces d’éditeurs mais le programme du premier trimestre est déjà fabuleux ! A nous, lecteurs, d’être curieux, de faire les bons choix pour que, malgré les difficultés, cette variété et cette qualité perdure sur les étals de nos libraires ! Bonne année de lecture comics à tous !