Jason Aaron est peut être l’un des auteurs les plus prolifiques du moment, avec une multiplication de titres de tous les horizons : de Thor à Wolverine and the X-Men, ou encore le récent Dr.Strange et Star Wars chez Marvel. Cet auteur, résolument amoureux de l’éditeur aux Merveilles, possède aussi à son palmarès quelques perles à chercher du côté des indépendants. Sur près de 5 ans, entre 2007 et 2012, l’auteur et son artiste vont s’engager dans l’une des meilleures séries Vertigo : Scalped. Plus récemment encore, accompagné de l’autre Jason, Latour, c’est Southern Bastards qui jaillit, pour nous dépeindre sans pincettes les Etats Unis actuels sudistes. En parallèle il lance, avec son comparse déjà présent sur Scalped, une réécriture personnelle de la Bible et du mythe du Déluge dans The Goddamned, de Jason Aaron et R.M. Guéra.
Avec cette série, le duo nous met au défi de suivre Caïn, fils du couple Adam et Eve retravaillé avec saveur pour l’occasion, contraint de vagabonder dans un No Man’s Land décharné, et dont la seule quête se résume à mourir. Le parti pris est très étonnant, le titre est d’une sauvagerie sans nom. En effet, la tragédie de Caïn, le meurtre de son frère Abel, a condamné le Monde a une incivilisation totale, une atroce barbarie où les quelques humanoïdes restants sont réduits à vivre en tribus, loin de toute logique et rationalité. Entre un Caïn ahuri sans aucune attache, un Noé réinventé en forme d’esclavagiste braconnier fanatique ou encore cette pseudo famille au destin d’une froideur implacable, les choix narratifs de l’auteur sont particulièrement marquants. Et si la caractérisation des personnages est déroutante mais toujours coup de poing, les dialogues minimalistes, parfois très crus, servent aussi cette furie graphique clairement affichée. Ce contexte biblique, pourtant unificateur au départ, ne sert que d’aplat pour cette débauche de violence humaine, une belle inversion de la part de l’auteur. Le déluge annoncé est peut être celui du sang, auguré par le fratricide originel. Néanmoins, le manque clair de destination du personnage en fin de tome m’empêche d’accrocher pleinement pour un futur volume. Dans le cadre d’une mini-série, cette plongée infernale aurait été plus que savoureuse. D’autant qu’Aaron est sur tous les fronts, et même à la tête du prochain relaunch Marvel, il est alors sensé de se questionner sur la suite de The Goddamned, dont le numéro 6 n’est toujours pas sollicité.
Et donc cette partie graphique, en quelques mots, R.M. Guéra est parfait. Son style gras, parfois brouillon, mais toujours lisible renforce l’ambiance narrative lourde. Les personnages ne sont pas beaux, transpirent l’inhumanité, comme l’ensemble des décors traversés. Entre des plateaux arides, des marécages nauséabonds où les carcasses rongées par des charognards squelettiques fourmillent sur les cases, cette ambiance graphique s’installe comme l’une des plus distinguée du marché. L’artiste ne se limite pas aux environnements, ses designs, les costumes en guenilles ou encore les faciès détruits des personnages marquent, choquent parfois. Le titre est adulte, à éviter pour le lectorat le plus jeune ou aux plus sensibles.
Une case typique de la série, une ambiance à elle seule
De nouveau Urban Comics, et notamment sa branche Indies, met la main sur un titre exceptionnel. The Goddamned est réussi à plusieurs égards : avec ce texte sacré habilement retourné en un brûlot contre l’atrocité humaine, cette narration cash sans concession ou encore cette ambiance graphique osseuse et dépouillée. Et même si la suite va sans doute se faire attendre, ce premier tome est forcément à découvrir, la série est un immanquable de ces derniers mois.
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