Freebooters / Young Gods (VF)

Freebooters / Young Gods
Date de Sortie
25 août 2023
Scénario, dessin & couleurs
Barry Windsor-Smith
Editeur
Komics Initiative
La note de ComicStories
10

Barry Windsor-Smith est un grand nom du monde des comics, fameux pour ses collaborations chez Marvel (Conan Le Barbare, L’Arme X, …) ou chez Valiant (Archer & Armstrong, …) mais également pour ses productions indépendantes, à commencer par le récent Monstres.

Un processus créatif compliqué

Lassé des méthodes de l’industrie des comics et bien décidé à faire souffler un vent nouveau, l’artiste décide en 1995 de lancer chez Dark Horse un comicbook anthologique intitulé Storyteller, composé de trois séries (Young Gods, Freebooters, Paradoxman). Mais ce travail titanesque qui demande toute l’implication personnelle de Barry Windsor-Smith subit un coup d’arrêt définitif de la part de l’éditeur au bout de 9 épisodes, ce dernier arguant un déficit de ventes. Se sentant trahi – il estime que Dark Horse n’a jamais mis en œuvre une réelle promotion de Storyteller -, l’auteur sombre dans une humeur dépressive et laissera inachevées ses trois séries. Malgré tout, en 1997, il accepte la proposition de Fantagraphics d’éditer en recueils les séries initiées dans Storyteller, accompagnées de chapitres inédits, de notes d’intention et d’esquisses. Ce sont ces versions que propose Komics Initiative dans deux copieux volumes présentant les séries Freebooters et Young Gods.

Jack Kirby et Robert E. Howard au programme ! 

Pour ses séries, Barry Windsor- Smith choisit des genres qu’il a déjà pratiqués et qu’il maitrise, tout en apportant sa patte, ainsi qu’une maturité et une liberté qu’il estime absentes des comics de super-héros sur lesquels il a travaillé : SF, Sword and Sorcery et Aventures Héroïques vont donc servir de contexte à Freebooters,  Young Gods et Paradoxman.

Conan à la sauce Archer & Armstrong

La première est une relecture personnelle des aventures de Conan qu’il teinte d’un côté très décalé comme il a pu le faire sur Archer & Armstrong. L’auteur, qui a longtemps travaillé sur ce synopsis et l’a beaucoup fait évoluer depuis l’ébauche initiale, focalise son récit sur les personnages et multiplie les rebondissements dramatiques, toujours contrebalancés par un humour un peu trash. L’ensemble fonctionne bien tout en ne s’adressant pas à tous les publics !

Quand Shakespeare rencontre Kirby

Young Gods est dédiée à Jack Kirby et l’on sent évidemment l’inspiration du maitre dans ce mélange de récit cosmique façon New Gods et de drame Shakespearien. L’histoire proposée par Windsor-Smith voit le Prince Héros et son cousin et ami Mainsdor, des divinités, profiter d’une dernière aventure avant que le premier cité ne convole en noces. En chemin, ils croisent Adastra, sœur de la future épouse et déesse au caractère bien trempé qui va tenir le rôle principal par sa caractérisation extrêmement forte ! De Shakespearien, Young Gods possède un aspect théâtral dans la façon d’agir des « acteurs » et dans leur façon de parler, même si le langage souvent fleuri apporte un contraste saisissant, ainsi qu’un lot de rebondissements dramatiques. Et comme Freebooters, cette deuxième série possède un humour décalé très présent. L’auteur profite également de quelques séquences pour glisser des commentaires méta et des piques bien sentis à une industrie qu’il exècre.

Du Barry Windsor-Smith dans les pinceaux !

On retrouve au dessin toute la patte de l’artiste avec ce trait foisonnant et riche en détails. Que cela soit dans l’originalité parfois parodique de l’univers mythologique que dans la luxuriance de l’Orient de Shahariza, l’artiste impressionne. Pour les deux séries, Windsor-Smith propose des teintes bleutées ou rosées qu’il appose avec de belles nuances.

Un travail éditorial fascinant

L’état d’esprit de Barry Windsor-Smith vis-à-vis de l’industrie ainsi que ses relations complexes avec l’éditeur transparaissent totalement dans le travail éditorial proposé. Son ambition et sa vision vont se fracasser sur la réalité d’un marché avec lequel il n’a aucune connexion morale pour se transformer en dégout profond. Tout au long de ces pages édito, le lecteur capte sa façon de travailler, de composer ses planches, de construire ses histoires, ses hésitations, ses renoncements, ses tourments personnels. Ce fascinant travail bénéficie également des notes d’intention pour la fin de ses séries restées inachevées. Si l’on pourra regretter quelques coquilles dans les textes, l’ensemble forme un remarquable recueil !

Inédits en français, les deux recueils Freebooters et Young Gods démontrent, une nouvelle fois, tout le talent créatif de Barry Windsor-Smith ! Proposant un travail éditorial fascinant sur l’ambition et les déboires de l’auteur avec l’industrie du comicbook, Komics Initiative livre, à nouveau, une indispensable lecture !

Points forts
Un témoignage inestimable sur le talent créatif de Barry Windsor-Smith
Des séries d'une grande richesse
L'imposant travail éditorial
Points faibles
Des séries inachevées, ce qui pourrait refroidir certains lecteurs
10
  1. 9.9
    Barry Windsor-Smith : Storyteller

    Merci pour cet article !
    Ces deux livres sont en effet indispensables.
    Car plus qu’une histoire, en effet, c’est en transparence, celle d’un auteur, vieillissant, et à l’instar d’Axus, qui voit comment sa gloire passée, et l’admiration qu’on semble pourtant porter à ce fameux passé glorieux dont il a été un des artisans, est objet de consommation, et vous laisse à la marge (le méprisant Calife qui le tolère tout juste en sa magnifique cité serait-il Marvel ? L’idée est amusant, en tout cas).

    J’ai été réchauffé par l’admiration qu’a générée cette lecture.
    Réchauffé par l’intégrité folle, l’audace d’un Don Quichotte de son auteur face aux recettes Marvel/DC, et à l’époque où le PIRE des comics (les débuts d’Image et ses couvertures en holo-plastique n’ont jamais caché le vide total intérieur) enterrent le peu de dignité qu’il restait dans cette industrie mainstream…

    Tout ça me souffle !

    Conan, réduit à une sorte de Gérard Depardieu, paillard, un peu punk (un peu con aussi) mais tellement sincère et DRÔLE !!!

    Quelle merveille.

    Revenant à des pans entiers de ma bibliothèque, je pourrais désherber beaucoup de BD d’icônes « intouchables », tant la comparaison avec cette ultime (Monstres – une autre métaphore, comme Weapon X, des créatures abimées par l’industrie qui les accouche – mettrait 25 ans à se faire).

    Quelques rares VRAIS super-héros existent dans les comics.

    Avec Jack Kirby, Will Eisner ou Alan Moore, je regrette que Barry Windsor-Smith ne soit pas encore reconnu comme digne du podium.

    Décidément, si Storyteller était un film… ce serait le projet maudit de Terry Gilliam « L’Homme de la Mancha » (avec Jean Rochefort et Johnny Depp), film dont le panache et les déboires dignes d’une tragédie d’hommes contre les dieux est vraiment comparable dans le fond, comme dans la forme.

    Merci pour cet article !

    (PS : je rêve aussi que, le succès aidant – rêvons un peu – les quelques coquilles qui surnagent puissent être corrigées, ne serait-ce que pour mériter totalement cette note de 10 /10 que vous donnez)

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