Habitué à reprendre la destinée de personnages de l’univers DC Comics et à les déconstruire avec plus ou moins de succès et de pertinence, Tom King s’empare cette fois-ci non pas d’un personnage mais d’une ville : Gotham ! L’auteur américain se propose d’imaginer ce que pouvait bien être la cité avant même la naissance de Bruce Wayne.
Un polar passionnant et remarquablement écrit
Abandonnant ses tics habituels d’écriture, Tom King concocte un polar crasseux et violent dans la grande tradition des classiques des années 40-50. Puisant son inspiration autant dans des faits divers réels comme l’enlèvement du bébé Lindbergh que dans des œuvres tel que les romans de Ross MacDonald où le privé Lew Archer se plonge dans les affres des familles richissimes, le scénariste livre un récit extrêmement bien écrit et d’une belle densité, ce qu’on ne lui a pas toujours connu. Tom King inscrit son histoire dans l’univers du Chevalier Noir en mettant en scène les ancêtres de Bruce Wayne, deux générations avant que naisse le héros de chez DC et imagine, avec pertinence, l’origine de certains éléments clés de la mythologie de Gotham. Le scénariste évoque le côté lumineux, vivant, le cœur de cette cité qui bat nuit et jour, mais aussi le côté sombre de la ville avec ses conflits sociaux et raciaux, imposant des ambiances puissantes.
Slam Bradley, privé haut en couleur et personnage sous-estimé
Tom King choisit la voix de Slam Bradley pour narrer son histoire. Privé bourru et haut en couleur, le personnage créé par Jerry Siegel et Joe Shuster – également créateurs d’un certain Superman… – dans Detective Comics #1 revient sur le devant de la scène plusieurs années après être tombé quelque peu aux oubliettes de la continuité DC et avoir été si bien mis en valeur et écrit par Ed Brubaker dans son run magistral sur Catwoman ! Le détective livre son regard d’ancien flic devenu privé car ne se reconnaissant plus dans cette police raciste qui détourne le regard quand cela l’arrange, mais permet également au scénariste d’aborder des thématiques prégnantes à l’époque et aujourd’hui encore d’actualité. Mettant à jour les origines de Bradley, King parle notamment avec acuité de la ségrégation et de la position des métisses dans cette Amérique du début de la deuxième moitié du XXème siècle.
Tous ces éléments font de Gotham City : année un, un comic dense et passionnant, âpre et pertinent !
Le subtil mariage des noirs et de la couleur
L’alchimie entre les noirs de Phil Hester et les couleurs créatrices d’ambiances de Jordie Bellaire est remarquable ! Le dessinateur propose un fantastique travail de mise en page, proposant des compositions tout aussi souvent fortes que parfois ludiques, jouant à un subtil jeu avec les teintes tantôt brutes, tantôt nuancées ou encore caressant la ferveur de la nuit ou la violence des uppercuts. Le duo n’a pas son pareil pour créer des ambiances sombres ou délicates, inquiétantes ou émouvantes. Un régal visuel qui transporte le lecteur dans l’Amérique poisseuse des années 40-50 !
Tom King abandonne ses tics d’écriture habituels pour offrir un impeccable polar façon années 40-50 dans lequel Slam Bradley retrouve un rôle à la hauteur du potentiel du personnage ! Porté par la géniale partie graphique de Phil Hester et Jordie Bellaire, Gotham City : année un est un véritable coup de cœur !