Le format de la maxi-série en 12 épisodes semble être celui qui convient le mieux au scénariste Tom King. Mister Miracle, Strange Adventures, The Sheriff of Babylon, Vision, Omega Men figurent parmi ses meilleurs travaux. Friand des personnages à la forte personnalité et à la psychologie hors norme, l’américain aime torde ces héros singuliers dans des histoires à la narration typique qui peut parfois cliver. Suite au « rapprochement » entre Watchmen et l’univers DC Comics, Rorschach est désormais à la porté des scénaristes qui veulent s’en emparer. Il est finalement peu surprenant que Tom King soit l’un de ces candidats mis au défi d’écrire un tel personnage. Mais ne racontons pas d’histoires : si le récit de Tom King s’inscrit dans l’univers de Watchmen, il n’en est ni une suite, ni un série dérivée. Il s’agit d’une histoire personnelle qui puise des éléments dans l’univers créé par Alan Moore. Souvent associé à Mitch Gerads, le scénariste fait équipe ici avec les excellents Jorge Fornes et Dave Stewart !
Des décennies après les évènements qui se sont déroulés dans Watchmen, en pleine campagne présidentielle américaine, deux individus, dont l’un porte le masque de Rorschach, sont abattus alors qu’ils s’apprêtaient à tuer le challenger populiste. Quels étaient leurs motivations, quels liens peuvent-ils avoir avec le candidat Président ? L’enquête menée risque de révéler quelques surprises…
Tom King propose un thriller politique qui fait penser aux classiques du genre qu’a pu livrer le cinéma américain des années 70. L’ambiance, notamment installée par la partie graphique, est à l’enquêteur solitaire qui découvre des éléments de plus en plus troublants sur les tenants et aboutissants de l’affaire. La construction du récit qui se fait par étapes et rebondissements entretient un suspens très bien mené. L’écriture de Tom King est riche et très dense. Rorschach est un comic qui demande un investissement et une attention soutenue de la part du lecteur. Comme à son habitude, le scénariste aime varier les styles d’écriture tout en se montrant un peu démonstratif, mais il est ici plutôt sobre. Correspondance épistolaire, trames parallèles qui viennent s’entrecroiser, présent et passé qui se mêlent dans un même lieu,…Les narrations diverses apportent une patte et une force indéniables au récit.
Dans l’Amérique des années 2020, polluée par une vie politique délétère, Tom King aborde quelques thèmes forts comme les manigances politiques, les armes à feux, les courants survivalistes et complotistes. Toutes ces thématiques se fondent plutôt habillement dans le récit. Le scénariste s’immisce également dans l’univers des comics en évoquant le milieu et les affres de la création, allant même jusqu’à insérer quelques pistes métas. Des auteurs et œuvres réels – comme Frank Miller et son Dark Knight Returns – s’invitent dans l’histoire et influent sur l’enquête.
Tom King s’appuie sur un cast de personnages bien travaillé, à commencer par son enquêteur – anonyme – qui, de prime abord froid et impassible, va petit à petit se révéler nettement plus impliqué dans son enquête. Il développe également l’Histoire des deux individus qui veulent assassiner le candidat à la Présidentielle. Leurs trajectoires respectives occupent une partie importante de l’enquête et se révèlent plutôt bien fichues et intéressantes à suivre.
L’influence de Watchmen sur la récit de Tom King se produit essentiellement en toile de fond. Nombres d’éléments et clins d’œil s’insèrent dans l’histoire mais sans que cela soit lourd et indigeste. On pourrait même imaginer le même thriller dans un univers totalement différent. Le lecteur croise par exemple Dr Manhattan ou le Comédien, dont les interventions nourrissent le contexte de l’histoire. Mais il est inutile de maitriser Watchmen sur le bout des doigts pour apprécier Rorschach.
Enfin, la sublime partie graphique de Jorge Fornes et Dave Stewart s’avère être un atout primordial de Rorschach ! Le dessinateur impose son trait fin pour créer une ambiance très années 70 aussi bien au niveau des designs de personnages que des décors. Son travail immerge totalement le lecteur, tant dans les contextes urbains que ruraux. Vient s’ajouter la mise en page de Tom King qui fait, cette fois-ci dans la sobre efficacité. Le scénariste aime par exemple les répétitions de cases où seul un élément est mobile mais cela sert en général la narration. « Côté Watchmen », le dessinateur reprend des cases clés de l’œuvre initiale comme certaines vues de la ville ou le badge ensanglanté, pour ne citer que quelques exemples. Un amalgame riche et réussit ! Viennent s’ajouter les couleurs beiges-orangées de Dave Stewart qui, une nouvelle fois, réalise un travail époustouflant !
Rorschach n’a pas la prétention d’imiter ou de concurrencer Watchmen en aucun façon. Il s’agit d’un thriller brillant, tant scénaristiquement que graphiquement.
Rorschach est un thriller impeccable et haletant qui picore dans l’univers de Watchmen mais n’ambitionne pas de s’y mesurer. L’écriture de Tom King est brillante, au moins tout autant que la partie de graphique de Jorge Fornes et Dave Stewart !