Après Nemesis, Judge Dredd ou L’exécuteur – pour n’en citer qu’une poignée -, voici que débarque un autre comic indépendant culte des années 70-80 aux éditions Delirium : Nexus de Mike Baron et Steve Rude.
Quasiment inédite en France – une publication chez Semic au début des années 2000 – la série voit le jour en 1981, d’abord chez Capital Comics pour 9 épisodes puis ensuite chez First Comics – éditeur de American Flagg!, notamment -, maisons d’édition indépendantes comme il en fleurit par wagon à l’aube des années 80. Si Nexus continue encore sa vie de nos jours de façon irrégulière chez Dark Horse, il était temps pour le lecteur français de profiter de ce bijou de comic !
Nexus est un humain doté de pouvoirs surnaturels qu’il utilise pour traquer les plus grands criminels à travers la galaxie. Apparus dans ses rêves, ces meurtriers subissent alors sa justice dans des missions de plus en plus éprouvantes pour Nexus, humain avant tout. En parallèle, la journaliste Sundra Peale vient enquêter sur celui-ci, dont l’attitude suscite de nombreuses interrogations vu de Terre.
Partant d’une proposition scénaristique teintée d’une certaine gravité, Mike Baron imagine une série d’une grande richesse et aux multiples facettes. Son personnage principal, à l’origine et à l’histoire complexes, questionne l’idée de justice dans un univers où les systèmes politiques sont plus proches d’un totalitarisme cruel et sans pitié que d’une démocratie accueillante, ce que Nexus tente de créer sur Ylum, lune orbitant autour de la planète Marlis. Monde bouillonnant et bigarré de peuples réfugiés fuyant la guerre, l’exploitation, la terreur, Ylum tend à se constituer en société avec ses évolutions et vicissitudes, décrites au fur et à mesure par Mike Baron et sujettes à de passionnantes séquences sur la longueur du récit.
Lui-même torturé par ces rêves révélateurs et ces missions en forme d’exécutions sommaires, se régénérant dans une sorte de bain amniotique, Nexus possède une personnalité complexe que Mike Baron fait évoluer au fil du récit, tout en évoquant la vision qu’ont les autres de lui. Héros rendant la justice ou assassin sans scrupules ? Qu’est-il prêt à endurer et à sacrifier pour cette mission qu’on lui a imposée ?
Le scénariste tisse en toile de fond de sa série une multitude de sous-intrigues qui viennent se greffer petit à petit et enrichissent l’univers. Par l’intermédiaire d’un nombre conséquent de personnages secondaires aussi singuliers que rocambolesques, Mike Baron évoque avec acuité des sujets comme les médias, le commerce, la politique ou propose des arcs où l’aventure la plus épique et farfelue emporte le lecteur dans un tourbillon fou.
Les créatures extraterrestres, végétales, aquatiques comme les mondes traversés sont dans la plus pure tradition de la Science Fiction des années 80 où l’imaginaire et le plaisir d’évasion étaient davantage le maitre mot que la crédibilité scientifique. Judah Maccabee, sorte de primate adepte de la castagne, Badger, héros créé par Mike Baron dans une autre série venant délivrer ses tirades délirantes, ou Clausius, sérial découpeur de têtes afin d’en tirer toute l’énergie télékinétique, sont quelques exemples de personnages totalement fous qui traversent la série.
Le dessin de Steve Rude époustoufle par sa grande beauté et sa folle inventivité. Artiste idéal pour cette série de SF débridée, l’artiste américain imagine des personnages hauts en couleur, des designs de vaisseaux, des intérieurs, des paysages qui font voyager le lecteur. Si les premiers épisodes en noir & blanc démontrent la pureté de son trait, les couleurs invitées sur les épisodes suivants ajoutent à cet aspect SF vintage et réjouissant. Ses découpages ciselés, le dynamisme et la régularité de son dessin sont un régal pour les yeux. La partie graphique de Steve Rude participe au voyage incroyable que propose Nexus !
La série aborde tout autant des sujets sérieux qu’elle met en scène des situations drôlissimes, se frottant régulièrement avec l’absurde. Dans les deux cas, la traduction d’Alex Nikolavitch est aux petits oignons. Le traducteur parvient à une grande fluidité dans les dialogues et gratifie le lecteur de multiples trouvailles quand il est question d’user de termes désuets ou détournés ! Delirium effectue, de son côté, un impeccable travail d’édition avec un volume à la tranche arrondie du plus bel effet et une qualité globale remarquable.
Inventivité, réflexion, humour décalé sont au rendez-vous de cette série de SF culte dont Delirium propose le premier Omnibus dans une remarquable édition. La riche écriture de Mike Baron alliée à l’époustouflant dessin de Steve Rude conduit à une incroyable expérience de lecture dont on a hâte de lire la suite ! Génial et indispensable !