Interview – Julien Hugonnard-Bert – Girls, Gods & Monsters

Encreur sur de nombreux titres comme Injustice, Star Wars ou Masqué, le « French Inker », Julien Hugonnard-Bert, développe depuis quelques années des projets plus personnels. Rencontre avec cet artiste basé à Rouen alors que sa campagne de financement participatif pour son 7ème artbook bat son plein ! Un regard à la fois lucide et enthousiaste sur le monde de la bande dessinée.
Quelle est votre « origin story » en tant qu’artiste ?

Comme tous les enfants, j’ai toujours dessiné. J’ai juste continué quand beaucoup arrêtent. Comme tous les artistes professionnels en fait. Mais je suis d’un naturel anxieux alors même si je rêvais d’en faire mon métier, j’ai préféré m’assurer un avenir professionnel en devenant ingénieur en conception mécanique. J’ai joué à l’ingénieur pendant 5 ans puis comme je n’étais pas très doué, on m’a remercié. J’avais 29 ans et je me demandais si je devais poursuivre dans cette voie ou tenter ma chance dans les comics. La rencontre avec Doug Wheatley, surtout connu pour son travail sur Star Wars, fut déterminante. Il m’a encouragé à sauter le pas. Ce que j’ai fait… Il m’a fallu une année d’entrainement sponsorisé par Pôle Emploi avant de décrocher mon premier contrat chez Panini UK qui éditait des histoires courtes pour un jeune public avec les personnages Marvel. C’était Iron Man. Pas mal pour un début, non ?

Quels comics ou bd lisiez-vous étant plus jeune ?

Je suis né en 1979. Donc comme tous les gens de mon âge en France, j’ai lu Strange et Spécial Strange. La fin des années 80 et le début 90 étaient une période faste : McFarlane sur Spider-Man, Jim Lee sur X-Men, Texeira sur Ghost Rider… C’était vraiment excitant ! Mais je dirais que mon premier vrai contact avec les comics, c’était Batman. En 1989 sortait le film de Tim Burton et c’était une véritable Batmania. J’étais à fond. Mes parents, alors abonnés à France Loisirs, m’ont offert Year One qui était mis en avant dans leur magazine et… ce n’est pas vraiment une lecture pour un enfant de 10 ans ! Mais même si je savais que ce n’était pas une lecture pour moi, je sentais que c’était un truc à part ! C’est avec cette BD que j’ai totalement adhéré au médium ! Je la relis encore très régulièrement.

Vous avez fait essentiellement de l’encrage dans vos premières années. Depuis quelques années, vous avez choisi de travailler davantage votre côté dessinateur. Pourquoi cette orientation ?

J’ai toujours préféré encrer mes propres dessins plutôt que de les crayonner. Aussi, quand j’ai commencé, je ne me voyais pas dessiner. C’est donc Doug Wheatley qui m’a conseillé de m’orienter vers l’encrage ! C’est sans doute grâce à cela que j’ai pu trouver du travail – la concurrence est tellement rude pour les dessinateurs…Mais il faut se remettre dans le contexte : en 2008, il n’y avait que peu de tablettes graphiques et le rendu n’était pas aussi bon qu’aujourd’hui. La technique a tellement évolué depuis (rendez-vous compte, l’iPhone n’avait qu’un an). Aujourd’hui, les dessinateurs n’ont plus besoin d’encreur, ils font tout tout seuls avec des outils numériques permettant d’avoir un rendu encré sans perdre trop de temps. Le travail est donc devenu plus rare pour les encreurs. C’est pourquoi je me suis réorienté vers le dessin à proprement parler. C’est vraiment comme recommencer au début. Mais je prends beaucoup plus de plaisir qu’avant à crayonner et surtout à composer mes images. C’est un vrai challenge et j’aime cela ! Aussi, depuis que je suis mon propre dessinateur et parfois coloriste, je multiplie les débouchés, je ne fais plus que de la BD, je travaille pour de la communication d’entreprise, pour des affiches, je donne des cours… C’est moins répétitif.

Vous lancez en ce moment votre campagne Ulule pour votre 7ème artbook. Pouvez-vous nous parler un peu de ce projet ?

Girls, Gods & Monsters est une série d’artbooks compilant mes meilleurs dessins de la période écoulée. On y retrouve des dessins en noir et blanc, en couleurs, des étapes-par-étapes, des explications sur ma façon de faire, etc. C’est en effet le 7ème volume que je propose lors de cette campagne de financement participatif sur Ulule. Le crowdfunding est un outil génial pour les artistes en général et pour les auteurs de BD en particulier, c’est un lien direct avec les lecteurs et puis outre l’artbook en lui-même, c’est une façon de financer des projets personnels.

En quoi ce type de projets, ainsi que les salons ou commissions sont importants pour un artiste de bande dessinée à l’heure actuelle ?

Les ventes en librairie chutent. Il y a une surproduction et à moins d’être Zep, Marini ou Guarnido, rares sont les auteurs capables de vivre de leurs droits d’auteur. Du coup, les éditeurs baissent de plus en plus les avances sur droits. C’est normal, ils minimisent le risque financier à publier certaines BD qui ne trouveront pas leur public ! Aussi, pour pouvoir vivre de leur métier, les auteurs doivent se diversifier, donner des cours, vendre des commissions, aller en convention et proposer ces projets en financement participatifs. Dans mon cas, un artbook comme Girls, Gods & Monsters est nettement plus rentable que de faire l’encrage d’une BD comme Masqué. Et comme je le notais plus haut, cet argent ainsi récolté m’autorise à manger et me loger, certes, mais aussi à créer des projets personnels comme ma propre BD.

Vous faites de nombreuses commissions. Comment travaillez-vous techniquement ?

J’ai deux façons de travailler selon que je suis à la maison ou en convention. Chez moi, je commence par des croquis et crayonnés numériques sur iPad. Ensuite, j’imprime cela en blue line et j’encre de façon traditionnelle au pinceau à l’encre de Chine. Pour la couleur, je la fais soit aux marqueurs à alcool Copic soit en numérique, à nouveau sur l’iPad. En convention, tout est fait sur papier. Du crayon, parfois de couleur, des feutres noirs pour l’encrage et la couleur aux crayons et aux marqueurs. Au final, ce sont deux types de dessins très différents. D’un côté plus fignolé anatomiquement ou avec des poses plus recherchées et des décors, et d’un autre, quelque chose de plus dynamique, de plus naturel, expérimental et brut. Souvent un style nourrit l’autre et inversement.

Je crois savoir que vous travaillez également sur un projet de bande dessinée. Pouvez-vous nous en parler ? Avez-vous une idée de la période de sortie de ce projet ?

Apollo and the Shades, c’est le nom de ce projet et c’est aussi le nom d’un groupe de Glam Rock (fictif) qui vient à New York, en 1973, pour faire ses adieux lors d’une série de concerts. Dans son sillage on retrouve des groupies et… des meurtres. Sex & Blood & Rock & Roll, en somme !

Cela fait un bon bout de temps que je travaille sur ce projet. J’ai même retrouvé des notes qui datent de 2013 ! Je fais tout là-dessus sans aide financière d’éditeur car je veux garder la main sur tout le processus. J’écris, je dessine, j’encre et je mets en couleurs cette BD et forcément ça prend du temps. Mais après tant d’années, je me suis dit qu’il était temps de la présenter, enfin. Je profite donc de cette campagne pour l’officialiser. En effet, j’offrirai un comic book preview de ma BD aux contributeurs de la campagne consacrée à Girls, Gods & Monsters – et j’espère qu’il donnera envie au plus grand nombre de la découvrir.

Mon but est de pouvoir consacrer le plus de temps possible à cette histoire pour pouvoir la publier en 2021. C’est pour cela que cette campagne de crowdfunding est si importante pour moi, plus on ira loin, plus vite la BD arrivera ! Je compte sur vous !

Lisez-vous encore des comics actuellement ? Lesquels ?

Je n’aime pas les gens qui travaillent dans l’industrie et qui n’aiment pas les comics, mais je dois reconnaître que j’en lis beaucoup moins qu’auparavant. Je n’y retrouve plus tellement mon compte chez Marvel ou chez DC. Alors je relis des vieux trucs, je découvre des comics des années 60 que je ne connaissais pas chez DC ou bien de l’indépendant. Ce que font Brubaker et Philips par exemple est toujours très bien mené. Mais même si j’en lis moins, je reste convaincu par la force du médium BD qui est pour moi le meilleur mélange qui soit entre texte et image. Et plus particulièrement par la force du comic book par rapport à la BD trop grande donc moins dynamique et par rapport au manga trop petit donc hyper dynamique mais pas toujours assez profond à mon goût. Bien entendu il y a plein de contre exemples, mais… j’aime le comic !

Cet entretien a été réalisé par échange de mails. Merci à Julien pour sa disponibilité et sa très grande gentillesse.

Pour découvrir et soutenir le projet de Julien Hugonnard-Bert, Girls, Gods & Monsters 7, c’est par ici : https://fr.ulule.com/ggm7/