Abscons, abstrus, hermétique, Heroes in Crisis a fait couler des encres. Le scénariste angoissé du Batman obsédé reçoit son premier passe-droit, celui d’écrire la mini-série en 9 numéros de l’année. Tom King est dévoré par la peur de la paternité et les blessures de l’esprit. Heroes in Crisis ne s’échappe par de cette tourmente. Tom King se confie sur sa paternité et ses blessures de l’esprit. Au dos du volume il y a une note, There’s never been a crisis like this ; de toutes mes dissipées lectures de ce panthéon, il se pourrait effectivement que cette crise soit unique.
Le format librairie contourne les critiques lassées, désabusées par l’attente du découpage épisode à la suite. La vacuité des numéros discrets est évitée, il n’est pas question d’y accorder un grief particulier (reconnaissons néanmoins l’engourdissement des numéros 3 et 5 à 7).
Tom King gonfle son linceul du trauma puisque la paternité est plutôt l’élément de résolution et déclencheur. Le traumatisme est le contexte, la paternité est le texte. Le cadre est déjà essentiel. King récupère le panthéon et l’envoie chez Asclepios pour se soigner, se confesser, se restaurer le corps et surtout l’esprit. Sanctuary est un centre silencieux perdu dans les épis de blé, vierge des médias et dans lequel les hommes masqués peuvent, au choix, garder l’anonymat dans ces coulisses reposantes. Mais le sanctuaire est violé par le sang. Une idée brillante, un carnage effroyable et une enquête. Ceci est la trame et cela devrait suffire.
Heroes in Crisis ausculte les dieux sur un divan. A priori les divinités seraient intouchables, ici, celles-ci étaient, pour la plupart, des hommes devenus miracles humains par la chimie. Les Super-héros sont en réalité des demi-dieux et une analyse à 60€ par semaine est parfois nécessaire pour la demie humaine restante. L’accomplissement principal de King dans ses pages siège sur le retournement de ces déités primordiales, mineures ou à peine divines en statues fissurées, incomplètes et maladivement humaines. Ces brisures craquellent lors de l’épisode 5 au sommet de fébrilité … même lui … même … l’homme de demain chancelle sous les cicatrices et les cauchemars. Toute l’audience passe son examen, sobre, opaque et pessimiste en un exercice de style filé, cadré sur une page et l’épatant gaufrier en 9. Heroes in Crisis est donc une histoire de surhommes en crise.
Ces failles se découvrent sous différents masques. Ils en portent tous. Un est plus secret que les autres, celui de la solitude ou plutôt la perte d’une présence et cette volonté extrasensible de ne plus être seul. La crainte de l’abandon est au cœur de l’électricité extatique de cette histoire, et plus généralement, de l’oeuvre de King. Batman et Vision notamment. Harley minée par les coups ou la fanaison accoudée de son amour venimeux ; puis Booster Gold qui s’efforce de se convaincre de son utilité, il restera le comique doré jusqu’à la fin, nous pensons tous qu’il n’est rien, il pense qu’il n’est rien. Tom King consigne sa dépression en convoquant celle de ses personnages. Celui-ci a cependant une enquête à mener. D’ailleurs, l’ultime réunion, en plus de l’affaissement de l’esprit, s’autorise un vent émotionnel libérateur à toute cette froide thérapie en une question : Une souffrance peut-elle effacer celle des autres ? La rédemption est-elle au creux de la main du meurtrier détruit ? Le présent volume est ambigu. Cependant, Tom King pourrait aussi être un traître. Un traître immense envers une génération entière de lecteurs qui perd l’enthousiasme d’un éclair. La meilleure personne, parfois, déçoit. Un pouvoir soulève de grandes responsabilités du bien, que King souille, ou humanise, en une question des responsabilités ravageuses d’un tel pouvoir.
Puis, Tom King embue parfois par certaines trouées narratives régulières. Ces moments de blancs dans lesquels les paroles jurent avec les actions, dans lesquels les mots ne s’accordent plus à la gravité mouvante qui se déroule pourtant. Le numéro #7 est un exemple éloquent. Gold et Harley, au sol, discutaillent sur les rimes de matassin et la convenance de tenir de tels mots en action, la légèreté amusante suit immédiatement une tentative d’empalement de ce même Gold par cette même Harley. Heroes in Crisis toussaille sous ces enrouements blancs. Batman #48-49 sont deux parfait exemples si vous souhaitez poursuivre l’expérience de la trouée. Plus distrait que la traîtrise du dessus, mais suffisant pour troubler.
Certainement, Heroes in Crisis est individuelle. Seule Identity Crisis, unique autre crise majeure des sentiments, peut prétendre suivre une consultation psychologique. Le volume événement s’oppose en tout au souffle hors d’haleine de Scott Snyder. Introverti, vertigineux, neurasthénique, mortellement humain, Tom King est faillible. Dévoré par de basses obsessions, apeuré par des inquiétudes aussi ordinaires que la paternité ou la solitude, le choc et les collisions des esprits, Tom King délivre sa version d’une crise identitaire morne, personnellement paralysée. Il était insensé de trouver un dossier différent. L’écrit est froid, glacial, distant, mais humide d’une véritable émotion sur sa conclusion qui pourrait pardonner toute les traîtrises.