L’apocalypse maintenant se déchaîne sur la colline 861. L’armée populaire du Viêt Nam, pour regagner l’opinion par le soulèvement de la République du Viêt Nam, déclenche l’offensive du Tét. Au sommet du bastion de Keh Sanh, un jeune lieutenant est affecté au commandement d’une section usuelle, hébétée dans un écho de compagnie perdue dans les tropiques asiatiques. Castle est un anonyme vierge du moindre coup de feu. Le récit s’imagine sous la forme d’un témoignage d’anciens combattants membres de cette patrouille. Les dernières encres d’Ennis sont les premiers sang de sa muse de papier.
L’histoire se mélange à l’Histoire. Ennis s’appuie avec intelligence sur un contexte traumatique. Les affres du conflit désespéré dans un bourbier imprégné enclenche la traque à venir du Punisher. L’adrénaline, le goût du sang et les percutions mécaniques des fusils altéreront à jamais un homme. L’auteur, suffisamment raisonnable pour ne pas sombrer dans une ultra-violence exutoire, exulte sur toute sa série. Ennis fait un bilan très éclairé sur ce conflit hors norme. Les US Marines ne comprennent pas leur rôle, leur état major planqué, et corrompu ne les ravitaille pas. La critique mordicante de la machine de guerre américaine ruisselle dans les pages de l’auteur, mais ne l’inonde pas sous un discours accusateur piégeur. En face, une opposition asiatique envolée par un patriotisme suicidaire camouflé, contrebalance la propagande de « l’ennemi à abattre pour la liberté ». Mais ces défenseurs carbonisés ne se privent pas de tortures et massacres entériques. Au milieu de l’enfer humide, des hommes, un homme, droit dirigé par des buts, et à la fois débuts du monstre qu’il deviendra. Il n’y a pas de camps favoris, pas de soutien aveugle pour le M16 ou la Kalachnikov, seulement un récit de guerre immobile, que l’on peut ranger à côté de Full Metal Jacket, Apocalyspe Now ou encore Platoon.
Note : Ce cadre militaire est passionnant. Je vous redirige alors vers le documentaire très complet d’Arte sur la guerre du Viêt Nam sorti à la fin 2017 sur la chaîne.
Avec la sienne bien campée sur ses épaules de vétéran, Ennis s’entête sur son lieutenant emmuré. La section est de ces histoires tranche de vie. Elle forge un homme bâti dans la boue, la brutalité, un baderne juste. Ennis était Goodwin, il n’avait écrit que la fin, et non l’histoire elle-même.