Sas Milledge : « Ce que nous devons à notre famille et aux cultures dans lesquelles nous avons été élevés est quelque chose qui m’a toujours intéressé »

La créatrice de Mamo, formidable récit qui mêle avec justesse magie et relations entre les individus, a accepté de répondre à quelques questions pour évoquer toute la richesse de ce comic !

For English speakers, please find lower the interview in its original version.


Vous réalisez les dessins et les couleurs sur la plupart de vos bandes dessinées. Quelle a été votre formation artistique ?

Sas Milldege : J’étais avant tout une artiste traditionnelle, travaillant au crayon et à la peinture à l’huile, mais j’ai suivi une formation d’animateur à l’université, où je suis devenu une artiste principalement numérique, et j’ai commencé à développer un plus grand intérêt pour les histoires et la narration visuelle.

Vous avez travaillé sur des histoires courtes avant de réaliser Mamo. Était-ce un défi compliqué de passer d’une histoire courte à une histoire plus longue ? 

Sas Milledge : C’était plus difficile, oui. Je trouve qu’avec les histoires courtes, vous pouvez être plus ouvert dans les questions que vous posez à votre lecteur – vous pouvez laisser votre public deviner. Avec une histoire plus longue, vous devez répondre aux questions que vous posez, peut-être pas à toutes, mais je ne pouvais pas commencer Mamo avec la question « qui est la sorcière de Haresden » et ne pas y répondre à la fin. Cela signifie que vous devez réfléchir davantage aux informations que vous donnez à votre public et au moment où vous les donnez, ainsi qu’à la manière de leur offrir une récompense satisfaisante pour le temps qu’ils passent avec vos personnages.

Mamo

Comment vous est venue l’idée de Mamo ?

Sas Milledge : Mamo traite des relations, de la famille et de l’héritage, et j’ai pensé qu’utiliser un cadre magique pour développer ces relations était très intéressant. J’aime aussi l’archétype de la femme rusée du Moyen Âge et je voulais l’appliquer à un monde moderne d’une manière intéressante.

Comment avez-vous construit votre histoire ? D’abord les personnages, puis le contexte magique et les thèmes impliqués ? Différemment ?

Sas Milledge : Je pense que j’ai commencé par le personnage d’Orla, puis j’ai construit autour d’elle les thèmes et le contexte magique de son monde. Cependant, elle a changé en tant que personnage au fur et à mesure que les thèmes et la magie se développaient, donc c’est vraiment une sorte de soupe, rien ne s’est mis en place de manière particulièrement linéaire.

Si Mamo est imprégné de magie, je l’ai vu comme une histoire qui se concentre sur les relations entre les individus. C’est ce qui vous a le plus intéressé ?

Sas Milledge : Oui ! J’aime les contextes magiques qui soutiennent les thèmes de l’histoire, et Mamo est avant tout une histoire de relations. Ainsi, la magie qu’elle contient nous parle des relations de nos personnages avec leur monde, les autres et eux-mêmes. Le fait de lier mon cadre magique à ce thème central m’a permis de l’intégrer au monde d’une manière qui semblait organique et intégrée, plutôt qu’une réflexion après coup.

Mamo traite également de la famille dans deux contextes différents – celui de Jo, plutôt uni, et celui d’Orla, plutôt conflictuel. Pourquoi avez-vous voulu aborder ce thème ?

Sas Milledge : Ce que nous devons à notre famille et aux cultures dans lesquelles nous avons été élevés est quelque chose qui m’a toujours intéressé. Je voulais présenter la juxtaposition de deux types différents de familles biologiques, et la manière dont cela peut affecter la façon dont on voit le monde. Cependant, je voulais aussi parler de la façon dont nous devons grandir au-delà de notre éducation, et créer de nouvelles relations en dehors de celles dans lesquelles nous sommes élevés. Il est important que Jo et Orla apprennent à créer de nouveaux liens, indépendamment de ceux qu’ils ont connus en grandissant.

Mamo est aussi une histoire de transmission – entre Mamo et Orla, et entre Orla et Jo. Est-ce quelque chose qui vous parle personnellement ?

Sas Milledge : Oui, je pense beaucoup à l’héritage, pas seulement au sens familial mais aussi au sens générationnel et environnemental ; en fait, que devons-nous aux personnes qui nous ont précédés, que devons-nous à celles qui nous suivront, et que nous devons-nous les uns aux autres ? L’idée de transmission, de transmettre des idées et de grandir à partir de celles-ci, plutôt que de détruire notre relation au passé, est importante pour moi.

Mamo est une histoire tout public. Pourquoi avez-vous choisi ce genre ? Qu’est-ce que cela apporte à votre histoire ?

Sas Milledge : Il n’y a pas de moment où les histoires ont eu plus de sens pour moi que lorsque j’étais une jeune fille, et donc écrire d’une manière accessible pour un public plus jeune est important pour moi. Cela dit, je ne crois pas qu’il faille prendre les enfants de haut, ni que les histoires qui peuvent résonner chez les jeunes ne peuvent pas aussi résonner chez les adultes. J’essaie d’écrire d’une manière qui m’intéresse aujourd’hui, en tant que femme d’une vingtaine d’années, autant que j’essaie d’écrire pour la personne que j’étais à l’âge de douze ans. Je crois que cela apporte à mes histoires un large éventail de perspectives qui, je l’espère, trouvent un écho auprès de publics de tous âges.

L’un des points forts de Mamo est son duo d’héroïnes dont vous détaillez méticuleusement les relations et l’évolution. Est-ce quelque chose que vous aimez particulièrement écrire ? 

Sas Milledge : Oui, j’adore écrire ces relations. La dynamique entre les personnages est la pierre angulaire la plus importante de toute histoire que j’écris, le travail évolue à partir de là.

Le cadre rural de Mamo lui confère un certain charme, notamment sur le plan graphique. Pourquoi avez-vous choisi ce contexte ?

Sas Milledge : Le monde dans lequel vit Mamo ressemble beaucoup à la campagne où j’ai grandi près de la maison de mes parents sur la péninsule de Mornington, dans le sud-est de l’Australie. J’ai choisi ce cadre parce qu’il m’est à la fois familier et aussi parce que je ne vois pas beaucoup d’histoires se déroulant dans le sud de l’Australie, et je voulais le partager.

Votre travail sur les couleurs est particulièrement saisissant avec des tons chauds et un gros travail sur les ombres. Elles rendent parfaitement l’atmosphère magique et rurale. Avez-vous dû faire beaucoup de travail – notamment des recherches sur les couleurs – pour créer ces pages ?

Sas Milledge : Je travaillais sur Mamo pendant la pandémie de Covid-19, plus précisément pendant les longs confinements dans mon Etat. Une bonne façon de sortir de la maison pendant cette période était de sortir et de peindre des études de la région sur laquelle j’ai basé Haresden, ce qui m’a énormément aidé à donner vie à ces couleurs.

Projets et lectures

Quels sont vos projets à venir ?

Sas Milledge : J’ai quelques projets en cours ! A savoir une histoire d’horreur pour adolescents pendant l’été, et un livre de science-fiction qui est très inspiré par tout que j’ai lu récemment d’Ursula K. Le Guin. Je ne sais pas encore quand ni sous quelle forme ils seront publiés, mais j’espère que ce sera dans un avenir proche.

Quelles sont les bandes dessinées que vous lisez actuellement ? Des coups de coeur ?

Sas Milledge : Je viens de lire « A Frog in the Fall » de Linnea Sterte, que j’ai adoré, ainsi que « In » de Will McPhail. J’ai aussi récemment relu « Boundless » de Jillian Tamaki, qui est l’un de mes préférés.

Entretien réalisé par échange de mails. Merci à Sas Milledge pour sa disponibilité et sa gentillesse !


The creator of Mamo, a wonderful story that rightly mixes magic and relationships between individuals, agreed to answer a few questions to talk about the richness of this comic!

You do the drawings and colors on most of your comics. What was your artistic background ?

Sas Milledge : I used to primarily be a traditional artist, working in pencil and oil paint, however I trained as an animator at university, where I became a predominantly digital artist, and began to develop a greater interest in storytelling and visual narrative.

You worked on short stories before making Mamo. Was it a complicated challenge to go from a short story to a longer one? 

Sas Milledge : It was more difficult, yes. I find with short stories you can be more open ended in the questions you pose to your reader – you can leave your audience guessing. With a longer form story you need to answer the questions you ask, not all of them maybe, but certainly I could not start Mamo with the question ‘who is the witch of Haresden ?’ and not answer it by the end. This means you have to think more about what information you’re giving your audience when, and how to deliver a satisfying payoff for the time they spend with your characters.

Mamo

How did you come up with the idea for Mamo?

Sas Milledge : Mamo is about relationships, family, and inheritance, and I thought using a magic system to expore those relationships seemed compelling. I also like the archetype of the medieval cunning woman, and wanted to apply that to a modern world in an interesting way.

How did you build your story? First the characters, then the magical context and the themes involved ? Otherwise ?

Sas Milledge : I think I started with the character of Orla, and then built around her the themes and magical context of her world. However she changed as a character as the themes and magic developed, so it’s really all a bit of a soup, nothing came together in a particularly linear fashion.

If Mamo is steeped in magic, I saw it as a story that focuses on relationships between people. Is that what interested you most ?

Sas Milledge : Yes ! I like magic systems that support the themes of their story, and Mamo is primarily about relationships. Thus the magic in it tells us about our characters relationships to their world, each other, and themselves. Tying my magic system to this core theme allowed me to write it into the world in a way that felt organic and baked-in, rather than as an afterthought.

Mamo is also about family in two different settings – Jo’s rather united one and Orla’s rather conflicted one. Why did you want to talk about this theme?

Sas Milledge : What we owe our family and the cultures we were raised in is something that has always interested me. I wanted to present the juxtaposition of two different kinds of biological families, and the way in which that an affect how you view the world. However I also wanted to discuss how we must grow beyond our upbringing, and create new relationships outside of those we are raised in. It’s important that both Jo and Orla learn to create new ties, regardless of the ones they knew growing up.

Mamo is also a story of transmission – between Mamo and Orla, and between Orla and Jo. Is this something that speaks to you personally ?

Sas Milledge : Yes, I think a lot about inheritance, not just in a familial sense but in a generational and environmental sense ; basically, what do we owe the people who came before us, what do we owe those who come after us, and what do we owe one another ? The idea of transmission ; of passing on ideas and growing from them, rather than destroying our relationship to the past, is important to me.

Mamo is an all ages story. Why did you choose this genre ? What does it bring to your story ?

Sas Milledge : There is no time stories meant more to me than when I was a young girl, and so writing in a way that is accessile for a younger audience is important to me. Having said that I don’t believe in talking down to children, or that stories that can resonate with young people can’t also resonate with adults. I try to write in a way that interests me now as a woman in my late twenties as much as I try to write for the person I was at age twelve. I believe it brings a breadth of perspective to my stories that I hope resonates with audiences of all ages.

One of the strengths of Mamo is its duo of heroines whose relationships and evolution you meticulously detail. Is this something you particularly enjoy writing ? 

Sas Milledge : Yes, I love to write relationships. The dynamic between characters is the most important foundation stone of any story I write, the work evolves from there.

The rural setting of Mamo gives it a certain charm, especially graphically. Why did you choose this context?

Sas Milledge : The world Mamo inhabits looks very much like the countryside I grew up exploring near my parents’ house on the Mornington Peninsula, in southeast Australia. I chose this setting because it is both familiar to me and also because I don’t see many stories set in southern Australia, and I wanted to share it.

Your work on the colors is particularly striking with warm tones and a lot of work on the shadows. They perfectly render the magical and rural atmosphere. Did you have to do a lot of work – especially research on colors – to create these pages ?

Sas Milledge : I was working on Mamo during the Covid-19 pandemic, specifically during long lockdowns in my state. One nice way to get out of the house during this time was to get out and paint studies of the area I based Haresden on, so this helped enormously with bringing those colours to life.

Projects and readings

What are your upcoming projects ?

Sas Milledge : I have a few pitches in the works! Namely a summertime teen horror story, and a sci fi book that is very inspired by all the Ursula K. Le Guin I have been reading recently. I’m not sure when or in what form they will appear in, but hopefully sometime in the near future.

What comics are you currently reading? Any favorite ones ?

Sas Milledge : I just read ‘A Frog in the Fall’ by Linnea Sterte, which I adored, as well as Will McPhail’s ‘In’. I also recently reread Jillian Tamaki’s ‘Boundless’ which is one of my favourites.

Interview made by email exchange. Thanks to Sas Milledge for her availability and her kindness.