L’indé revient en force chez Urban Comics avec quelques-unes des meilleures séries de 2021 : The Department of truth, bientôt The Nice House On The Lake et The Many Deaths of Laila Starr ou encore Crossover. Cette dernière voit revenir le Donny Cates que l’on aime, l’amoureux des comics avec un gros grain de folie. Comme pour ses principaux titres indés, l’auteur s’acoquine avec l’excellent Geoff Shaw qui trouve en la personne de Dee Cunniffe aux couleurs, un complice de premier ordre.
Comme il l’annonce dans sa préface, Donny Cates a failli mourir deux fois. La première fois, il en a tiré God Country, récit sombre sur la mort et la famille. La seconde fois, cela l’a guidé vers Crossover, déclaration lumineuse et enflammée aux comics.
Un jour de janvier 2017, les cieux se sont ouverts pour laisser pénétrer les personnages de comics « fictifs » dans la réalité créant un véritable chaos. Quelques mois après, l’un d’entre eux créa un Dôme autour du Colorado, isolant la plupart des Supers et des Vilains qui continuent de s’affronter. En dehors du Dôme, les comics et leurs afficionados sont désormais considérés comme des parias.
Crossover est une œuvre exceptionnelle de par la qualité de son écriture, la richesse de ses thèmes et la générosité dont il fait preuve envers son lecteur. Donny Cates rend un hommage fort et profond aux comics, essentiellement indés, en incorporant à son récit un nombre hallucinant de personnages issus de ses propres titres, comme The Paybacks ou God Country, ou de séries mythiques comme Madman, Hit Girl, Savage Dragon ; la plupart pour des clins d’œil furtifs, certains s’octroyant un rôle plus important. L’artiste pose également un regard sur l’Histoire du médium en reprenant la censure qui s’abattit sur les comics au milieu des années 50 et en créant une sorte de parallèle avec les polémiques issues des réseaux et autres groupes « tous puissants » contemporains. Le scénariste fait également de son héroïne principale une cosplayeuse. Autant de composantes diverses d’une communauté qui a en commun l’amour des comics que Donny Cates transmet à travers l’ébahissement de ses personnages « réels » lorsqu’ils croisent leur héros de papier. Là où The Paybacks était dans la parodie, Crossover est dans la pure déclaration d’amour aux comics !
Donny Cates s’implique également dans l’aspect méta en questionnant le pouvoir de la fiction sur les lecteurs et les créateurs lorsque la fiction prend le pas sur la « réalité » et s’empare de l’histoire au grand dam de son créateur désemparé. De créateurs, il en est aussi question lorsque ceux-ci se font assassinés – premiers d’une longue série à venir. Autant d’éléments qui font que Crossover est constamment sur une crête mais jamais ne bascule dans le vide, bien au contraire. Le récit de Donny Cates est d’une grande cohérence.
Le scénariste greffe en effet ces ingrédients décalés sur une intrigue à suspens hyper efficace où les thèmes de la censure, du rejet, de l’intolérance, du fanatisme religieux, du totalitarisme, comme un reflet de la société actuelle, s’intègrent parfaitement. Donny Cates s’appuie également sur un personnage féminin auquel s’attache immédiatement le lecteur. Son caractère déterminé, sa façon de prendre les choses à bras le corps, son empathie et un certain regard espiègle nourrissent l’affection du lecteur pour cette jeune femme qui se pare de mystère. Enfin, en amoureux de comics, Donny Cates sait qu’il n’y rien de meilleur qu’un bon cliffhanger et l’artiste en place un sacré paquet !
Geoff Shaw et Dee Cunniffe sont, quant à eux, au rendez-vous de l’hommage réjouissant en proposant des planches sublimes. Le dessinateur américain épure sa mise en page pour la rendre très efficace et affine son trait, ôtant tout aspect un peu brouillon qui subsistait sur certaines de ses œuvres passées. Remarquable dans l’immersion du lecteur à travers des décors s’incorporant parfaitement dans la mise en scène, Geoff Shaw délivre également de très belles double pages où s’invitent la planquée de personnages de comics. Dee Cunniffe dépose ses très belles couleurs qui jouent beaucoup sur la lumière. Le duo opte enfin pour un procédé habile en représentant les personnages de comics avec des pointillés à la « Roy Lichtenstein« .
Puisant dans son amour profond pour les comics, Donny Cates livre donc une première partie de série qui met en joie le lecteur…qui ne se doute pas encore de ce que prépare le scénariste pour la suite !
Crossover est incroyablement généreux avec son lecteur en ce qu’il offre aux amoureux des comics un plaisir de lecture complice incommensurable ! Génial et passionné, le récit de Donny Cates se fait malin et ciselé. Difficile de résister à ce qui se fait de mieux en la matière !