R Kikuo Johnson : « Le travail de Charles Schultz et de Bill Watterson m’inspire »

L’artiste américain R Kikuo Johnson, auteur du très beau Hawaï Solitudes et illustrateur de couvertures pour The New Yorker évoque son travail en une poignée de questions.

For English speakers, please find lower the interview in its original version.


Hawaï Solitudes

Hawaï Solitudes se déroule sur votre terre natale, à Hawaï. Était-il important pour vous de situer cette histoire dans ce lieu ? 

R Kikuo Johnson : J’ai passé les 18 premières années de ma vie à Maui jusqu’à mon départ pour l’université. Même si je n’y ai pas vécu à plein temps depuis lors, Maui est le seul endroit où je me suis toujours senti chez moi. Ma famille est là, et j’y passe encore environ un mois chaque année. Hawaï Solitudes est une histoire de famille. Ma première version du livre se déroulait à Cape Cod, dans le Massachusetts, où je vivais à l’époque, mais l’histoire ne m’a jamais semblé réelle jusqu’à ce que je la replace dans le lieu d’origine de ma famille.


Hawaï Solitudes traite de la famille, du deuil et de l’héritage filial. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces thèmes ?

R Kikuo Johnson : Je suis souvent attiré par les œuvres d’art, les films, les livres et la musique qui me font ressentir plusieurs émotions contradictoires en même temps. Les relations de soins – parent et enfant ou adulte et parent âgé – peuvent évoquer des sentiments de joie, de douleur et de frustration en un seul instant. Une histoire centrée sur ces relations semblait avoir un grand potentiel de compassion et d’humour simultanément.

Ce qui m’a fasciné lorsque j’ai lu Hawaï Solitudes, c’est votre narration graphique incroyablement fluide, notamment les longues séquences silencieuses qui sont si évocatrices. Est-ce un aspect de votre travail graphique qui vous tient particulièrement à cœur et sur lequel vous aimez travailler ?

R Kikuo Johnson : Les bandes dessinées sont uniques en tant que support de narration car elles permettent au lecteur d’étudier chaque image pendant très longtemps. Dans un film, les images sont remplacées par d’autres images à un rythme fixé par les cinéastes. Dans les bandes dessinées, le lecteur peut s’attarder sur chaque case à son propre rythme, et je pense que c’est fondamentalement ce que j’aime tant dans les bandes dessinées. J’aime l’expérience qui consiste à étudier de près les dessins pour en déduire leur signification, et je voulais faire une bande dessinée qui oblige le lecteur à regarder attentivement. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi un jeune enfant comme personnage principal ; les enfants communiquent souvent de manière non verbale, et ce type d’interactions pantomimiques convient parfaitement au type de bande dessinée que je voulais réaliser.

Le format « à l’italienne », avec deux bandes de trois cases au maximum, rappelle clairement les strips. Ce genre de bande dessinée a-t-il une influence sur votre travail et vous attire-t-il particulièrement en tant que lecteur ?

R Kikuo Johnson : Le timing incroyablement précis des bandes dessinées de gags des journaux américains a eu une grande influence sur Hawaï Solitudes. Le travail de Charles Schultz et de Bill Watterson m’a particulièrement inspiré. Dans les meilleures strips, chaque temps est parfaitement placé : tout ce que vous devez savoir se trouve dans chaque case, et pas un seul point d’encre ne pourrait être effacé. Je voulais essayer de créer un livre qui ait le même rythme concis.

Safe Travels

Couvertures

Vous réalisez également des couvertures, notamment pour The New Yorker. Qu’appréciez-vous dans ce travail particulier ? Quels sont, selon vous, les points forts d’une bonne couverture ?

R Kikuo Johnson : Chaque artiste a une approche différente de la couverture du New Yorker. C’est une occasion rare pour les illustrateurs et les caricaturistes de faire leur propre proposition sur la couverture d’un magazine plutôt que d’illustrer un titre écrit par quelqu’un d’autre. Mon approche consiste à essayer de transmettre immédiatement une histoire claire qui devient de plus en plus complexe, drôle ou perspicace au fur et à mesure que le spectateur la regarde.

L’idée d’une couverture racontant une histoire en une seule image vous paraît-elle juste ? 

R Kikuo Johnson : C’est sans aucun doute mon approche, mais d’autres artistes relèvent le défi sous un angle différent. Certains utilisent des métaphores visuelles, d’autres se concentrent sur la caricature, d’autres encore s’attachent simplement à créer une belle scène, mais mon objectif est toujours de raconter une histoire.

New York Winter

Lectures

Quelles sont les bandes dessinées que vous lisez actuellement ? Des coups de coeur ?
R Kikuo Johnson : Connor Willumsen réalise certaines des bandes dessinées les plus intéressantes aujourd’hui, à mon avis. Son roman graphique « Bradley of Him » est probablement le livre le plus déroutant que j’aie jamais été obligé de lire plusieurs fois. Nick Drnaso, Jillian Tamaki, Olivier Schrauwen, Chester Brown et Daniel Clowes sont quelques-uns des autres dessinateurs dont je suis toujours impatient de lire les nouvelles œuvres.

Entretien réalisé par échange de mails. Merci à R Kikuo Johnson pour sa disponibilité et sa gentillesse.


American artist R Kikuo Johnson, author of the beautiful No one else and cover illustrator for the New Yorker, talks about his work in a few questions.

No One Else

No One Else takes place on your native land in Hawaii. Was it important for you to set this story in this place? 

R Kikuo Johnson : I spent the first 18 years of my life on Maui until leaving for college. Even though I haven’t lived there full-time since then, Maui’s the only place that has ever felt like home to me. My family is there, and I still spend about a month there every year. No One Else is a story about family. My first draft of the the book was set in Cape Cod Massachusetts where I was living at the time, but the story never seemed real to me until I reset it in the place where my family is from.

No One Else is about family, grief, and filial heritage. What interests you about these themes ?

R Kikuo Johnson : I’m often attracted to artwork, film, books, and music that make me feel multiple conflicting emotions at the same time. Caretaking relationships— parent and child or adult and elderly parent— can evoke feelings of joy, pain, and frustration all in a single moment. A story focused on these relationships seemed to have a lot of potential for both compassion, and humor simultaneously.

What fascinated me when I read No One Else was your incredibly fluid graphic storytelling, especially with the long silent sequences that are so evocative. Is it an aspect of your graphic work that you particularly care for and that you like to work on ?

R Kikuo Johnson : Comics are unique as storytelling medium in that they permit a reader to study each image for a very long time. In film, images are replaced by other images at a pace set by the filmmakers. In comics, a reader is allowed to linger on each panel at their own pace, and I think that’s fundamentally what I love so much about comics. I love the experience of closely studying drawings to derive their meanings, and I wanted to make a comic that required a reader to really look carefully. That was one impetus for having a young child as a main character; kids frequently communicate non verbally, and those kind of pantomime interactions worked really well in the kind of comic I wanted to make.

The « à l’italienne » format with two strips of three squares at the most is clearly reminiscent of strips. Is it a genre of comics that has an influence on your work, that particularly appeals to you as a reader ?

R Kikuo Johnson : The incredibly precise timing of American newspaper gag comic strips was a big influence on No One Else. The work of Charles Schultz and Bill Watterson were particularly inspirational to me. In the best strips, every beat feels perfectly placed: everything you need is to know is in each panel, and not a single dot of ink could be cut. I wanted to try to create a book that had the same concise rhythm.

Covers

You also do covers, for the New Yorker in particular. What do you appreciate in this particular work ? What do you think are the strengths of a good cover ?

R Kikuo Johnson : Every artist has a different approach to the New Yorker cover. It’s a rare opportunity for illustrators and cartoonists to make their own statement on the cover of a magazine rather than to illustrate a headline written by someone else. My approach is to try to immediately convey a clear story that becomes increasingly complex, funny, or insightful as the viewer continues to look at it.

Is the idea of a cover telling a story in one image an idea that you think is right ?

R Kikuo Johnson : That’s definitely my approach, but other artist take the challenge from a different angle. Some use visual metaphors, others focus on caricature, and others focus simply on creating a beautiful scene, but my focus is always on telling a story.

Readings

What comics are you currently reading ? Any favorite ones ?

R Kikuo Johnson : Connor Willumsen is making some of the most interesting comics today, in my opinion. His graphic novel “Bradley of Him” is probably the most confounding book I’ve ever been compelled to read multiple times. Nick Drnaso, Jillian Tamaki, Olivier Schrauwen, Chester Brown, and Daniel Clowes are some of the other cartoonists who I am always eager to read new work from.

Interview made by email exchange. Thanks to R Kikuo Johnson for his availability and his kindness !