Il fut un temps où Ed Brubaker officiait sur Captain America. Un travail de 7 années, critiqué, édifié surtout depuis son adaptation au cinéma en 2014. Car le Winter Soldier est une réactualisation de James « Bucky » Barnes. Le retour du soldat soviétique oublié marquera son public. Ces écrits figurent toujours dans les classements des meilleures lectures sur la Sentinelle de la Liberté. La suite n’est pas en reste. Le scénariste utilise alors tout son casting pour travailler au mieux ses personnages dans un entourage riche. Formée par la trinité des porteurs, toujours d’actualité d’ailleurs, Brubaker sait manier sa distribution des rôles. La mort, l’héritage, la mémoire ou encore les responsabilités sont au cœur de ces numéros. Mais Captain America Reborn, comme bouclage constant et attendu, n’assume pas les décisions brûlantes prises après Civil War. D’ailleurs, l’appréciation du lectorat se détache, la suite post-Reborn est bien moins reconnue. Et si le Super Soldier ou la direction du S.H.I.E.L.D (utilisée de nouveau chez Spencer), le procès de Barnes ou encore les Secret Avengers de Warren Ellis ne sont certainement pas à négliger, ce sont des numéros bien plus classiques, au sens littéral, qui nous intéressent ici : Captain America and Bucky Barnes #620-628.
Du jeune garçon jovial mais cogneur, motivé par un élan familial puis patriotique, au soldat compagnon de Captain America, Brubaker façonne ce personnage comme une tranche de vie. Son envie de réussir, la recherche de son identité véritable puis l’accomplissement de son devoir de guerre, Bucky se dévoile en entier, dans sa plus grande intimité. L’auteur axe sa narration sur le Boy Wonder de cet éditeur, reléguant Steve Roger, les Invaders et le corps militaire au second rang. Ses doutes, ses aspirations, mais surtout sa bonne humeur officient comme un voile de lumière dans une période crasse. Souillure parfaitement rendue sur le papier, le titre bascule parfaitement du récit super-héroïque et ses actes de guerre audacieux à l’introspection profonde. Le jeune homme apparaît alors bien faillible, derrière ce portrait enchanteur et enchanté, émoussé par l’horreur. Le meurtre, tout d’abord, commis parce que, c’est tout. Un virage forcé de maturité guerrière en période de conflit, qui contrebalance les espérances de grandeur juvénile de l’adolescent. Dernier lacet façonneur, la nausée des camps de la mort. Alors que tout s’aligne pour une mission de sauvetage banale, les deux jeunes sont confrontés aux abominations humaines. Les espoirs s’écroulent, les pugilats gentillets entre bons et méchants s’effacent subitement. La perte de contrôle présente, qui suivra le personnage dans tout son futur, est parfaitement écrite par Brubaker. D’ailleurs, la dualité entre humain et sur-humain est aussi explorée. Bucky passe son temps entouré de super-soldat, de mutant aquatique et de torches humaines, quelle est sa place dans ce mélange costumé, une question réflexion qui n’échappe jamais à l’esprit du jeune Barnes. L’épopée nous est racontée avec un savoir-faire certain et un angle de vue humano-centré paradoxal. Jusqu’à l’épisode du crash, du bras perdu et de l’empire soviétique qui marquent un autre revirement. Le Winter Soldier n’est présent que sur quelques pages, dans un dernier numéro teinté de gris. Brubaker complète son précédent travail sur le personnage et prépare déjà sa prochaine série consacrée exclusivement au soldat russe. Ici, un assassinat, un enfant, une hésitation, un condensé de ce qu’est Bucky, un professionnel, l’un des meilleurs dans sa partie, mais infiniment humain après tout. On pourrait se contenter de ces pages origines, mais Brubaker pousse son duo trop loin, dans une seconde partie indépendante mais bien moins réussie.
Alors que le premier récit est une continuité, le second utilise ce concept déployé. En liant la robotique des années 40, le professeur Horton et ses créations enflammées, son Ultron personnel, Adam II (au nom biblique évocateur) et aussi les remplaçants du dynamic duo, William Nasland notamment, Brubaker fait encore le choix du spectre du passé. Le narrateur n’est autre que le « Bucky » de William, Fred Davis, le poids de la continuité se fait ressentir. Malheureusement, Brubaker ne fait qu’un travail d’archivage, sans réelle initiative d’écriture. La menace, incarnée par le retour d’Adam comme messie mécanique faussement malfaisant, ne se résume qu’à un remplacement des humains par les machines. Oubliez un approfondissement suréminent, il n’en sera jamais rien au cours de ces 4 numéros. Tout y était pourtant, une généalogie complexe d’androïdes, des personnages avec un passif riche et lié, mais Brubaker reste trop superficiel.
Passons maintenant à la force première de ces épisodes, le style graphique. Allié au contexte historique puis au règlement de comptes quasi familial dans la suite, les deux artistes s’ajustent avec talent aux choix narratifs. Dans un premier temps, Chris Samnee, dans une approche retro moderne soignée, jongle constamment entre bonne humeur, sourire, discours mobilisateur et une sévérité par touche. Les cases sont précises, cadrées avec brio dans une recherche constante de lisibilité. Mais son travail de narrateur n’est pas encore celui de son Daredevil ou encore plus fort, celui de sa Black Widow. Dans un second temps, Francesco Francavilla, maître du pulp contemporain, applique sa sobriété orangée sur des numéros très aguicheurs visuellement. L’artiste se permet même quelques compositions finales étoilées du plus bel effet.
Avec ces histoires autonomes et auto-suffisantes, Brubaker n’en finit pas de développer le soldat unibrassiste. Mais ici, le scénariste déplace son narrateur. Les premiers numéros se concentrent donc sur Bucky dans une origine parfaite, qui manie les tons et les ambiances. En s’intéressant à l’humain, en miroir de la toute puissance de ses alliés dopés aux pouvoirs en tout genre, Brubaker dresse un portrait multiple du jeune Barnes, fait de réussites, de doutes et de revers. Revers immédiat par la suite, bien moins inspirée. Tous les ingrédients sont sur la table, tous sont appétissants, mais Brubaker n’accouche d’aucune recette alléchante.